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1 janvier 2009 4 01 /01 /janvier /2009 00:01

Une année est bonne, mon chéri, pour ceux qui l'ont passé sans haine et sans peur.

Anatole France, "La perquisition" in L'Etui de nacre.

On arrive à contrer la haine, mais pour ce qui est de la peur... Oublions 2008 et son cortège d'horreurs, tombons de Charybde en Scylla, et sautons à pieds joints dans le bran l'an 2009. Pour combattre la peur, il nous faudrait plus que l'absence de haine, il nous faudrait l'amour, cette "vaste charité du genre humain" des stoïciens comme expliqué par Han Ryner dans cet article de l'Encyclopédie anarchiste qui m'avait échappé en août 2007 (merci Daniel pour le texte).


Charité, n. f. Les deux premiers sens indiqués par Littré sont l° « Amour du prochain » ; 2° « Acte de bienfaisance, aumône ».

Pour que la seconde signification ait pu dériver de la première, il a fallu que l’idée d’amour, alourdie d’on ne sait quoi de grossièrement protecteur, glissât un peu bas le long du concept de pitié... Aujourd’hui, la charité — parfois on précise et on dit la charité chrétienne — n’est plus nommée qu’avec dégoût par les êtres un peu dignes. Ils ne veulent ni la recevoir humblement ni la faire dédaigneusement. Pourtant, ce mot qui sent la soupe distribuée aux portes d’un couvent, fut beau et parfumé en sa prime jeunesse. Charité découle du grec charis, comme le nom même des Grâces, ou, pour répéter nos poètes du XVIe siècle, des Charites. Avant d’être rendu nauséeux par l’abjection chrétienne, il disait non la pitié mal penchée, le secours dédaigneux et l’inégalité dégradante pour le bienfaiteur comme pour le protégé, mais l’amour d’autrui avec son cortège de sourires ravis, de charmes émus, d’attentions discrètes. Dans ce premier sens, il est la création des stoïciens. Cicéron nous explique comment ils opposaient la vaste « charité du genre humain », caritas humani generis moins aux amitiés choisies et exclusives des épicuriens qu’à la défensive et offensive solidarité civique vantée par les péripatéticiens et les autres esclavagistes. A l’odieuse formule d’Aristote : « L’homme est un animal politique », ils opposaient la vraie maxime de large et égale charité : « L’homme est, par nature, ami de l’homme ».

Certains mots ont traîné, hélas ! dans trop de boue pour qu’on les puisse laver. Comme au sac d’une ville meurt la femme violée par trop de soldats, les chrétiens ont tué de trop de souillures un terme qui fut souriant et profond, que nul effort ne fera revivre. — Han Ryner.


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28 septembre 2007 5 28 /09 /septembre /2007 10:47

Trinité, n. f. (du latin trinitas, de trinus, triple). Un seul Dieu en trois personnes. C'est, nous assure-t-on, le dogme fondamental de l'Eglise catholique et de plusieurs sectes protestantes. La certitude en est si bien établie que Calvin fit brûler Michel Servet parce que cet impie refusait de voir Dieu comme « un monstre à trois têtes ». Servet était indulgent pour le ridicule « mystère ». Un monstre à trois têtes est chose concevable. Mais non la trinité. Car, pour copier le Catéchisme du Diocèse et de la Province de Paris, « chacune des trois personnes est Dieu et possède la trinité tout entière » et cependant « les trois personnes ne sont qu'un seul et même Dieu ». Malebranche avoue (Recherche de la vérité, livre III, deuxième partie, chapitre VIII) : « On croit, par exemple, le mystère de la Trinité, quoique l'esprit humain ne le puisse concevoir ». Qu'est-ce que croire quelque chose qu'on ne conçoit pas ? Malebranche continue : « Et on ne laisse pas de croire que deux choses qui ne diffèrent point d'une troisième ne diffèrent point entre elles, quoique cette proposition semble le détruire ». Semble est indulgent. C'est qu' « on est persuadé qu'il ne faut faire usage de son esprit que sur des sujets proportionnés à sa capacité et qu'on ne doit pas regarder fixement nos mystères ». Il faut donc répéter des mots sans leur donner aucun sens et affirmer qu'on croit sans savoir ce qu'on croit. L'aveu célèbre de saint Augustin au livre VII de son traité De la Trinité, est plus court et plus net : « On parle de trois personnes, non pour dire quelque chose, mais pour ne pas se taire ». Dictum est tamem tres personæ, non ut illud diceretur sed ne taceretur.

Les trois dieux (pardon ! il n'y en a qu'un) ; les trois morceaux de Dieu (pardon ! chacun « possède la divinité tout entière ») : les trois ce que vous voudrez ; les trois personnes, - puisqu'il est entendu, depuis Saint Augustin, que le mot n'a aucun sens, - sont également éternelles et pourtant le Fils est engendré par le Père ; le Saint-Esprit n'est pas engendré mais, pour l'Eglise grecque et pour les Pères de Nicée, il procède du Père , pour l'Eglise latine, il procède du Père et du Fils. Prière de ne donner aucun sens aux mots engendrer et procéder, si on ne veut pas tomber dans quelque hérésie.

