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3 août 2008 7 03 /08 /août /2008 20:05

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII]


XII

La plupart des sophistes exigeaient de l'argent pour leur enseignement. Socrate non seulement n'en demandait point, mais il refusait, celui qu'on lui offrait.

Aristippe, attiré par la réputation de Socrate, était venu de Cyrène à Athènes afin de l'écouter. Il avait l'intention d'enseigner plus tard en se faisant payer. Ce vil ami de la volupté a réalisé son intention : il prend de l'argent à ses disciples afin de pouvoir donner de l'argent aux courtisanes et aux marchands de poisson. Il crut donc juste d'en envoyer à Socrate. Ou plutôt ce geste lui parut avantageux comme le geste de l'homme qui, voulant récolter à l'automne, sème au printemps. Sans doute, le maître, bien payé, lui révélerait des secrets plus efficaces, des méthodes de persuasion plus invincibles. Un esclave vint de sa part apporter vingt mines (5) à Socrate. Mais le philosophe refusa de rien prendre, disant que le dieu de Socrate lui interdisait d'accepter aucun argent.

Le lendemain, Aristippe s'étonna. Selon sa coutume, il parla avec une grâce rieuse, comme une femme qui ne sait pas bien si elle joue ou si elle essaie de se faire aimer.

— Socrate, ton bonheur est grand que je ne sois pas citoyen d'Athènes.

Socrate devina sans peine quelle plaisanterie commençait. Or il se prêtait volontiers à de tels jeux, dans l'espoir d'en tirer quelque enseignement et aussi, je crois, parce que la nature l'avait fait joueur. Il dit, plus souriant qu'Aristippe lui-même — mais le sourire de Socrate gardait toujours on ne sait quoi de profond et de viril :

— Explique-moi mon bonheur et quel mal tu essaierais de me faire, si tu avais ce que Platon et Aristophane appellent glorieusement « la gloire d'être citoyen d'Athènes. »

— Je te traînerais, Socrate, devant les héliastes et je te convaincrais sans peine d'introduire dans la cité des dieux nouveaux.

— Tu me convaincrais d'autant plus facilement que je me garderais de nier cette vérité. Montre toutefois si tu sais d'une façon véritable quels dieux nouveaux j'introduis à Athènes.

— Je ne sais si tu en introduis d'autres. Mais certainement celui que tu as appelé hier « le dieu de Socrate » et qui interdit que tu acceptes l'argent qui vient à toi de lui-même, ce dieu est étrange et nouveau en Grèce comme en Afrique. Ni à Cyrène ni à Athènes, je ne connais un dieu qui méprise l'argent. Les plus sévères parmi les dieux d'Athènes ou de Cyrène t'auraient conseillé  : « Si tu ne veux point pour toi l'argent que t'offre avec justice ton disciple Aristippe ; si tu trouves ton manteau rapiécé trop jeune pour être remplacé et si tu n'as, en. un mot, aucun de ces besoins qu'on satisfait avec de l'argent, prends pourtant ces vingt mines. Puis, en exprimant l'aimable regret qu'elles ne soient pas plus nombreuses, tu les porteras dans mon temple. Mes prêtres, je te l'assure, sauront leur trouver quelque usage. En échange, je t'accorderai, généreux Socrate, les biens que je puis donner sans qu'il en coûte rien à mes prêtres. Je ferai tendre vers tes lèvres des baisers de belles courtisanes et de beaux garçons. Ou, si tu le préfères, j'inspirerai aux riches de t'inviter à de somptueux banquets. » Voilà ce que répondrait le plus sévère des oracles. 

— Le seul oracle que je consulte m'a répondu autre chose.

— Pourrais-tu me conduire, ô Socrate, dans le temple où tu consultes cet oracle singulier ?

— Ce temple n'est ouvert qu'à moi seul.

— J'admire le riche Socrate qui a un temple et un oracle pour lui seul.

— J'ose me vanter d'une telle richesse. Pour toi, Aristippe, jusqu'à ce que tu puisses te vanter d'une telle richesse, tu m'as écouté en vain. Et je te ferais injustice si j'acceptais ton argent, quand je n'ai rien pu te donner.

— Tu l'accepteras donc quand tu estimeras que je t'ai compris ?

— Quand tu m'auras compris, tu n'outrageras pas, en essayant de la payer par des pauvretés, la merveilleuse richesse que je t'aurai donnée. Ou plutôt tu auras su enfin te la donner à toi-même. Car la seule chose que je puisse essayer de t'apprendre, c'est de t'écouter, mon Aristippe.

— Je passe ma vie à m'écouter, Socrate. Et j'entends en moi des discours vraiment divins. Ils disent : Donne sans hésiter ton argent en échange des biens que tu aimes, les belles paroles de Socrate, les ventres farcis des truies, les poissons savamment apprêtés, les gâteaux de sésame et de miel, les baisers de Corinthe ou les vins de Chio.

— Est-ce tout ce que disent en toi les voix que tu déclares divines ?

— Elles disent encore : Accueille favorablement l'argent qu'on t'envoie. Et même exige de ceux qui sont riches en argent et à qui tu donnes tes richesses de doctrine qu'ils te paient exactement. Exige qu'ils soient justes afin que tu puisses être juste à ton tour. Afin que tu puisses payer leur prix les subtils enseignements de Socrate, les baisers des belles bouches, la joie lyrique des vins, les ventres des truies grasses, les gâteaux dont le sésame est tout coulant de miel.

— Les paroles de Socrate sont vaines pour toi tant qu'elles ne t'affranchissent pas de l'argent, et des bouches qu'on paie, et de ce qu'on paie à sa propre bouche. Nul vrai bien ne s'échange contre de l'argent. Et, au pays de l'âme, au pays des vrais biens, rien de ce qui est à vendre ne mérite d'être acheté.


(5) Environ deux mille francs de notre monnaie (Note du traducteur.) [vers 1922 ! (Note de l'entoileur)]

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1 août 2008 5 01 /08 /août /2008 19:45

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII]


XI

Tandis que Sathon, semblable à un malfaiteur qui fuit la lumière, fuyait la parole de Socrate, Socrate parlait contre la subtilité. Elle fait découvrir des vérités géométriques, des vérités concernant ce que les géomètres appellent le point et qu'ils définissent par l'absence d'étendue — mais, tout ce que nous pouvons voir ou toucher a quelque étendue ; des vérités sur la ligne, qu'ils définissent par l'absence de largeur -mais tu ne peux concevoir une longueur sans quelque largeur et, dès que tu essaies, la longueur s'évanouit en même temps que la largeur ; des vérités touchant la surface, qui se définit par l'absence d'épaisseur, — mais aucun corps ne saurait exister sans avoir trois dimensions  ; des vérités sur le volume qui étudie les corps comme s'ils pouvaient n'avoir ni poids, ni couleur, ni aucune autre qualité que celle d'occuper un espace. Ainsi la subtilité du géomètre nous enseigne ce qui n'est pas et nous enseigne à oublier ce qui est. C'est pourquoi chaque fois qu'Euclide ou Platon essaient de prévoir quelque chose dans le monde réel, ils se trompent. Mais ils raisonnent de façon merveilleuse et ridicule concernant des mondes qui ne sont pas, le monde géométrique comme dit Euclide, le monde intelligible, comme dit Platon.

— Rien — continuait Socrate — ne m'est aussi inintelligible que ce monde intelligible dont parle Platon et dont parfois, dans ses ingénieux et menteurs dialogues, il me fait parler avec une bien risible assurance.

Il ajoutait dans un grand rire, cet homme prévoyant :

— Je suis peut-être trop vieux pour voir ce que je vais dire. Vous qui êtes jeunes, rappelez-vous quelques années la prophétie où s'égaie Socrate en ce moment. Un jour, Euclide affirmera que le monde où il rêve est plus réel que le monde où nous vivons ; un jour Platon croira son monde intelligible plus réel que le monde où nous vivons. Et ce qu'il nomme l'idée de Socrate, — je ne devine pas ce que, en dehors de l'esprit de Platon et de quelques autres esprits, peut bien être l'idée de Socrate, — sera pour ses yeux éblouis quelque chose de plus réel que le Socrate qui vous parle. 

Il parlait longuement contre la vaine subtilité. Il parlait subtilement contre certaine subtilité. Mais la subtilité de Socrate était celle qui cherche prudemment le vrai, non celle qui cherche témérairement l'ingénieux et l'extraordinaire.

Socrate était le plus subtil des hommes. Il ne l'était pas à la manière d'Euclide au front puéril ni à la manière de Sathon au vaste front ridé comme coquille d'escargot.

Euclide entre ses propositions géométriques, est subtil comme un rêveur étrange dont les rêves sont plus rigides que la réalité et dont les rêves appellent vie et plénitude le vide même et l'absence de vie. Euclide, quand il se livre à l'éristique, est subtil comme un enfant dépité contre d'autres enfants et il veut avoir raison dans les mots ; et peu lui chaut que les mots dont il triomphe correspondent ou non à des choses.

Sathon, flatteur du tyran de Syracuse, auteur de La République et des Lois, est subtil comme un orateur qui veut tromper ceux qui l'écoutent. Dans sa jeunesse, il était déjà subtil comme un homme qui désire qu'on s'étonne dès qu'il parle et qu'on admire. Aujourd'hui il désire qu'on le prenne pour un législateur. Sa grande joie serait qu'une cité lui demandât une constitution. Autrefois il a flatté Denys, dans l'espoir d'obtenir une colonie qu'il ferait vivre selon sa politique. Maintenant, content d'apparences plus légères, il fait répandre menteusement le bruit que les Arcadiens ou les Thébains — il n'est pas bien fixé lui-même — l'auraient prié de donner des lois à je ne sais quelle ville nouvelle ; mais, parce que les colons ne consentaient pas à l'égalité des conditions, il aurait refusé cette gloire. Quels bruits ridicules et quelles vanités ne charment point son orgueil ? J'ai entendu ses disciples l'appeler Fils d'Apollon. Et il souriait dans un visage relevé, oublieux de son père Ariston et de la chasteté de sa mère Périctione. On devine combien les subtilités d'un homme aussi orgueilleux et aussi indifférent à la vérité sont torses et retorses, embrouillées et embrouilleuses.

Mais la subtilité de Socrate était celle qui débrouille ; celle qui, préoccupée de la seule vérité, découvre la vérité. Sous l'amoncellement de mensonges déversé par les hommes, Socrate cherchait en toi la vérité que:la nature y a mise et que les tombereaux de plâtras n'ont peut-être pas complètement étouffée. Mais la plante vérité se cache en tes profondeurs, bien malade et bien frêle. Il faut une subtilité aimante pour écarter, sans la blesser ou la briser, le débris, pierrailles et poussières ; pour la découvrir, pâlie et salie ; pour la délivrer, et lui donner de l'air, et lui permettre de naître, de fleurir, de fructifier. Telle était bien différente de celle d'Euclide ou de Sathon, la subtilité de Socrate.

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29 juillet 2008 2 29 /07 /juillet /2008 19:43

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII]


X

Devant une nombreuse assemblée, Socrate avait cherché avec Ménon ce que c'est que la vertu. Après avoir réfuté diverses définitions proposées par Ménon, il lui avait fait découvrir, selon sa coutume, que la vertu n'est autre chose que la connaissance du bien et du mal. Et il ajoutait que le seul élément du vice s'appelle ignorance.

Toute la compagnie applaudissait et Sathon plus que les autres. Moi seul je restais un peu mécontent. Mais j'avais dit, en trop de circonstances, l'insatisfaction qui me troublait et je n'avais réussi ni à convaincre Socrate ni à me laisser convaincre par lui, d'une façon durable. De sorte que je me taisais.

