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2 avril 2008 3 02 /04 /avril /2008 16:30

J'ai annoncé, il y a déjà fort longtemps, de la correspondance envoyée par Han Ryner à Manuel Devaldès, que je voulais commenter. Mais l'entreprise s'est avérée plus ardue que prévue, et je suis fort fainéant. Cela avance donc très lentement et de manière bien sporadique. Amie lectrice, ami lecteur, garde espoir ! Le jour viendra où tu pourras, enfin, consulter ces quelques lettres — rien de bien fracassant au demeurant.

En attendant, voici la préface aux Contes d'un rebelle, recueils d'apologues écrits de 1906 à 1923, et parus dans des périodiques comme Le Libertaire, L'Idée Libre et surtout Le Réveil de l'Esclave dont Devaldès assura la rédaction. Publié en 1925, coédition Editions de L'Idée Libre / Librairie Albert Gros.

J'ai donné quelques informations sur Manuel Devaldès ici. Sa production littéraire et militante est assez abondante, inégale, parfois assez contestable mais digne d'intérêt. Certains de ses contes restent savoureux — on peut en lire un . On aura l'occasion de revenir sur ce personnage.


Pascal dit quelque part : « Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi ; car on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme. » Manuel Devaldès nous donne cette surprise et cette joie. Plus encore que par le naturel du style, par la forte et un peu rugueuse harmonie de sa pensée, de sa parole et de son geste.

Devaldès n'écrit que pour exprimer ce qu'il pense. Et il est loin de l'impulsif qui, projetant au dehors tout ce qui traverse sa tête incertaine, vante des sincérités alternées. Il étudie les questions avant de les résoudre. Quand il croit enfin tenir la vérité, nul n'obtiendrait de lui mensonge, silence ou soumission.

Entre autres nobles histoires, les Contes d'un Rebelle récitent un réfractaire qui, la veille de la guerre, parce qu'il ne veut ni mourir stupidement ni tuer criminellement, s'est réfugié â l'étranger. Devaldès a renoncé à tout pour obéir à sa raison. Fin juillet 1914, il s'est glissé sans argent, dans un pays dont il ignorait les moeurs et la langue. Courageux, laborieux, persévérant, il est de ceux qui apprennent et qui se débrouillent. Il n'en a pas moins affronté long isolement et durable misère. Persécution aussi, comme on devine. On a voulu lui imposer l'alternative de revenir en France ou de s'engager dans l'armée anglaise. Sa résistance indignée a pu être efficace : des écrits déjà anciens prouvaient sa haine éternelle de l'assassinat guerrier. Les juges de Londres ayant lu La Chair à Canon, brochure publiée pour la première fois en 1908, n'ont pu refuser à son auteur le privilège du conscientious objector. Mais la loi française, plus inhumaine, l'exile toujours. Il est de ceux auxquels songe ma virile tendresse chaque fois que je réclame l' amnistie sans réserve et qu'on pardonne enfin aux déserteurs d'avoir pu, suivant le mot du grand Lamartine, déserteur lui-même, se faire accuser d' humanité.

Le style de Devaldès dit exactement l'homme : probe, net, précis, incisif, un peu dur volontairement. Il est de ceux qui montrent leur raison et cachent leur sensibilité. A regarder de près, que de sensibilité dans sa raison même... Il est des rares qui ont su établir en eux l'accord du coeur et de l'esprit.

Il le sait comme je le sais : nous différons par plus d'une nuance ; il arrive qu'il rit de mes théories ou que je souris des siennes. Mais, sous des vêtements de coupe et de couleur différentes, nos actions, nos abstentions surtout, se ressemblent comme des soeurs. Il est plus exclusivement déterministe que moi. Que m'importe ? Puisqu'il fait triompher dans sa conduite cette liberté que je nommerai aujourd'hui, pour lui plaire, le déterminisme supérieur de la conscience.

J'oublie peut-être que j'ai des contes à présenter au lecteur. Est-il si nécessaire de dire, à qui va en jouir, la richesse ingénieuse de l'invention, la puissance rare de l'ironie, la netteté rayonnante des symboles, et tout ce qu'il sonne d'humanité généreuse dans l'accent un peu rude de Manuel Devaldès ?