Alors Sathon dit :

— Tu as démontré, ô Socrate, que toutes les connaissances sont en nous comme une troupe d'enfants qui dorment. Tu as réveillé un des plus beaux parmi les enfants endormis. Permets-tu que j'essaie d'en éveiller un autre ?

Le maître ayant consenti, Sathon, avec l'autorisation de Ménon, interrogea un tout jeune esclave de Ménon, nommé Manès.

Il l'interrogeait avec une adresse merveilleuse. Il lui découvrait lentement — mais il semblait lui faire découvrir par lui-même ces vérités — quelques propriétés du carré. Il finit par lui enseigner, quand un carré est donné, sur quelle ligne se construira un carré double.

Je n'ai pas besoin de copier sur mes tablettes ces lentes habiletés. Sathon les a publiées dans un dialogue connu de tous qui s'appelle Ménon ou de la vertu et où la vertu tient moins de place que la géométrie. Mais, selon sa coutume odieuse, il a prêté à Socrate, afin de leur donner crédit, des paroles de Sathon. Et il fait employer par Socrate une méthode qui ressemble à la véritable maïeutique comme la grimace accrocheuse d'une courtisane ressemble à un sourire d'amour.

Tous écoutaient avec ravissement, à l'exception de Socrate et de moi.

Socrate écoutait avec inquiétude. Ainsi on regarde un enfant, déjà trop grand pour un tel jeu, jouer quelque jeu ingénieux, absurde et dangereux. Et certes Socrate n'eût jamais pris part lui-même à des amusements aussi artificiels et qui, pour le vrai philosophe, ne laissent pas d'être ridicules.

Quand Sathon eut fini d'interroger Manès, plusieurs s'écrièrent :

— Platon est un autre Socrate !

Mais Socrate, dont tout le visage riait :

— Je n'ai pas la présomption de me comparer à l'ingénieux Platon. Je ne suis qu'un accoucheur. J'aide l'esprit en travail à se délivrer de l'enfant qui le tourmente. Platon est un thaumaturge : il accouche des femmes qui ne furent point fécondées ; il trouve le moyen de faire apparaître brusquement un enfant qui vagit et il persuade à la vierge que cet enfant vient de jaillir de son ventre. 0 faiseur de prodiges, les inutiles vérités géométriques, tu ne les portes pas en toi avant de les y avoir mises. Pour les découvrir ou les faire découvrir, n'as-tu pas été obligé de regarder au dehors et de tracer des figures sur le sable ?

Sathon répèta une parole qu'il aimait à dire :

— Apprendre, c'est se souvenir.

Il ajouta :

— Certaines circonstances extérieures peuvent être utiles ou nécessaires à réveiller les souvenirs.

— Tu crois donc que tu portes en toi de petits carrés, et de grands carrés, et des lignes diagonales ? Sans doute aussi, tu te crois plein de cercles, de triangles, de sphères et d'autres figures semblables ?

— Tout, je porte tout en moi. Le savant Socrate et Manès l'ignorant portent également tout en eux.

— L'être et le non-être ?...

— L'être seulement, astucieux Socrate.

— Tu accordes donc de l'être et de la réalité au carré ?

— Sans aucun doute.

— Tu crois qu'il y a dans la nature des carrés parfaits ?…

— Que veux-tu dire ?

— …Et qui n'ont aucune épaisseur ?... Et qui sont limités par des lignes parfaitement droites et exactement égales ?

— Que veux-tu dire ? — répétait Sathon qui ne rougissait plus d'orgueil mais d'un commencement de confusion.

— Excellent fils d'Ariston, tu as fait trouver en lui-même à cet enfant des choses qui ne sont ni en lui ni hors de lui, des suppositions, des abstractions, des pauvretés péniblement séparées de la richesse des choses véritables.

Sathon s'irritait. Il se leva, disant :

— Pardonne-moi, Socrate. Le soleil baisse déjà et j'ai oublié au charme de ta conversation certaine affaire urgente.

Quand il fut à quelques pas, il se retourna.

-En vain, — dit-il, — vous riez de moi. Si je n'étais si pressé je vous prouverais que j'ai fait trouver à Manès des vérités qui étaient en lui.

Et il se mit à courir pour ne pas entendre ce que répondait Socrate.

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27 juillet 2008 7 27 /07 /juillet /2008 16:38

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII]


IX

Cette force, dont Socrate négligeait de parler, il l'avait soigneusement développée en lui. Il avait élevé en lui une citadelle que les événements ont démontrée imprenable. Mais comment croyait-il que sa science de lui-même avait suffi à un tel ouvrage et que la forteresse était bâtie avec de la seule lumière ?

Beaucoup de lumière s'éclabousse contre les pierres blanches d'un tel acropole. Mais les pierres sont faites d'autre chose que de clarté. Et, si le jour est nécessaire à éclairer le travail, ce n'est pas le soleil qui bâtit.

A cause de la science de Socrate, Socrate était la citadelle qu'on ne peut prendre par la ruse et le mensonge. Mais, pour la rendre imprenable aux entreprises de la violence et aux entreprises de la séduction, il fallait autre chose que de la science.

La science de Socrate l'empêchait de croire ceux qui parlent au nom des dieux, ceux qui parlent au nom de la patrie, ceux qui parlent au nom des lois écrites, ceux qui parlent au nom de l'opinion et de cette folie qu'ils osent appeler glorieusement l'honneur. Mais n'ont-ils pas d'autres moyens de se faire obéir que la croyance ? N'offrent-ils pas à ceux qui voudront dire comme eux des terres, de l'argent, des esclaves ? Ne menacent-ils pas ceux qui leur désobéiraient, d'amendes, de prisons, de supplices, de l'exil, de la mort ? Socrate n'a-t-il pas repoussé plus d'une offre ? n'a-t-il, pas méprisé bien des menaces ? n'a-t-il pas bu, en souriant, la ciguë ? La science suffit-elle à des triomphes pareils ?

Je posais parfois de telles questions à Socrate. Mais je les posais mal, sans netteté suffisante. Je parlais avec timidité, parce que j'étais jeune et parce Socrate m'inspirait une amoureuse admiration. J'éprouvais une manière de remords à ne point penser comme lui. Il y avait dans mes paroles l'incertitude du jeune homme et du disciple. Je me reprochais ma présomption ou mon inintelligence dès que je n'étais plus de l'avis du maître. L'amoureux qui pose à la bien-aimée certaines questions tremblantes désire être rassuré plus qu'être éclairé. Il accueille avec joie toute réponse un peu vraisemblable. Ainsi j'étais heureux de croire ce que répondait Socrate. 

J'étais heureux sur le moment. Loin de lui, mes inquiétudes revenaient.

Or Socrate répondait toujours ces paroles ou d'autres semblables :

— Ce que tu appelles la force est encore fait de science. Je sais que l'argent, les esclaves, les terres ne sont pas des biens au même titre que la vertu et de l'âme. Ils ne sont même pas des biens au même titre que la santé du corps. Cette science suffit pour que je méprise l'argent, les terres et les autres choses de cette sorte, dès qu'on me demande de payer ces riens avec mon tout. Je sais que les huées et les rires du peuple, les menaces des magistrats et de la foule, la prison ou la mort ne sont pas des maux au même titre que l'injustice que je commettrais, le mensonge que je dirais, l'idée fausse que j'admettrais en moi. Voilà pourquoi nulle menace ou nul supplice n'obtiendront que je commette l'injustice, que je dise le mensonge, que je m'arrête dans la recherche de la vérité.

— D'autres que toi, Socrate, ont cette connaisssance, qui cependant n'agissent pas comme toi. Il faut donc qu'il y ait en toi une autre vertu que la connaissance. Qu'est-ce qui fait que la science, inutile chez eux, prend en Socrate puissance et efficace ?

— Malgré les apparences, cesse de croire, mon fils, qu'il y ait chez ceux dont tu parles connaissance véritable. Etre mauvais, tu en es convenu vingt fois, c'est être malheureux. Crois-tu que quelqu'un soit malheureux volontairement.?

— Je ne crois pas cela, Socrate.

— Donc tu ne crois pas que quelqu'un soit mauvais volontairement. Puisque tous les hommes veulent être heureux, tous sont bons par la volonté. Si leur volonté n'a pas d'efficace, c'est que leur science du bonheur reste insuffisante. C'est qu'ils se trompent sur les éléments et les moyens du bonheur.

— Pourtant, Socrate, ceux qui parlent comme toi savent ce que tu sais. D'où vient donc la différence entre vos actions ?

— Ceux-là répètent des mots ; ils n'ont pas la science des choses.

— Sans doute, sans doute. Mais la science des choses n'est-elle faite que de science ?...

— Il souriait de la naïve formule. Et il disait avec indulgence :

— Explique-toi, mon Antisthène.

— Je sais ce que je veux dire, Socrate ; je ne sais pas le dire.

— Erreur, mon enfant. Quand tu sauras ce que tu veux, dire tu sauras le dire. Au lieu de mots généraux et qui nous embarrassent, essaie donc, mon Antisthène, de prendre un exemple. 

— J'essaierai, Socrate. Je tenterai de parler comme toi par des exemples. J'ai regardé plusieurs fois le menuisier Céramon et je sais comment il rabote une planche. Ce matin, il se plaignait d'être pressé dans son travail. J'ai voulu l'aider. Il s'y est opposé, affirmant que je gâterais la planche. J'ai déclaré que je savais raboter pour avoir regardé avec attention chacun de ses mouvements. Mais il a éclaté de rire et il a dit : « Seul, un philosophe ou un enfant peuvent s'imaginer que, pour raboter, il suffit de savoir comment on rabote. »

— Il aurait dû dire : « Pour savoir raboter, il ne suffit pas de connaître comment d'autres rabotent. »

— Tu donnes au mot savoir plus d'étendue que moi.

— Peut-être. Pour moi, savoir, c'est savoir faire.

— Suppose que Céramon demain soit paralysé ou que, dans trente ans, affaibli de vieillesse, il ne puisse plus pousser le rabot. Sa science du rabotement n'en sera pas diminuée.

— Mais la force du corps est nécessaire aux ouvrages du corps. Si Céramon restait huit jours sans nourriture, il serait incapable de raboter comme de marcher.

— La force de l'âme serait-elle donc inutile aux travaux de l'âme ?

— Elle leur est nécessaire.

— Tu avoues ce que tu niais tout à l'heure.

— J'avoue ce que je n'ai jamais nié. Mais sais-tu quelle nourriture soutient l'âme et lui donne sa force ?

— Je suis embarrassé pour répondre, Socrate.

— La science, ô mon fils, la science de toi-même est la nourriture et la force de ton âme. Ta force est encore science.

Je ne trouvais plus de réponse ou plutôt, dans mon trouble, je ne trouvais pas les mots pour répondre.

Je sentais vaguement alors, je sais aujourd'hui avec précision que la science est une des puissances qui sont en nous ; mais, le désir en est une autre ; la crainte en est une troisième. La vertu que j'appelle souvent la force consiste à faire triompher la science sur le désir et sur la crainte. Palamède fut savant pour son malheur ; aussi Prométhée. Héraklès était moins savant, mais sa. force utilisait sa science moindre et il agissait mieux.

Si j'avais été capable, comme aujourd'hui, de dire clairement ces choses, je sais bien ce que Socrate aurait encore répondu. Il aurait affirmé que la science, quand elle est véritable, supprime le désir mauvais et crée un seul désir, celui de bien faire. Il aurait affirmé que la science, quand elle est véritable, supprime la crainte mauvaise et laisse subsister une seule crainte, celle de mal faire. Il aurait refusé le titre de savants ou de sophistes à Palamède et à Prométhée, pour le réserver à Héraklès le bienfaisant. Il m'aurait dit :

— Ton ancien maître Gorgias peut, avec, plus d'éloquence que Céramon parler du rabot, de la scie et des autres outils du menuisier, et aussi des bois que travaille le menuisier, et encore des divers ouvrages réalisés par le menuisier, comme les tables, les bancs et autres choses semblables. Pourtant nous ne dirons pas que le savant menuisier s'appelle Gorgias, mais il s'appelle Céramon. Platon peut parler des lois, non écrites aussi bien que la jeune Antigone dans la tragédie de Sophocle. Mais il est capable de louer, comme Créon, les lois écrites. De sorte que tout son art est rhétorique, flatterie et faux semblant, non philosophie et science. L'homme, peut-être maladroit en paroles, qui observe les lois non écrites et s'oppose à l'injustice des lois écrites, celui-là est le savant philosophe, non point Platon.

Quelques-uns diront peut-être qu'entre Socrate et moi il n'y a qu 'uns querelle de mots. Quand, malgré la meilleure volonté, de telles divergences persistent dans le langage, ne manifestent-elles pas quelque désaccord profond, quelque différence essentielle dans cette partie ténébreuse de nous-mêmes que nous ne parvenons pas à connaître ?

Cette importance exclusive accordée par Socrate à la science, on sait comment Sathon en abuse. Ne révèle-t-elle, pas, même chez Socrate, quelque légère tendance à l'aristocratie ? Les mots que Socrate employait sont ici plus proches de ceux que Sathon emploie que de ceux dont je me sers. Ma pensée est pourtant plus voisine que celle de Sathon de la pensée de Socrate. Mais je blâme presque chez Socrate qu'un flottement vers l'aristocratie lui ait permis d'avoir tant de disciples aristocrates et amis des lois laconiennes. Dans l'importance excessive donnée à la science, dans le nom de science imposé mal à propos à la pratique et à la force d'âme se trouve, je crois, la légère faute de Socrate, la faute qui autorisa tant de Sathon, de Xénophon, de Critias et d'Alcibiade à le réclamer comme leur maître.

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25 juillet 2008 5 25 /07 /juillet /2008 16:37

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VIII

On peut dire que la vie entière de Socrate a été vécue sous les yeux des hommes. Le matin, il allait à la promenade et dans les lieux d'exercices. Il se montrait sur l'agora aux heures où la foule s'y pressait. Il passait le reste du jour au milieu d'assemblées souvent nombreuses. Il parlait librement devant tous et tous le pouvaient écouter librement. L'a-t-on jamais entendu prononcer un mensonge ? L'a-t-on jamais entendu vanter la Cité et les lois écrites ? L'a-t-on jamais entendu vanter aucune patrie, aucun magistrat, aucun gouvernement ?

Jamais.

Jamais il n'a loué aucun gouvernement ni aucune loi écrite, pas plus ceux d'Athènes que ceux de Lacédémone ou de quelque rêve.

J'en atteste tous ceux qui l'ont entendu et qui ne sont pas des menteurs. Honte à Sathon : il s'acharne à mettre dans la bouche de Socrate des pensées ingénieuses et fausses qui n'ont pu germer que derrière le front de Sathon ! Honte à Xénophon  : il s'acharne à mettre dans la bouche de Socrate les pensées banales et fausses qui germent spontanément, comme joncs dans les marais, dans l'esprit d'un capitaine de cavalerie !

Socrate ne parlait que des choses qu'on peut et qu'on doit savoir. Il cherchait la science possible et la science nécessaire : la science des mœurs, de la vertu, du bonheur. Il ne faisait pas, sur le cosmos, sur l'origine des choses, sur ce qui a donné naissance aux astres et aux animaux, de longs discours pédants et aventureux. Il déclarait, au contraire, qu'il faut avoir perdu l'esprit pour se livrer sérieusement à de telles spéculations. « Ces gens-là, demandait-il, croient-ils donc avoir épuisé tout ce qu'il importe à l'homme de savoir, qu'ils vont s'égarer dans ce qui l'intéresse si peu ? »

Il admirait l'aveuglement de ces faux sages qui ne sentent pas que notre esprit ne saurait pénétrer de tels mystères. Il montrait que ceux qui se piquent d'en parler le mieux sont en désaccord hurlant sur les principes. Qu'on les réunisse en grand nombre, et on se sentira dans une assemblée de fous. Quel symptômes remarque-t-on chez les malheureux touchés par la folie ? Ils redoutent ce qui n'a rien de terrible, souvent même ce qui n'existe point, mais ils ignorent les dangers véritables. Ainsi les prêtres, les physiciens et ceux qui les écoutent. Ils ont peur des dieux; ils craignent d'être malheureux dans une autre vie incertaine ; et ils ne savent pas avoir peur des mensonges et des avidités qui sont en eux ; ils ne songent pas à combattre le malheur d'aujourd'hui. Ils ne savent même pas que mon bonheur ne peut être construit qu'en moi et par moi ; ils ignorent que, tant qu'ils ne construisent pas leur bonheur, ils restent nécessairement cet amas de ruines habité par les serpents qu'on appelle un malheur.

Dans leurs rêves concernant la nature des choses, les uns se figurent qu'il existe une seule substance ; pour d'autres, le nombre des substances est infini. Celui-ci voit toute les parties de la matière emportées dans un mouvement continuel et fait pour donner le vertige; mais celui-là prouve qu'il n'y a pas de mouvement. Ici on démontre que tout commence et périt ; là, qu'il ne saurait y avoir naissance ni destruction.

— Quand nous avons appris un métier — disait Socrate —, nous nous sentons en état de l'exercer pour notre usage ou pour l'usage des personnes que nous voulons obliger. A celui qui croit connaître les causes des choses et des événements demande de te donner de la pluie quand ton champ a soif ; du soleil, quand il faut chauffer et mûrir tes fruits. Il ne sait rien faire de tout cela. Tu dois donc admettre qu'il ignore comment tout cela se fait ou, pour le moins, que sa science est sans utilité.

Ainsi il méprisait les vaines recherches. Content de s'entretenir des choses qui sont à la portée et à l'usage de l'homme, il examinait ce qui est juste ou injuste ; il s'appliquait à connaître ce que c'est que sagesse et folie, courage et lâcheté. Ou plutôt ces même lui paraissaient, dans leur généralité, vains et insolubles. Il étudiait de préférence ce que doit faire tel homme dans tel cas déterminé. Quand il abordait certaines questions générales, c'était pour montrer l'absurdité de toutes les solutions. Il disait : « Le général est le domaine de l'ironie. Seul, le particulier permet la maïeutique. Platon lui-même n'accouchera pas la féminité ou l'idée de la femme ; mais on aide à accoucher telle femme, et à l'heure voulue par la nature. »

Or Sathon objectait :

— Il n'y a de science que du général.

— J'en suis persuadé — répondait Socrate — et c'est pourquoi je ne sais qu'une chose, qui est que je ne sais rien.

Un jour, dans une discussion avec Alcibiade, Sathon, selon sa coutume, employait faussement la méthode maïeutique et il faisait trouver à Alcibiade je ne sais quelle définition générale.

— Charlatan aux subtiles paroles — dit Socrate — prestidigitateur aux doigts souples, tu fais toujours trouver à l'éblouissement de ceux qui te regardent des choses qui ne sont pas eux. Nulle définition n'est en Alcibiade, ni en toi ni en moi, jusqu'à ce que tu l'y aies introduite frauduleusement.

— Pourquoi dis-tu cela, Socrate ?

— Parce que toute définition est générale, mais je suis un être particulier et je ne connais que des choses particulières et des événements particuliers.

— Mais, sans définition, on ne peut discuter...

— Quel besoin as-tu de discuter ?

Alors le présomptueux Sathon, ami de la dispute :

— En vérité, si ce n'était pour disputer, pourquoi s'adonnerait-on à la philosophie ?

— Pour apprendre à bien vivre, mon Platon.

— Mais bien vivre, c'est obéir à la science.

Socrate avouait. Mais il vantait la science possible et utile, celle de moi-même, de mes vrais besoins et de mes vraies forces. Or cette science est la connaissance d'un être particulier et réel. Au contraire, ce que Platon appelait la science, la recherche du général, qu'est-ce que l'ignorance et la déformation du particulier, seul réel ?

Mille fois j'ai entendu Socrate tenir de tels discours. Ils me réjouissaient dans mon cœur et dans mon esprit. Car je connais l'impossibilité de définir ce qui est et que définir, c'est toujours parler de ce qui n'est pas. Je sais que la discussion qui s'appuie sur des définitions porte sur de l'irréel et conduit à des chimères. Et je sais, à ce sujet, beaucoup d'autres choses que j'ai dites en d'autres ouvrages. 

Quelque chose me déplaisait toutefois dans les discours de Socrate concernant la science. Socrate croyait que savoir c'est pouvoir et que toute faute est faite d'ignorance. Certes, il est vrai que je tombe plus facilement dans les ténèbres qu'à la lumière de midi. Mais la faiblesse de l'enfant ou du soldat blessé tombe même au grand jour. Socrate attribuait une importance trop exclusive à la lumière, pas assez d'importance à la force. C'est sur ce point que nous autres cyniques nous corrigeons et complétons particulièrement la pensée de Socrate. On peut voir les choses que je dis dans mon livre intitulé Le Grand Héraklès et aussi dans mon dialogue intitulé Le Bâton. On peut les lire encore aux ouvrages que le plus cher de mes disciples, Diogène de Sinope, à écrits sous ces deux titres : Le Mendiant et L'Homme courageux.

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22 juillet 2008 2 22 /07 /juillet /2008 16:35

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VII

Je n'ai pu noter les paroles qui furent prononcées aussitôt après la fuite d'Aristophane. J'étais trop ému pour écouter. Il y avait en moi un grand trouble et un grand soulèvement de poussière. J'étais une ville où un tremblement de terre vient de renverser des maisons et des pans de mur : stupide, sans rien voir de précis, je regardais le nuage soulevé par les chutes brusques.

On m'a conté depuis que Socrate, sans cesser de converser avec les uns et avec les autres, me regardait en souriant. Sans doute, il voyait mieux que moi ce qui se passait en moi.

Je sortis de mon silence lourdement méditatif, pour m'écrier :

— Et cet étrange Aristophane est un ami de la paix !

— Il ne sait pas ce qu'il est — remarqua doucement Socrate. Encore un qui ne se connaît point lui-même. Tant que tu ne te connais pas toi-même, tu es un amas de contradictions. Seule, ta lumière mettra de l'ordre dans ton chaos.

Je répétais ridiculement :

— Un ami de la paix... Un ami de la paix !…

— Tu juges peut-être sur une apparence, mon Antisthène.

Les Acharniens et mille paroles que je lui ai entendu dire...

— Peut-être ce qu'aiment Dicéopolis et Aristophane, ce n'est pas la paix extérieure fille de la paix de l'âme, mais la satisfaction de certains désirs, l'apaisement apparent que donne l'obéissance aux passions. Ce qu'aiment Dicéopolis et Aristophane, ce sont les petites filles de Mégare, la viande des cochons de lait, les denrées béotiennes les festins de Bacchos, l'ivresse soutenue par deux femmes grasses.

— Nous souriions, croyant revoir la comédie et tous ces grossiers tableaux de grossières jouissances.