Quel artiste est complet ?... Celui-ci ignore les grâces, les souplesses, le jeu des lueurs vagabondes, le frôlement des ombres remuées et l'art du clair-obscur. Il inonde tout le tableau d'une lumière égale, immobile, j'allais dire : brutale. Il n'en est que plus accessible ; il n'en sera que plus populaire. Avec lui, impossible de ne pas comprendre. Il ne met pas des points, il met, sur tous les i, des trémas. Les éditeurs ont repoussé (avec quel tremblement !) un livre qu'ils déclaraient « trop subversif » et qui, aussi hardi, en effet, que quelques autres, étale ses hardiesses sous plus de soleil.

Livre plus que de bonne foi. Livre de clarté blessante. Lumière qui s'enfonce et taraude dans le souvenir. De notre consentement ou malgré nous, elle nous travaille, nous aide à nous former ou nous humilie. Celui qui voudrait s'obstiner à fermer les yeux se sent bousculé et giflé de clarté.

Œuvre d'un immoralisme un peu brusque, d'une sagesse un peu raide. Mais comment la sagesse ne se raidirait-elle point de défense ou de dégoût parmi la sarabande des folies contemporaines ?...

Manuel Devaldès a poussé le souci de vérité jusqu'à dater chacun de ses contes. A un classement logique qui donnerait de savantes gradations, à des groupements esthétiques qui fianceraient les nuances, marieraient les couleurs, ménageraient les sourires et les surprises, il a préféré, d'une belle naïveté, l'ordre chronologique. Scrupule excessif : il n'y a pas ici évolution, mais, durant seize années où l'histoire, chaos et cahotement, ne connaît guère que des menteurs et des renégats, noble fidélité d'un homme à soi-même. Avant de dresser le premier de ces beaux et abrupts récits, Devaldès s'était trouvé ; et il est de ceux qui ne risquent point de se perdre. Nulle n'a varié, de ses fermes solutions. Tout au plus constaterait-on que son intérêt s'est porté plus entier et plus âpre à de certaines époques sur de certains problèmes.

Lisez et relisez les Contes d'un Rebelle. Je suivrai, premier, le conseil que je donne. Pour ma joie. Pour mon utilité aussi. Chez ceux d'entre nous qui consentent le plus pleinement à la lumière, la clarté cruelle que porte Devaldès — cruelle comme la tendresse irritée — fouillera encore plus d'un recoin où nous essayions de ne pas regarder.

Han Ryner

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16 mars 2008 7 16 /03 /mars /2008 21:40

On peut lire sur Livrenblog la reproduction d'une enquête de L'Esprit Français sur "L'influence et la légende de Jean Lorrain" en 1931, soit 25 ans après sa mort. L'un des écrivains sollicités est Han Ryner. Et c'est une contribution que j'ignorais.

En 1931, le propos de Ryner est nuancé. Au tournant du siècle cependant, on peut penser que son opinion était plus tranchée, et plus féroce. Néanmoins, Lorrain n'apparaît ni dans Le Massacre des Amazones, ni dans Prostitués. Et dans la préface que l'on va lire, le seul qualificatif qui lui est donné est celui de "puissant du journalisme", ce qui après tout n'est qu'un jugement de fait. Le propos de Ryner va alors se focaliser sur le courage de Fleischmann à s'attaquer à un journaliste influent. Ryner eut l'occasion d'expérimenter la chose, lorsqu'il éreinta dans Le Massacre des Amazones des gens comme Jean-Bernard, Catulle Mendès ou même Rachilde... et se retrouva tricard dans une bonne partie de la presse.

Deux ou trois infos sur Hector Fleischmann, glanées dans le catalogue de la BNF ou au fil du Net : d'origine belge, semble-t-il, Fleischmann est né en 1883, mort en 1914 (la guerre ?). Comme beaucoup, il taquina la muse à ses débuts (deux recueils ou plaquettes de poèmes vers 1900) et fonda avec Léon Deubel la Revue verlainienne en 1901. Par la suite, il s'intéressa surtout aux histoires d'alcôve de la Révolution et de l'Empire (Les filles publiques sous la Terreur, Robespierre et les femmes, Marat et sa maîtresse, Napoléon adultère, Joséphine infidèle, etc., etc.). On lui doit également un aventureux Rival de Sherlock Holmes et deux romans conjecturaux (L'incendie du pôle et L'explosion du globe — cf. ici sur BDFI).