Mais Aristippe murmura :

— Qu'aimerait-on dans la paix, sinon les plaisirs de la paix ?

— Tu as raison, mon Aristippe — dit Socrate. Mais tous ne mettent pas leur plaisir aux mêmes choses. Peut-être aussi il est des joies sereines que le mot plaisir exprime trop faiblement. 

— Ce n'est pas la paix — dit Alcibiade — qu'aime Aristophane. C'est l'argent. Ce poète comique est vendu comme un orateur. J'ai entendu dire que les Lacédémoniens l'ont payé assez cher.

Mais Socrate :

— Fils de Clinias, tu répètes témérairement des paroles téméraires. Aristophane n'est pas vendu de la façon extérieure que tu dis et pour de l'argent. Mais il aime les Lacédémoniens pour les mêmes raisons qu'il déteste Socrate. Les Lacédémoniens ont des lois écrites plus dures que les nôtres: Aristophane est de ceux qui aiment, tant qu'elle tombe sur d'autres, la dureté des lois. Dans l'armée laconienne, la discipline est plus sévère que dans l'armée d'Athènes. Aristophane approuve, tant que ce sont les autres qu'elles meurtrissent, les sévérités de la discipline. Les Lacédémoniens sont encore plus guerriers que les Athéniens. Aimer les Lacédémoniens en tant que Lacédémoniens, non en tant qu'hommes, c'est aimer la guerre.

Puis, se tournant vers Xénophon :

— On m'a dit que comme le jeune Agésilas, futur roi de Sparte, tu rêves d'une paix et d'une alliance avec Lacédémone pour permettre aux Grecs réunis de porter la guerre en Asie.

— Je fais parfois ce magnifique rêve, avoua Xénophon rougissant.

Plusieurs approuvèrent. Sans leur répondre directement, Socrate continua :

— Peut-être Aristophane, sans oser le dire — car il n'a plus la naïve jeunesse de Xénophon et ne court pas volontiers certains risques — fait le même songe. Peut-être la guerre entre Sparte et Athènes lui semble une trop petite guerre et qui, pour satisfaire sa grande âme, assassine des hommes trop peu nombreux. Il voudrait entre Grecs la quantité de paix nécessaire à une guerre plus vaste, assez meurtrière et destructive pour rassasier son cœur.

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20 juillet 2008 7 20 /07 /juillet /2008 16:33

[I] [II] [III] [IV] [V] [VI] [VII] [VIII] [IX] [X] [XI] [XII]


VI

Chez le jeune Aristoclès, fils d'Ariston, le maître admirait la largeur puissante des épaules, la largeur lisse du front, la largeur aussi, comme fuyante et vague, des pensées. Et il l'appelait toujours Platon.

Un jour, ce Platon dit orgueilleusement au milieu d'une nombreuse assemblée :

— O Socrate, il est juste que tu m'aimes par-dessus tous ceux qui écoutent tes paroles. Car je t'entends plus profond que les autres. Souvent même, partant de ce que tu as dit, je découvre des choses que tu n'as pas dites ni peut-être pensées.

— Comme découvres-tu ces choses, mon Platon ?

— Par la dialectique, très cher Socrate.

— La dialectique est souvent trompeuse, ô mon fils. Elle est un moyen de donner aux autres ce qu'on a trouvé,. Je ne crois pas qu'elle soit un moyen de trouver.

— Alors par quel moyen trouvera-t-on ?

— Par deux moyens, mon enfant. D'abord en regardant avec ses yeux. Mais les choses qu'on découvre avec les yeux du corps ne sont pas toutes d'un grand prix et plusieurs nous détournent des recherches profitables.

— Dis le moyen des recherches profitables.

— La seule science profitable est la science de soi-même. Et le moyen des recherches vraiment profitables, c'est de regarder en soi.

— J'admire, ô Socrate, à quelle profondeur tu as raison. Je regarde en moi, et j'y trouve toutes choses. J'y trouve même plus que les choses, j'y trouve l'essence des choses. Car j'y trouve d'abord qu'avant cette vie obscure, j'ai marché dans un char à la suite des dieux. Or mon char, gloire et lumière, éclairait toutes choses, et je savais toutes choses. Ma naissance fut une chute loin des dieux, une chute loin des essences véritables, une chute dans l'oubli et parmi les ombres. Regarder en moi, c'est remonter vers les dieux, vers les essences, vers les seules vérités. Apprendre n'est que se souvenir.

— Magnifique rêveur !

— Toute pensée un peu profonde, ne l'appellerons-nous pas un rêve ?... A moins que nous ne sachions découvrir en nous, en notre passé glorieux, que notre présent est un rêve qui fuit et les apparences parmi lesquelles nous vivons, des ombres et des fantômes.

— Les songes que tu dis, mon Platon, sont le poète que tu es. Pour le sage ils restent aussi indifférents que les spéculations de physique à quoi d'autres perdent leur temps et leur âme.

— Cesse d'être injuste, ô Socrate, pour des pensée qui me rapprochent des dieux.

— Je suis juste, mon Platon, pour des pensées qui, même lorsque tu crois regarder en toi, t'éloignent de toi.

— Les choses que je dis, où les trouverais-je, sinon en moi ?

— Tu les trouves en toi, mon Platon, aux heures où, mal éveillé, c'est ta fantaisie, non ta raison que tu appelles toi.

— Quelles choses ordonnes-tu donc que je cherche en moi ?

— Deux sortes de choses : ce que tu dois faire pour être une harmonie heureuse  ; ce que tu peux faire pour être une harmonie heureuse. Il faut, mon Platon, que, négligeant les moindres ouvrages, tu deviennes l'ouvrier de ton bonheur. Les connaissances qui te permettront de sculpter ton bonheur, voilà les seules connaissances que tu doives chercher en toi.

— Mon bonheur, ô Socrate, je le trouve précisément aux vastes pensées que tu blâmes, aux réminiscences des temps qui précédèrent ma chute dans un corps. Le corps est un tombeau. Mon bonheur, c'est de m'évader quelques instants hors du tombeau de chair. Ces évasions d'une heure, ces résurrections précaires, me donnent le seul espoir de l'évasion définitive, de la renaissance pour toujours. Par un bond qui s'appelle la mort, je remonterai, ô joie, dans le char de lumière et je volerai sur la trace des dieux.

— Ne confonds pas, mon Platon, le bonheur avec l'épanouissement d'une ivresse ou d'une volupté. Le vrai bonheur se reconnaît à ceci qu'il ne s'accompagne point de lyrisme et de vertige. Il ignore les élans et les brusqueries, tous les bondissements qui retombent. Je n'interdis ni les voluptés, ni les vastes pensées incertaines. Mais j'ai pitié de celui qui rend ces éclairs pour le durable soleil du bonheur. C'est ton durable bonheur qu'il te faut allumer. Homme, marche sur la terre, au lieu de rêver que tu voles dans le ciel. On se réveille de tous les rêves, et combien de réveils sont des déceptions. Fais aujourd'hui ton travail d'aujourd'hui. S'il y a un demain après là mort, ce que j'ignore, attends l'aurore nouvelle pour commencer le travail du jour nouveau.

Et, tout souriant :

— Tu crois obéir à l'oracle que je vais répétant: Connais-toi toi-même. Mais tu regardes tes ténèbres, quand je conseille que tu cherches ta lumière.

— Je vois des lumières, et les plus précieuses, dans ce que tu appelles mes ténèbres.

— Les lumières que tu crois voir n'ont rien de réel. Elles sont filles de tes yeux obstinés, de leur fatigue et de ton désir.

Il ajouta :

— Quand Phidias dit à un apprenti : « Connais-toi toi-même », que veut-il dire ? Demande-t-il que l'apprenti sache quels éléments constituent son corps, ce que c'est que le sang et de quoi se compose sa liqueur, de quoi est faite la chair des muscles, quelle est la matière des nerfs et des veines ; comment tout cela se produit au ventre de la mère et grandit et grossit pendant l'enfance  ; si les poils de nos bras poussent comme les plantes de la terre ou si leur génération est différente...

— Ces choses sont intéressantes, ô Socrate.

— Ces connaissances sont inutiles au sculpteur, excellent fils d'Ariston, et nul peut-être ne les peut atteindre. Tous ceux qui en parlent avec assurance me paraissent des songeurs bavards. Phidias ne demande pas à l'apprenti l'inutile et l'impossible. Il lui conseille : Connais tes forces, afin que tu ne brises pas le marbre sous des coups trop violents. Connais tes forces, afin que tu n'abandonnes pas la statue avant de l'avoir rendue aussi belle que tu la peux rendre. Et, si Phidias dit à l'apprenti : « Connais le marbre », il ne lui demande pas de savoir ce que les physiciens d'hier ou les physiciens d'aujourd'hui racontent touchant le marbre. Ce que l'apprenti doit apprendre, c'est quelle résistance le marbre oppose au statuaire et quelles ressources offre le marbre au statuaire. Et quand Phidias dit : « Connais les instruments dont tu te sers », il n'exige pas que l'ouvrier sache, au sujet de ces instruments, ce que les physiciens peuvent dire touchant leur matière et leur forme et moins encore ce qu'ils peuvent dire touchant la matière en général et la forme en général. Il veut que le sculpteur sache à quoi est propre chaque instrument et quelles sont l'étendue et les limites de sa puissance. Ou ne crois-tu pas que ce soit là ce que veut dire Phidias ?

— Tu as parfaitement expliqué, Socrate, les conseils de Phidias. Mais le philosophe...

— Mon Platon, je suis un vieux sculpteur qui conseille un jeune sculpteur. 0 Platon, sculpteur de ton propre bonheur, écoute-moi trois fois et comprends-moi trois fois. Car tu es tout ensemble l'ouvrier, la matière à travailler, l'instrument qui travaille. C'est pourquoi je ne te donne pas trois conseils, comme Phidias, mais trois fois le même conseil : « Connais-toi toi-même. » Or la connaissance dont je parle est une connaissance possible et non trompeuse, utile et uniquement pratique.

— Pourquoi me refuses-tu, Socrate, une part de mes richesses ?

— Les richesses que tu songes te font négliger, te font perdre les biens réels.

Or Sathon le présomptueux affirma :

— Je possède les richesses que tu me veux et, avec elles, mille richesse que tu as tort de mépriser. Les unes ne me font point perdre les autres. Plus mon trésor est grand, mieux je le garde.

— Enfant ! tu veux porter, outre les fruits nourriciers, les rameaux inutiles et les feuilles inutiles. Tu te charges au-delà de tes forces. Tes bras étreignent mal le trésor mêlé. Avant que tu sois arrivé au lieu du repas, les secousses de ta marche alourdie auront semé le long de la route tous les fruits. Et tu pleureras devant ton trésor stérile de feuilles et de branches.

— J'ai les bras plus larges que tu ne crois, ô Socrate, et j'ai l'œil plus attentif. Rien ne se perdra de ce que je porte. Et les fruits resteront plus frais que si je les portais seuls. Peut-être aussi ce que tu appelles stérile est à ma bouche le fruit le plus savoureux.

Le maître secouait, devant tant d'obstination et d'orgueil, une tête mécontente.

— Mets-moi à l'épreuve, continua Sathon. Mieux que tout autre, je sais manier tes méthodes. Mon ironie peut vaincre Calliclès ou Gorgias. Ma maïeutique peut découvrir dans l'âme d'un ignorant des connaissances même que tu n'y crois pas enfouies. 

— Euclide déjà a étudié mes méthodes, non sa vérité. Euclide déjà a pris le moyen qui me sert à enseigner pour le but vers quoi marche mon enseignement. Euclide et toi n'êtes-vous pas des hommes venus chez un forgeron de charrues et qui, ayant appris de lui ce qu'il leur pouvait apprendre, se servent de leur science pour forger des épées ?

— L'épée est plus noble que la charrue.

— Tuer te semble plus noble que nourrir ? Le mal te semble plus noble que le bien ?

— Je veux tuer le mal seulement. Je veux tuer ceux qui ravagent les moissons semées par mes esclaves.

— Et tu ne ravageras jamais les moissons des Lacédémoniens ?

— J'espère ravager leurs campagnes plus qu'ils ne ravagent les miennes.

— Un mal qui s'ajoute à un autre mal te semble le réparer ?

— Il empêche des maux futurs.

— Folie !... Si le hasard t'avait fait naître à Lacédémone, tu jugerais bon de tuer des hommes athéniens et de brûler nos oliviers ?

— Assurément.

— Ainsi ton bien et ton mal dépendent du lieu où ta mère t'a enfanté !

Sathon se redressa comme s'il allait dire : « e suis un sage »ou quelque autre parole glorieuse. Or il dit avec emphase :

— Je suis citoyen d'Athènes.

— Moi, — répondit Socrate — je suis citoyen, non d'Athènes, mais du monde.

Alors plusieurs des imbéciles qui étaient là murmurèrent et le prétendu philosophe Sathon parla aussi stupidement qu'un orateur devant le peuple .

— Tu te fais injure, cher Socrate, et tu t'es conduit bravement dans les combats.

— Tu as entendu dire qu'à Délium j'ai sauvé la vie de Xénophon et, à Potidée, la vie d'Alcibiade. As-tu jamais entendu dire que j'aie tué quelqu'un ?

— Tu aurais tué s'il l'avait fallu. 

— Il ne faut jamais tuer ; il ne faut jamais frapper.

— Même si tu es frappé ?

— Même si je suis frappé.

Aristophane le poète comique était parmi ceux qui écoutaient. Il s'écria :

— Ce que tu viens de dire, ô Socrate, est indigne, non seulement d'un athénien, mais d'un homme.

Et, brusquement, il frappa Socrate de son pied.

Non moins brusquement, dès qu'il eut porté le coup incertain, il bondit en arrière, s'éloignant de la force redoutable de Socrate.

On m'a conté depuis que Socrate ne cessa pas un instant de sourire, et que nulle rougeur ne colora son front, et que nulle pâleur n'envahit son visage.

Je connais ces choses parce qu'on me les a contées. Car je ne voyais plus Socrate.

Je m'étais précipité sur le bouffon chauve et je le serrais à la gorge.

Mais les mains puissantes de Socrate saisirent mes mains, desserrèrent mon étreinte.

Je pleurais de rage et de honte. Pourtant je dis :

— Maître, tu as raison. Traînons cet homme, ou plutôt cette ordure, devant les magistrats.

Socrate eut le grand rire qui parfois ouvrait sa large bouche jusqu'à paraître diviser en deux éclats son visage. Puis il s'écria :

— Ainsi, mon Antisthène, si un âne te frappe de son sabot, tu te demanderas s'il vaut mieux ruer à ton tour contre lui ou le traîner devant un tribunal ?

— Non. C'est au maître que je m'en prendrai.

— Dis-moi donc quel, est le maître de l'âne Aristophane, et je verrai ce que j'ai à faire.

Je me taisais et tous se taisaient. Aristophane s'éloignait, rouge de plus de fureur et de honte que s'il avait été puni par des coups ou par une amende.

Mais, étant rentré en sa maison, il commença d'écrire la fameuse comédie intitulée Les Nuées. Car il était de ceux qui se vengent du mal qu'ils ont fait ou voulu faire ; il était de ces insensés à qui la honte fait commettre de nouvelles sottises ; il était de ces ânes qui ruent des deux pieds.

On sait que ce misérable Sathon, depuis que Socrate est mort, a loué à plusieurs reprises Aristophane et ce qu'il ose appeler la poésie de l'infâme bouffon. Il a fait davantage, ce menteur de tous les mensonges ; il a osé, au Banquet chez Agathon, huit ans après Les Nuées, nous montrer le méprisable Aristophane et le grand Socrate conversant ensemble comme deux égaux, comme deux amis !

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17 juillet 2008 4 17 /07 /juillet /2008 15:48

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V

Un ancien amant du beau Xénophon était devenu le favori de Cyrus le jeune. Cet homme, béotien d'origine et beaucoup plus âgé que le fils de Gryllos, s'appelait Proxénos. J'ai connu ce Proxénos dans ma première jeunesse. Il écoutait Gorgias au temps où j'écoutais Gorgias. Avide de richesses et de plaisir, il n'étudiait sous les sophistes que pour apprendre à parler avec art et se rendre capable de séduire les rois et les assemblées, les jeunes femmes et les éphèbes. Il écrivit au beau garçon qu'il aimait toujours pour l'engager à venir à Sardes; et il lui promettait, s'il savait plaire à Cyrus, une merveilleuse fortune. Xénophon, déjà décidé dans son cœur ébloui, mais, comme il arrive, un peu honteux de sa décision, montra l'épître à Socrate et lui demanda son avis. Or j'étais présent et, le soir même, en arrivant à ma maison du Pirée, j'ai écrit cet entretien entre Socrate et Xénophon.

Souvent, dans ces Entretiens Véritables, je résume et resserre ce que j'avais d'abord noté avec plus d'étendue. La stupidité ou la mauvaise foi de l'interlocuteur contraignait Socrate à des détours, à des explications presque enfantines, à. des répétitions sans nombre. Je trouve sur mes tablettes, certains morceaux de dialogue jusqu'à quinze et dix-huit fois tantôt absolument identiques, tantôt avec des variantes qui n'offrent aucun intérêt philosophique et qui, pour ceux qui n'ont pas connu les personnages, n'offrent aucun intérêt d'aucune sorte. Ces répétitions inévitables dans la vie, encore que je ne me pique pas de « faire un livre » comme disent quelques uns, je crois inutile de les imposer au lecteur. Quand j'ai copié une fois de telles aroles, je les néglige aux rencontres nouvelles. Les entretiens que je publie sont véritables en ce sens que je n'y mets pas un mot qui n'ait été dit. Mais ils sont plus courts que les entretiens complets. Certaines longueurs, qui n'étaient pas déplaisantes dans la conversation, deviendraient insupportables à la lecture. Quelquefois cependant, comme je vais le faire, je reproduis mes notes dans toute leur étendue. Afin que ceux qui n'ont pas eu le bonheur de connaître Socrate n'ignorent pas sa façon de parler et quelle souple et persuasive bonté la faisait varier selon l'intelligence de l'interlocuteur. On devine, d'ailleurs, sans que j'aie besoin d'en avertir, que des notes, même cueillies aussitôt après un entretien, font déjà, que nous le voulions ou non, un premier choix dans ce qui a été dit. Notre mémoire, même quand elle s'efforce de repasser par tous les détours, prend, dès que le chemin est indifférent, des raccourcis. 

Socrate
Pourquoi, mon Xénophon, me demandes-tu conseil, au lieu de te demander conseil à toi-même ?
Xénophon
Parce que, Socrate, ton âge et ta sagesse t'enseignent beaucoup de choses que j'ignore.
Socrate
Si tu ignores ces choses, de quelle utilité te seront-elles ?
Xénophon
Mais, si tu consens à me les dire, je ne les ignorerai plus.
Socrate
Tu te trompes, mon Xénophon. Pour que tu cesses d'ignorer une chose, il n'est pas nécessaire que je te la dise et il ne suffit pas que je te la dise. Mais il est nécessaire et il suffit que tu consentes à te la dire toi-même.
Xénophon
Tu parles avec obscurité, comme un oracle.
Socrate
Toute parole est vide et obscure qu'on ne se dit pas à soi-même.
Xénophon
Beaucoup d'oracles sont devenus clairs après avoir été obscurs.
Socrate
Oui, mon Xénophon. Mais, dis-moi, la lumière ne s'est-elle pas toujours produite de l'une ou l'autre de ces deux façons ?
Xénophon
Quelles façons, dis-tu ?
Socrate
N'est-il pas arrivé que seul, l'événement a montré dans quel sens l'oracle devrait désormais s'entendre ? Cela n'est-il pas arrivé pour l'oracle donné à Crésus et pour plusieurs autres ?
Xénophon
L'histoire est pleine de tels exemples.
Socrate
N'est-il pas arrivé aussi, que celui qui d'abord avait interrogé l'oracle s'est enfin décidé à s'interroger lui-même et à se répondre ?
Xénophon
Cela a pu arriver.
Socrate
Or, que la lumière se soit produite de la première façon ou qu'elle se soit produite de la seconde, n'a-t-elle pas toujours montré l'inutilité de l'oracle ?
Xénophon
Comment cela, Socrate ?
Socrate
Quand l'événement a éclairé le sens de l'oracle, n'est-il pas évident que la prophétie équivoque qui resterait obscure jusqu'à sa réalisation ne pouvait être de nul usage pour la conduite ?
Xénophon
Cela semble évident.
Socrate
Mais, si tu as enfin compris l'oracle parce que tu t'es enfin compris toi-même, n'était-il pas mieux de t'interroger d'abord ? N'aurais-tu pas reçu plus tôt la réponse claire.
Xénophon
Il semble que je l'aurais reçue plus tôt.
Socrate
Examine maintenant, mon Xénophon, si ces oracles inutiles ne sont pas quelquefois nuisibles.
Xénophon
Que dis-tu, Socrate ?
Socrate
Ne te rappelles-tu aucune circonstance où l'oracle ait menti ?
Xénophon
Je me rappelle quelques circonstances semblables. Mais les prêtres expliquent qu'en ces occasions, le consultant était indigne d'une réponse véritable, et les dieux l'ont voulu perdre pour son impiété.
Socrate
Les prêtres expliquent tout, parce que c'est leur métier de tout expliquer. Mais celui qui explique toujours tout ne m'inspire jamais aucune confiance.
Xénophon
Pourquoi cela, Socrate ?
Socrate
Pose-toi cette question à toi-même, mon Xénophon.
Xénophon
Si tu me renvoies toujours à moi-même, c'est donc en vain que je serai venu te consulter.
Socrate
Si je réussis à te renvoyer à toi-même, alors et alors seulement tu ne seras pas venu en vain auprès de moi.
Xénophon
Ainsi, tu ne veux pas en cette délibération difficile, me donner un conseil dont j'ai besoin ?
Socrate
Si la délibération te paraît difficile, tu es incapable d'utiliser le conseil que je te donnerais.
Xénophon
Suppose donc que la délibération me paraisse facile.
Socrate
Alors tu n'as qu'à te conseiller toi-même.
Xénophon
Puisque tu refuses de me répondre, tu m'approuveras sans doute si je vais jusqu'à Delphes et si je consulte le dieu qui t'a proclamé le plus sage des hommes.
Socrate
Va jusqu'à Delphes, si tu veux. Marche jusqu'à la porte du temple et lis ce qui est inscrit sur le fronton. Puis, sans entrer dans le temple, reviens chez toi et résous-toi.
Xénophon
Que lirai-je donc sur le fronton du temple ?
Socrate
Tu liras : Connais-toi toi-même.
Xénophon
Il est inutile que j'aille jusqu'à Delphes, pour lire des paroles que je connais et que je t'entends répéter chaque jour.
Socrate
Je crains que tu ne les connaisses pas et que tu ne les aies jamais entendues... Efforce-toi donc d'entrer dans le temple et interroge le dieu.
Xénophon
Tu conseilles le contraire de ce que tu conseillais tout à l'heure
Socrate
Peut-être je parle maintenant d'un autre temple et d'un autre dieu.
Xénophon
Quel temple dis-tu et quel dieu ?
Socrate
Le temple que tu es et le dieu qui ne saurait parler qu'en toi,
Xénophon
Dans le temple qui est en moi, je vois peut-être un autel et, sur cet autel, la statue de Cyrus. Car j'ai un cœur assez reconnaissant pour ne point redouter les bienfaits.
Socrate
Pourtant tu n'oses te demander à toi-même le plus grand de tous les bienfaits, ou plutôt le seul bienfait qui compte.
Xénophon
C'est que je suis pauvre, mais Cyrus est riche et il peut, d'un mot, faire ma fortune.
Socrate
Tu accepterais donc un bien que tu n'aurais point mérité ?
Xénophon
Qu'importe que l'ouvrier soit payé avant ou après le travail. Ma reconnaissance et mon dévouement au bienfaiteur me donneraient ensuite les mérites qui m'auraient manqué d'abord.
Socrate
Ainsi tu aurais reçu ton prix comme on reçoit le prix d'un esclave.