Quant à Jean Lorrain, je ne peux que renvoyer au très bon site qui lui est consacré : http://www.jeanlorrain.net/. Et j'approuve vivement son rédacteur lorsque, pour souligner l'actualité de Jean Lorrain, il pointe les ressemblances entre la "Belle" Epoque et notre temps : « il suffit de passer de l'autre côté du miroir pour se retrouver dans notre siècle et assister aux mêmes marasmes sociaux et intellectuels : la violence croissante, le racisme, la corruption par l'argent, le terrorisme, les scandales politiques, les MST... et, plus individuellement, la crise de l'identité, l'attrait des drogues, les déviations sexuelles, l'inquiétude face à l'avenir... » (c'est ).

Allez, j'en profite pour signaler la récente parution de la Correspondance de Jean Lorrain avec Henry Kistemaeckers, aux éditions du Clown Lyrique !

[Ajout du 23/03/2008] A la suite de cette préface, je donne un très bref avis de Ryner lui-même sur cette brochure.


Mon cher ami,

Votre Massacre d'une Amazone m'apporte une joie. Vous savez de quelle espérance à peine hésitante j'aime votre jeunesse. Vous me paraissez un des rares qui osent toujours et savent toujours dire toute leur vérité. Vous avez le courage qui empêche d'hésiter avant. Vous aurez, j'en suis de plus en plus certain, le courage de regretter après. Votre conscience, clair flambeau, maintenu bien droit, inonde de lumière la voie où vous entrez, les renoncements auxquels vous consentez, les engagements que vous prenez envers vous-même. Si je vous connaissais moins, j'avoue que vous me feriez peur un peu. Car, plus que tout autre infirme, je plains le héros manqué : il prend d'abord une attitude plus noble que sa nature, puis, incapable de la garder jusqu'au bout, il part trop tard pour la chasse au profit matériel. Cet être flottant se prépare une vie déchirée entre deux remords, dont aucun ne sera beau. Renégat de lui-même, il sera puni deux fois et n'obtiendra même pas les pauvres satisfactions qui comblent, parce qu'ils furent lâches à temps, de moins doués que lui.

En attaquant aujourd'hui avec une verve si vigoureuse un des puissants du journalisme et en dédiant cette page à un Isolé volontaire, vous dites très haut, comme un homme bien sûr de ne jamais se contredire, et ce dont vous ne voulez pas et ce que vous voulez. Vous ne voulez pas la saturnale qui conduit au succès, vous ne voulez pas abaisser le dieu qui est à votre sommet sous le commandement des intérêts serviles. Au lieu de faire, comme la plupart de votre talent qui s'éveille, le souple valet d'une carrière extérieurement heureuse, vous proclamez que vous mettrez toujours toutes vos forces fières au service de votre talent et de votre vérité. Debout, vous faites — et c'est pourquoi je vous serre la main avec émotion, — la plus belle et la plus virile des prières du matin.

Han Ryner


Le note suivante est une dédicace de Ryner à Stéphane-Louis Richard, pion comme lui au lycée Charlemagne. Richard avait demandé à son ami et collègue de lui composer une notice pour chacune des œuvres rynériennes qu'il possédait. Parmi ces ouvrages, la brochure de Fleischmann.

Je n'ai pas connu personnellement Jean Lorrain et je n'ai jamais aimé sa manière.

J'aimais, non sans quelque inquiétude, le jeune Hector Fleischmann. (Il ets mort depuis longtemps après beaucoup de travaux dont la plupart sont des besognes de librairie.) Et il valait mieux que ce qu'il a laissé.

On peut lire les autres notices au numéro 69 des CAHR (p. 22 à 27).

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Des textes et documents de, sur et autour de Han Ryner (pseudonyme de Henri Ner), écrivain et philosophe individualiste, pacifiste et libertaire. Plus de détails ici.

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# une table des Cahiers des Amis de Han Ryner.
# les brochures du Blog Han Ryner.
# un roman "tragique et fangeux comme la vie" : Le Soupçon.

ƒ A écouter :
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De Han Ryner :

L'Homme-Fourmi
La Fille manquée
http://www.theolib.com/images/lulu/sphinx.jpgLe Sphinx rouge
Les Paraboles cyniques
L'Individualisme dans l'Antiquité
Comment te bats-tu ?
1905-pmi-2010Petit manuel individualiste
Le Cinquième évangile
Couverture de la réédition du Le Père Diogène
Pour les germanistes... Nelti

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