Xénophon rougit sous ce dernier mot. Il garda un instant le silence, puis il s'éloigna, disant qu'il allait méditer les paroles du maître.

Socrate, cependant, restait pensif. Quand nous fûmes seuls, je respectai quelque temps sa méditation. Mais, enfin, je suggérai doucement :

— Si Socrate voulait penser tout haut, Socrate réjouirait le cœur d'Antisthène.

— Je songeais — dit Socrate — que ce Xénophon au front étroit et cet Aristoclès que nous appelons Platon pour la largeur de son front ont peut-être une même façon de méditer mes paroles.

— Quelle façon dis-tu ?

— Ils les tournent et les retournent, les usent et les polissent jusqu'à ce qu'elles disent enfin non plus la pensée et le sentiment de Socrate mais les rêves de Platon ou les avidités de Xénophon.

Deux jours plus tard, je rencontrai le fils de Gryllos, et il me dit :

— Je pars à Delphes consulter Apollon comme le maître me l'a conseillé devant toi.

Je rappelai à Xénophon les paroles exactes de Socrate et qu'elles ne conseillaient nul voyage extérieur. Mais il s'irrita contre moi, il m'accusa de mauvaise foi et il me demanda avec indignation si je le considérais comme un imbécile incapable de comprendre ce qu'on lui disait.

Lorsque je contai à Socrate cette rencontre, il interrogea souriant :

— Ne t'avais-je pas dit ce que Xénophon appelle méditer mes paroles ?

Or Xénophon ne demanda même pas à l'oracle s'il devait ou non aller à Sardes. Il demanda à quel dieu il devait sacrifier pour obtenir un heureux voyage. Quand je connus cette étrange conduite, je m'étonnai devant Socrate, disant :

— Ainsi le stupide fils de Gryllos est de mauvaise foi jusqu'avec lui-même ?

— Quand on est de mauvaise foi — répondit doucement Socrate — c'est toujours avec soi-même.

J'ai entendu souvent d'autres disciples demander à Socrate s'ils devaient consulter l'oracle. Socrate déconseillait toujours cette démarche. « Il n'y a aucune raison, — disait-il — de demander aux dieux ce que tu peux savoir par toi-même. Quant aux choses que tu ne peux savoir par toi-même, elles ne te concernent en rien et les dieux, s'ils sont raisonnables, ne consentiront pas à satisfaire tes vaines curiosités. » Mais cette doctrine était bien profonde et bien sévère pour l'inintelligence et la lâcheté de la plupart des hommes.

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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 15:43

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IV

Les enfants eux-mêmes savent par cœur le texte de l'accusation portée contre Socrate : « Mélétos, fils de Mélétos, du bourg de Lampsaque, accuse Socrate, fils de Sophronisque, du bourg d'Alopèce. Socrate viole les lois en niant les dieux qu'honore la cité et en introduisant de nouveaux dieux, et il est coupable de corrompre la jeunesse. Peine : la mort. »

Les enfants et les hommes répètent par cœur ces paroles honteuses et ils en font honte à Mélétos, fils de Mélétos. Mais, à cause des mensonges de Sathon et de quelques autres, ils négligent de jeter la honte vers le véritable et large but : la cité. Car il est vrai que Socrate, obéissant à la nature ou, comme il disait, aux lois non écrites, violait noblement les lois écrites et les ordres de la cité. Les lois de la cité se sont vengées honteusement, selon leur coutume.

Moi aussi je méprise Anytos, Mélètos et Lycon. Mais, je les méprise pour leur véritable crime : parce qu'ils ont obéi, obéi jusqu'à devenir des meurtriers, aux lois artificielles et menteuses de la Cité. Je les méprise d'avoir été des citoyens, non des hommes.

Antisthène le chien, faisant sa fonction de chien de Socrate, a aboyé contre Mélétos, contre Anytos, contre Lycon ; il ne cessera d'aboyer contre ces misérables qui furent des citoyens, non des hommes. Il les a mordus quand il a pu les mordre. J'ai contribué à faire exiler Anytos et à faire condamner à mort Mélétos.

Peut-être Antisthène le chien a eu tort. Peut-être Socrate me dirait : « Le mal que tu as fait à Mélétos, ajoute-le, loin de l'en retrancher au mal que Mélétos m'a voulu faire ». J'avais entendu souvent de belles paroles de Socrate qui auraient dû me faire entendre, après sa mort, des paroles telles. Hélas ! mes oreilles étaient encore trop jeunes pour de telles paroles.

Je me croyais l'ami de Socrate en le vengeant de ses ennemis. Dans ma vieillesse, je suis plus ami de Socrate et de ce qu'il voulait. Je comprends mieux sa pensée et je regrette d'avoir poursuivi des hommes qu'il n'eût pas poursuivis. Je le regrette d'autant plus que, ayant puni Mélétos et Anytos, les Athéniens croient avoir puni les meurtriers de Socrate. Ils ignorent encore le nom du vrai meurtrier de Socrate et qu'il ne s'appelle ni Mélétos, ni Anytos, ni Lycon, mais qu'il s'appelle Nomos (4). Ils ont brisé, après s'en être servi, un de leurs innombrables poignards ; ils n'ont pas brisé en eux-mêmes le respect de la loi et le goût du meurtre légal.

Socrate et Antisthène le jurent par le chien : Socrate était coupable aux yeux stupides de la loi. Non, il ne poussait pas la sottise jusqu'à croire aux dieux qu'honore la Cité. Malgré ses mensonges, Sathon lui-même a rapporté, dans son Eutiphron, adoucies et affaiblies, quelques-unes des railleries dont Socrate accablait la religion, cette alliée de la loi écrite, cette mère de milliers de crimes et de myriades de sottises.

Xénophon conte menteusement que Socrate offrait de fréquents sacrifices soit dans sa maison soit sur les autels publics. Je n'ai jamais vu Socrate sacrifier chez lui. Si les circonstances l'engageaient à sacrifier en public, il le faisait comme il obéissait aux autres lois et coutumes dès que coutumes et lois ne causaient de mal à personne. Mais il obéissait en raillant et en se moquant. Son obéissance même restait une leçon d'indépendance. 

Il ne cachait point qu'il obéissait par mépris. On se détourne du droit chemin pour ne point tomber dans un abîme ou ne se point meurtrir contre un roc, mais on ne chante point la douceur charmante du rocher ou la plénitude du gouffre.

Quand Socrate sacrifiait, je l'ai toujours entendu railler et se moquer. Il disait :

— Faisons pour ces malheureux dieux ce qu'ils ne sauraient faire pour eux-mêmes.

Il ajoutait :

— Heureusement, ces êtres imaginaires n'exigent que les parties inutilisables de la victime. Ce qui permet à tous les hommes de vivre et aux prêtres d'engraisser.

Un jour, on me demanda devant lui une offrande pour la Mère des Dieux. Je répondis en riant :

— Un riche s'indignerait si j'avais l'insolence d'apporter à sa mère une drachme ou une obole. Pourquoi me demandes-tu de faire une telle injure aux dieux et de les accuser, en me mêlant de leurs affaires de famille, de laisser leur mère dans le besoin ?

Socrate rit de son grand rire et il dit au quêteur qui se retournait vers lui  :

— Antisthène a répondu pour tous les hommes pieux. Considère-moi, je te prie, comme un homme pieux.

Le quêteur ne recueillit pas une obole dans l'entourage de Socrate.

Un autre jour, un prêtre orphique vantait devant nous la félicité des initiés dans les champs Elyséens. Je lui demandai :

— Qu'attends-tu donc pour mourir et aller goûter de telles joies ?

— Il attend, dit Socrate, d'être certain des choses qu'il nous raconte.

On sait qu'il ne daigna jamais se faire initier. Il affirmait :

— Le voyage est plus utile que tu fais en toi-même que le voyage qui te conduit à Eleusis.

Il disait encore à ce sujet :

— Si les paroles de l'hiérophante et du dadouque contredisent les paroles de mon daïmon, pourquoi irais-je écouter des mensonges ? Si les paroles du dadouque et de l'hiérophante sont d'accord avec celles de mon daïmon, pourquoi irais-je écouter des paroles solennelles et difficiles alors que mon daïmon me parle familièrement et selon ma capacité de comprendre ? Mais, si l'initiation parle de choses que mon daïmon ignore, pourquoi perdrais-je mon temps à rechercher des connaissances inutiles ?

Xénophon affirme que Socrate croyait à la divination. Jamais Socrate n'a manifesté une telle croyance. Je ne ferai pas à droite le mensonge que Xénophon fait à gauche. J'avoue toute la vérité : j'ignore si Socrate croyait à la divination ou s'il n'y croyait pas. Peut-être l'ignorait-il lui-même. Car la question lui paraissait indigne de tout intérêt. Voici les seules paroles sur ce sujet qui soient sorties de sa bouche devant moi. Et je les ai entendues des fois nombreuses  :

— Ne consulte pas les dieux ou les oiseaux, — recommandait Socrate — ne consulte rien ni personne sur ce que tu peux savoir par toi-même. Mais ce que tu ne peux savoir par toi-même n'est pour toi d'aucune utilité.

Ainsi le sage ne daignera même pas se demander s'il croit ou non à la divination puisque, vraie ou fausse, cette science n'est pour lui d'aucun usage.

Donc Mélétos dit vrai quand il déclare que Socrate méprisait les dieux que la cité honore. Le seul tort de Mélétos c'est de blâmer ce qui est digne de louange. Xénophon commet la même faute et en outre il ment sur les faits.

Mélétos dit vrai quand il affirme que Socrate introduisait des divinités nouvelles. Socrate introduisait d'innombrables divinités nouvelles.

Il m'approuvait quand je disais :

— Selon la loi, il y a plusieurs dieux ; selon la nature, il n'y a qu'un dieu. Il ajoutait que Dieu ne ressemble à aucun être que nous connaissions ou puissions connaître et qu'il est impie de le représenter par des images.

Après Anaxagore qui, malgré l'amitié de Périclès, fut condamné comme athée, Socrate honorait souvent un dieu qu'il appelait l'Esprit. L'Esprit, qui du chaos extérieur a fait un cosmos, est le seul dieu extérieur à l'homme. Antisthène n'accorde à aucun autre être le nom de dieu. Mais Anaxagore parlait de l'Esprit avec assurance. Socrate et Antisthène parlent de l'Esprit avec doute et inquiétude comme on parle d'une chose incertaine, lointaine, que notre oeil ne verra jamais, que notre intelligence ne concevra jamais. Même, si je comprends bien certaines paroles que Socrate a prononcées le dernier jour de sa vie et qu'on lira en leur lieu, Socrate, dans sa vieillesse, ne croyait plus à l'Esprit.

Mais Socrate parlait avec assurance d'autres dieux, innombrables, de dieux aussi nombreux que les hommes. Chaque homme est un chaos, mais il y a en chaque homme un dieu qui si tu le veux, ordonnera en cosmos et en bonheur ton chaos douloureux.

Ce dieu intérieur nous enseigne les lois non écrites, nous arrête au bord des actions mauvaises, nous conseille de désobéir aux lois de la Patrie dès qu'elles sont contraires aux lois non écrites. On sait avec quelle attention scrupuleuse Socrate écoutait son daïmon et lui obéissait. Mais on a conté à ce sujet à ce sujet mille fables ridicules. A en croire le vulgaire des ignorants et le vulgaire des philosophes, Socrate serait un vaniteux qui s'imaginait être seul à avoir un daïmon. Or Socrate ne s'est jamais cru privilégié en rien et il savait que quiconque écouterait avec le même soin que lui son daïmon deviendrait bon et heureux comme lui.

Je lui demandai un jour si en cas de désaccord, il obéirait de préférence à l'Esprit, ordonnateur du chaos extérieur, ou au daïmon, ordonnateur du chaos intérieur. Il me répondit :

— Peut-être ta question n'a aucun sens. Car, si l'Esprit a quelque chose à me dire, comment pourra-t-il me le dire ?

— Je ne sais, Socrate.

— Crois-tu qu'il puisse m'apparaître sous la forme d'un homme et me parler avec une bouche ?

— Je ne crois pas cela, Socrate.

— Crois-tu qu'îl puisse emprunter la voix d'un prêtre ?

— Le prêtre m'a toujours paru le pire ennemi de l'Esprit.

— Ce n'est donc pas du dehors que l'Esprit me parlera ?

— Il y a apparence, en effet.

— Il me parlera donc au dedans de moi-même ?

— C'est probable.

— Mais, la voix divine que j'entends en moi, ne sais-tu pas que je l'appelle mon daïmon ?

— Je le sais, Socrate.

— Si donc l'Esprit a quelque chose à me dire, c'est mon daïmon qui me dira cette chose.

Je lui demandai encore :

— Chaque homme a-t-il comme toi un daïmon pour le conseiller.

Il me répondit :

— Oui, mais tous ne savent pas l'écouter.

— D'où vient, Socrate, que tous ne savent pas l'écouter ?

— Quand tu es sur l'agora, mon Antisthène, parmi les rumeurs de la foule, entends-tu le souvenir de ma voix aussi nettement que lorsque tu marches seul sur la route du Pirée ?

— Moins nettement, Socrate.

— Et les voix qui sont en toi, où les entends-tu mieux, dans la solitude ou sur l'agora ? 

— Dans la solitude.

— Mais la plupart des hommes ne vivent-ils pas toujours comme sur l'agora ?

— Je ne sais ce que tu veux dire, Socrate.

— Ne sont-ils pas toujours attentifs à la voix de la coutume, à la voix de la loi, aux cris d'approbation ou de blâme de la multitude, aux promesses et aux menaces des magistrats, aux paroles vides des prêtres et des oracles ?

— Ils sont toujours attentifs à quelqu'une de ces choses, Socrate.

— Puisque tu sais cela, comment ignorerais-tu quels grands bruits couvrent pour eux la voix douce et profonde de leur daïmon ?

— Je ne l'ignore plus, Socrate. Il faut, pour entendre son daïmon, fermer les oreilles aux bruits du dehors. Désormais donc, pour entendre la vérité qui est en moi, je fermerai mes oreilles aux mensonges de la Cité, des lois et des coutumes.

Nous gardâmes le silence quelques instants car je songeais à ce que je venais de dire, et ce que je venais de dire me semblait plus vrai à mesure que j'y songeais davantage. Socrate souriant me regardait songer. Et il regardait autour de nous ceux qui songeait comme moi. Mais, quelqu'un ouvrant la bouche, Socrate lui fit signe d'attendre.

Et je voyais ces choses comme dans un rêve.

Je sortis enfin de mon rêve, demandant :

— 0 Socrate, la divinité que tu appelles mon daïmon, n'est-ce point celle que j'appelle tantôt ma conscience, tantôt ma raison.

— Tu l'as dit, mon Antisthène ; et le fils de Phænarète vient de réussir sans peine un de ses meilleurs accouchements.

Or Xénophon était là, et Phédon, et Sathon. Leurs oreilles entendirent comme les miennes. Si Phédon et Xénophon avaient le même esprit que moi, si Sathon avait le même bon vouloir et la même bonne foi que moi, ils auraient compris comme j'ai compris.

Mais la troisième accusation est-elle juste et Socrate corrompait-il la jeunesse ?

Les trois accusations sont injustes comme la loi. Les trois accusations sont vraies aux yeux des tyrans qui soutiennent les lois et des imbéciles qui croient à la bonté des lois. C'est pour quoi elles déshonorent, non point les seuls accusateurs et les seuls juges qui condamnèrent, mais quiconque par calcul tyrannique ou par sottise servile vante la loi, quiconque commande au nom de la loi ou obéit aveuglement à la loi.

Socrate, comme tous les sages, parlait contre la loi et contre la cité. Ceux donc qui aiment la loi et la cité doivent affirmer que Socrate et la sagesse corrompent la jeunesse. Longtemps avant Anytos, Mélétos et Lycon, Aristophane le comique avait porté cette accusation contre Socrate.

Mais quelqu'un peut-il aimer la loi et la Patrie pour elles-mêmes et d'un cœur sincère ? Socrate soutenait le contraire.

Il disait, un jour, à Xénophon, qui ne comprenait point :

— Ne cherche jamais à connaître les sentiments du peuple.

— Pourquoi, ô Socrate ?

— Parce que tu ne cherches pas dans les vagues tumultueuses de la mer lorsque tu désires boire.

— Que veux-tu dire, Socrate ?

— La mer ne contient pas d'eau qui puisse étancher ta soif. Tu ne trouveras dans le peuple, pour étancher ton ignorance, nulle parole naïve et qui coule de source.

— N'est-ce pas, Socrate, parce que le peuple lui-même est ignorant ?

— Tu l'as dit, mon Xénophon.

— L'ignorant n'a-t-il pas raison de répéter ce que dit le savant ?

— Tant qu'il est ignorant, comment saurait-il si un autre est savant ?

— Que fera donc l'ignorant ?

— Il doit se taire devant tous tant qu'il est ignorant. Et il doit s'interroger lui-même jusqu'à ce qu'il ne soit plus ignorant.

— Tu es exigeant, excellent Socrate.

— Non, excellent Xénophon, mais c'est la raison que tu accuses d'exigence... Répéter comme vraie une parole dont on n'est pas certain qu'elle est vraie, n'est-ce pas un mensonge ?

— C'est un mensonge.

— D'autre part, les paroles que répète le peuple, crois-tu qu'elles viennent vraiment d'hommes savants ?

— Les magistrats et les orateurs dont le peuple répète les paroles sont assurément plus savants que le peuple.

— Si tu dis vrai, mon Xénophon, si les magistrats et les orateurs savent les choses dont ils parlent, je me réjouis de songer que jamais personne n'a subi aucun dommage pour avoir écouté les magistrats et les orateurs.

— Tu te moques, Socrate. Les histoires et les conversations sont pleines de plaintes et d'indignations sur de tels dommages.

— Celui qui sait les choses dont il parle ne conseille-t-il pas les actions les plus utiles ?

— Je ne sais que répondre, Socrate.

— Le médecin n'est-il pas celui qui sait ce qui convient au corps et qui conseille ce qui convient au corps ?

— C'est bien celui-là que j'appelle médecin.

— Mais, s'il est nuisible au corps, est-ce parce qu'il connaît la médecine ou parce qu'il l'ignore ?

— Parce qu'il l'ignore.

— Et le pilote qui perd le vaisseau, dirons-nous, qu'il est savant dans la science du pilote ou qu'il est ignorant ?

— Qu'il est ignorant.

— Donc le magistrat qui me cause un dommage ignore la science des choses utiles ?

— Il l'ignore, Socrate. Je crois pourtant que le peuple l'ignore plus que lui.

— Mais le magistrat et l'orateur ne sont-ils jamais des mercenaires qui songent à leur propre intérêt non à celui du peuple ?

— Ils sont souvent intéressés, en effet.

— Et n'arrive-t-il jamais, même lorsqu'ils savent, qu'ils mentent soit pour flatter le peuple, soit pour satisfaire quelqu'un qui leur a donné de l'argent, soit pour toute autre raison ?

— Je crois que les magistrats et les orateurs mentent souvent.

— Mais un homme peut-il avoir un plus grand intérêt que celui de dire la vérité ?

— Il me semble qu'il peut en avoir un plus grand.

— Il te semble mal, Xénophon. Car le plus grand mal qui puisse arriver à un homme c'est de corrompre son âme. De sorte que l'orateur et le magistrat qui mentent font encore plus de tort à eux-mêmes qu'au peuple. Et ils ignorent plus que le peuple ce qui est le véritable intérêt de l'homme.

— Tu dis des choses étranges, Socrate... Aimerais-tu mieux mourir que mentir ?

— Tout homme doit préférer la mort à ce qui peut l'avilir.

— Tu prononces de belles paroles, Socrate. Et peut-être je les répéterai, car il est plus utile de les répéter que de les croire.

Socrate ne put s'empêcher de rire. Et il dit :

— Ce pauvre Xénophon est ignorant et se croit habile. En quoi il ressemble à un magistrat. Et il vient de parler comme un magistrat parle dans son intimité. De sorte que ceux qui viennent d'entendre ne croiront plus les paroles de Xénophon. Et nul homme averti n'a jamais écouté les paroles d'un magistrat.

On voit par ce seul exemple que Socrate corrompait et comment il corrompait la jeunesse. Socrate était corrupteur comme la vérité. Car le magistrat appelle corrompu celui qui n'obéit pas au magistrat et appelle corrupteur celui qui conseille de désobéir au magistrat. Le maître appelle corrompu l'esclave qui ne lui obéit point et il appelle corrupteur celui qui ne conseille pas à l'esclave d'obéir au maître.

Pour la loi, Socrate corrompait la jeunesse. Mais Socrate savait que c'est la loi qui corrompt tous les hommes. Elle corrompt les magistrats : ils se servent d'elle pour des intérêts apparents, pour voler de l'argent et de l'influence. Elle corrompt les autres hommes : elles les rend attentifs à la voix menteuse des magistrats ; et elle les empêche d'entendre les vérités que dit leur cœur et leur raison.

Quiconque te conseille : « Obéis à la loi » est un corrupteur aux yeux du philosophe. Mais quiconque te conseille : « Obéis à ta conscience » est un corrupteur aux yeux du peuple et des magistrats.

La pourriture et le parfum s'accusent mutuellement de puer.


(4) La loi (Note du traducteur)

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12 juillet 2008 6 12 /07 /juillet /2008 12:27

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III

Socrate ne fut pas le premier sophiste que j'écoutai. Avant de l'entendre, j'avais souvent entendu Gorgias et quelquefois, quoique rarement, Prodicos ou Hippias. Malgré les mensonges par quoi Sathon s'est appliqué à déshonorer Gorgias, — mais ils ne déshonorent que Sathon — Gorgias était un maître admirable et que seul Socrate surpassait.

Quand le dialogue que Sathon a appelé Gorgias vint flatter bassement la malignité publique, le vieux sophiste, chargé d'années, vivait encore. Il avait toujours admiré — car il était exempt d'envie — la savante et sournoise rhétorique de Platon prétendu ennemi de la rhétorique. Cette fois, il n'admira pas moins l'injustice de Platon prétendu ami de la justice et il s'écria devant moi :

— Athènes a donné le jour à un nouvel Archiloque !

Car, en ce qui concerne Gorgias et Polos, le dialogue est menteur et injurieux comme les ïambes contre Néobule et Lycambès.

Pour consoler le vieux maître et, à la fois, pour témoigner en faveur de la vérité, je répondis :

— Ce Sathon ment quant aux personnes, mais aujourd'hui il dit vrai quant à la doctrine. Il te calomnie atrocement, mais il expose avec force contre son prétendu Gorgias, plus d'une pensée qu'aime le vrai Gorgias, plus d'une pensée que tu m'avais enseignée avant que Socrate l'enseignât à Sathon et à moi.

Alors Gorgias, tout souriant :

— Tu es généreux, mon Antisthène, et tu pardonnes les injures comme il convient à un disciple de Gorgias et de Socrate. Car cet Aristoclès que les autres nomment Platon et que tu appelles spirituellement Sathon t'a fait autant de tort, quoique d'une autre sorte, qu'à Gorgias. Pour me réfuter sans peine, pour me rendre ridicule, pour paraître seul admirable, ce vaniteux me prête des pensées et des paroles qui ne sont point miennes. Et il fait le même mensonge contre Polos. Quant à toi il te fait une autre sorte d'injure et il publie, comme s'il les avait inventées, des pensées et même des phrases copiées dans tes livres. Tout ce qu'il y a de bon et de vrai dans son nouveau dialogue, il l'a pillé selon sa coutume. Mais cette fois ce n'est pas Epicharme et Sophron qu'il a volés, c'est le seul Antisthène. Quelle doctrine y a-t-il dans son Gorgias, qui ne fût déjà dans ton dialogue intitulé Le Politique ?

Et Gorgias loua Le Politique avec une magnificence généreuse, comme il savait louer, en homme assez riche pour admirer sans envie les richesses des autres :

— C'est toi, mon Antisthène, qui premier as osé écrire nettement cette vérité, — la plus utile des vérités, si jamais les peuples la peuvent entendre — que tout homme d'état est un malfaiteur. Premier tu as osé écrire cette vérité difficile que la richesse et la puissance données à leur patrie par les plus vantés des politiques sont des présents funestes. Et comme tu as rendu sensible cette vérité difficile en comparant ingénieusement ces biens apparents et éblouissants à la toison d'or ! De même que la possession de la toison d'or déchaîna entre Thyeste et Atrée une lutte fratricide et entraîna pour leur descendance des crimes nombreux et de nombreux malheurs, de même tu as vu admirablement...

Mais j'interrompis Gorgias d'un geste qui demande grâce et je dis :

— Sathon ne fait tort aujourd'hui qu'à toi et à notre ami Polos. Car, pour Calliclès, je lui ai entendu dire, en effet, plusieurs des folies et des violences que Sathon met sur ses lèvres. Mais, lorsque Sathon écrit, sans me nommer, des choses que j'ai écrites avant lui il ne commet nulle injustice : chacun a le droit de répéter en nommant le seul Socrate des paroles que Socrate a dites non pour moi, mais pour tous.

— Peut-être, dit Gorgias. Mais Sathon parle au hasard. Demain il prêtera à Socrate des discours contraires à ceux qu'il répète aujourd'hui. Dans le plaisir, qu'il méprise aujourd'hui comme Socrate ou comme un cynique, combien de fois l'ai-je entendu vanter un élément nécessaire du bonheur. Et ces hommes d'état, qu'il méprise aujourd'hui comme Socrate ou comme un cynique, je l'ai entendu les louer en paroles magnifiques et rythmées pour les mêmes raisons que les loue le vulgaire.

— Peut-être il a enfin compris certaines vérités. Réjouissons-nous donc et répétons le proverbe phrygien : Mieux vaut tard que jamais.

Mais Gorgias, secouant sa tête chenue :

— Je suis sans doute trop vieux pour entendre Platon chanter une nouvelle palinodie. Toi, mon Antisthène, qui es encore jeune, souviens-toi de moi chaque fois qu'il se contredira avec impudence.

Gorgias mourut peu de jours après cet entretien. Je me suis rappelé souvent les paroles de Gorgias chaque fois que Sathon a vanté le plaisir comme un ingrédient nécessaire de la félicité. Et je me suis rappelé les paroles de Gorgias lorsque, à la fin du dialogue intitulé Ménon, j'ai lu, écrit par le même stylet que la juste condamnation de tous les hommes politiques un emphatique éloge des hommes d'état athéniens.

Parce que le peuple et les grands, ces deux populaces, méprisent également les sophistes et leur sagesse, l'énorme Sathon et le capitaine de cavalerie Xénophon se sont appliqués à séparer Socrate des sophistes. Nul mensonge plus éhonté.

Parmi les sophistes, tous n'étaient pas de mœurs pures. Mais ce n'est pas un Sathon ou un Xénophon, et ce n'est pas le peuple, et ce ne sont pas les grands qui ont le droit d'accuser qui que ce soit à ce sujet. Médecins, guérissez-vous vous-mêmes.

Gorgias, d'ailleurs, n'était pas, il s'en faut, le seul honnête homme parmi les sophistes. La vertu de Prodicos, par exemple, était admirable. Socrate l'aimait. Il lui adressait des disciples. Il rappelait avec plaisir que lui-même dans sa jeunesse avait suivi, non sans profit, l'enseignement du sage de Céos. Sathon ne l'ignore pas qui, par une risible inadvertance, le lui fait avouer au dialogue du Ménon et lui fait proclamer que les leçons de Prodicos lui furent utiles comme à d'autres les leçons de Gorgias.

Malgré les erreurs pratiques de quelques-uns d'entre eux, les sophistes méritent la reconnaissance de tout vrai philosophe. Ils nous ont indiqué le chemin de la sagesse. Ils se sont détournés des recherches inutiles de la physique pour étudier les mœurs humaines et chercher des règles de conduite. Ils ont oublié les astres pour songer aux hommes ou, si j'ose répéter le mot un peu superbe qu'Hippias dit un jour devant moi, ils ont fait descendre la philosophie du ciel sur la terre.

Aussi Socrate les aimait. Il pensait avec eux que l'homme ne doit se préoccuper que des choses humaines. Au-dessus des arts particuliers, agriculture, architecture, tissage, navigation, médecine, au-dessus de tous les travaux qui servent à la vie du corps, il mettait l'art d'être homme et de faire grandir et prospérer ce qu'il y a d'humain en chacun de nous. Cet art est précisément la sophistique ou la philosophie. Et Xénophon s'est souvenu avec exactitude quand, au quatrième livre de ses Entretiens mémorables, il a fait appeler par Socrate la sophistique « la plus belle des sciences, le plus grand des talents, un art vraiment royal ».

Le grand mérite des sophistes et la cause véritable pour laquelle les êtres les plus méprisables feignent de les mépriser, c'est que, ayant fait comparaître la cité devant le tribunal de la nature, ils ont entendu la nature condamner la cité et la patrie.

Socrate est un sophiste, le plus grand et le meilleur de tous. Seulement, il n'emploie pas les mêmes mots que les autres. Au lieu de dire la cité, il dit la loi écrite ; au lieu de nommer la nature, il nomme la loi non écrite. Il méprise la loi écrite par respect pour la loi non écrite, comme tous les sophistes dignes de ce beau nom méprisent la cité par amour pour la nature. Mais j'ai traité amplement de ces choses dans mon livre Des Sophistes.

Quelle mauvaise foi chez Xénophon et chez Sathon ! En plusieurs lieux de leurs livres, ils font vanter la loi par Socrate, et rien n'indique qu'il s'agit de la loi non écrite dont la pire ennemie est la loi écrite. Ainsi, même lorsqu'ils rapportent des paroles authentiques, ils savent, par quelque petit retranchement ou quelque légère addition, faire mentir jusqu'à la vérité ; ils lui font dire le contraire de ce qu'elle disait. Et ces misérables osent se prétendre disciples de Socrate le véridique !

Xénophon est peut-être surtout coupable de sottise. Je le soupçonne de n'avoir jamais rien compris qu'aux arts merveilleux de tuer, la chasse et la guerre. Mais que dire de Sathon ? Il comprenait, celui-là. La lumière avait l'espace pour s'épanouir derrière son large front, lisse au temps de Socrate et pur en apparence, ridé aujourd'hui comme coquille d'escargot. Mais il a adopté des opinions d'Héraclite qu'il a connues par Cratyle et il a adopté des opinions de Pythagore qu'Hermogène lui a enseignées. Il doit beaucoup de choses aussi à deux poètes comiques, Sophron et Epicharme. Ce grand pillard est allé écouter les billevesées des prêtres d'Egypte. Toutes les liqueurs de Grèce, de Sicile et de Grande-Grèce, il les a mêlées avec des eaux du Nil. Et il attribue l'odieux mélange à Socrate qui s'en indigne, si l'on se peut indigner dans les champs élyséens, ce que j'ignore.

Pour moi, je me glorifie d'avoir entendu dans ma jeunesse deux entre les meilleurs sophistes. Mais je ne mêle pas leurs enseignements et je n'attribuerai pas à Socrate du bourg d'Alopèce ce que j'ai appris par Gorgias de Léontium.

D'ailleurs, je n'ai pas l'injustice de traiter de la même façon les souvenirs de ces deux hommes inégaux. Je sais que je dois à Socrate mille fois plus qu'à Gorgias. Gorgias était admirable pour l'art de persuader et pour la connaissance des vérités morales tant qu'on n'avait pas entendu Socrate. Dès que j'ai entendu Socrate, je ne voulus plus d'autre maître.

Je n'étais pas alors le vieillard que se plaît à dire Sathon, qui vieillit volontiers les autres philosophes comme une femme vieillit ses rivales. Malgré ma jeunesse, j'avais déjà quelques disciples. Je les renvoyai en leur disant  : « Quand une époque a le bonheur de posséder un Socrate, c'est lui seul qu'il convient d'écouter ». Aussi longtemps que Socrate a vécu, je n'ai plus consenti à avoir des disciples ; ceux qui venaient vers moi pour apprendre la vérité et les bonnes mœurs, je leur disais : « Venez apprendre avec moi de celui qui m'enseigne ; l'eau est plus fraîche et plus saine qu'on boit à la source ».

A cette époque, j'habitais le Pirée. Je faisais chaque matin un chemin de quarante stades pour venir entendre Socrate. Je ne rentrais chez moi qu'à la nuit. Aussitôt arrivé, j'écrivais ce que j'avais entendu dans là journée. Matin et soir, le long du chemin, je méditais les paroles de Socrate. Car les paroles de Socrate étaient d'une plénitude inépuisable. Je puis dire que je vivais jour et nuit avec Socrate comme une amante fidèle avec celui qu'elle aime. Quand mon corps était loin de son corps, mes oreilles entendaient toujours non seulement ses paroles mais sa voix ; souvent mes lèvres souriaient parce que mes yeux le croyaient voir.

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1905-pmi-2010Petit manuel individualiste
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Couverture de la réédition du Le Père Diogène
Pour les germanistes... Nelti

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