N'essayons pas une histoire de ce dogme ou de tout autre dogme. Croyons-les et croyons qu'ils remontent tous aux apôtres. Car, affirme Bossuet (préface de l'Histoire des Variations), « le Saint-Esprit répand des lumières pures et la vérité qu'il enseigne a un langage toujours uniforme... Tout ce qui varie, tout ce qui se charge de termes douteux et enveloppés a toujours paru suspect et non seulement frauduleux mais encore absolument faux, parce qu'il marque un embarras que la vérité ne connaît point ». Car « la vérité catholique, venue de Dieu, a d'abord sa perfection ». Et « l'Eglise, qui fait profession de n'enseigner que ce qu'elle a reçu, ne varie jamais ».

C'est pourquoi, dans le Symbole dit des Apôtres, le Père est le seul créateur ; mais, au symbole de Nicée, c'est par le Fils que « toutes choses eurent l'existence », si je traduis littéralement le texte grec ; et, si je m'en tiens au latin, « par lui toutes choses ont été faites ». Acceptons ce changement d'une Eglise « qui ne varie jamais » et ne lui rappelons pas que « tout ce qui varie a toujours paru... absolument faux ».

Pourquoi ai-je la mauvaise idée d'ouvrir le Catéchisme du Concile de Trente ? Après avoir étudié l'article du Symbole des Apôtres qui présente le Père comme le « créateur du ciel et de la terre », il ajoute : « En voilà assez pour l'explication de ce premier article, pourvu toutefois que nous donnions encore cet avertissement que l'œuvre de la Création est commune à toutes les personnes de la Trinité sainte et indivisée. Car nous confessons ici, d'après la doctrine des Apôtres, que le Père est créateur du ciel et de la terre ». Après ce précieux aveu, on ajoute le Fils et le Saint-Esprit, en se référant - mais terriblement on « se charge de termes douteux et enveloppés » - à des textes de la Sainte Ecriture tendancieusement ou plutôt follement commentés.

Les divers symboles se débarrassent rapidement du Père tout-puissant, seul créateur dans le premier, demi-créateur dans le second, tiers de créateur dans le troisième. Ils ne sont pas non plus très longs sur le Saint-Esprit. Mais ils s'attardent sur la deuxième personne. Le symbole de Nicée, par exemple, après avoir affirmé « un seul Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu et né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de Lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, qui n'a pas été fait mais engendré, consubstantiel au Père », nous détaille sa folle incarnation humaine. Un Dieu fait homme, dit à peu près Spinoza, c'est un triangle revêtant les propriétés du cercle.

C'est dans le Symbole dit de Saint-Athanase parce que personne ne croit plus depuis longtemps qu'il soit de ce Père, que l'Eglise expose le plus clairement - si l'on a la cruauté d'employer ce mot - son dogme de la Trinité. Copions ce symbole : il sera utile à qui voudra faire une histoire de la folie humaine :

« Quiconque veut être sauvé doit garder la foi catholique, qui adore un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l'Unité sans confondre les personnes ni diviser la substance. Car autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit ; mais la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, leur gloire égale, leur majesté coéternelle. Tel qu'est le Père, tel est le Fils, tel est le Saint-Esprit. Tous trois sont incréés, incompréhensibles, éternels, tout-puissants ; et pourtant ils ne sont pas trois incréés, trois incompréhensibles, trois éternels, trois tout-puissants ; mais un seul incréé, un seul incompréhensible, un seul éternel, un seul tout-puissant. Ainsi le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; et pourtant, ils ne sont pas trois Dieux mais un seul Dieu. De même le Père est Seigneur, le Fils est Seigneur, le Saint-Esprit est Seigneur, et pourtant ils ne sont pas trois Seigneurs mais un seul Seigneur.
« D'autre part, tandis que le Père incréé n'est ni fait ni engendré, le Fils incréé aussi est né pourtant du Père, non pas fait mais engendré, et le Saint-Esprit, incréé à son tour, est de par le Père et le Fils, n'étant ni fait ni engendré, mais procédant. Ce qui fait qu'il y a un seul Père et non Trois Pères, un seul Fils et non trois Fils, un seul Saint-Esprit et non trois Saint-Esprits. Mais de ces trois personnes, aucune n'est antérieure ou postérieure à l'autre, aucune n'est supérieure ou inférieure, de sorte que par tous les côtés, comme nous l'avons dit, il y faut adorer l'Unité dans la Trinité et la Trinité dans l'Unité ».

J'admire la solidité du prêtre Malebranche qui, lisant pieusement chaque semaine ces paroles dans son Bréviaire, ne laissait pas d'affirmer, honnête géomètre, que « deux choses qui ne diffèrent point d'une troisième ne diffèrent point entre elles ». - Han Ryner.

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26 septembre 2007 3 26 /09 /septembre /2007 10:45

Subjectif, Subjectivisme, Subjectivité. Ces mots s'opposent directement à objectif, objectivisme, objectivité. Le sens des mots sujet et objet et de leurs composés a tellement varié en philosophie, que leur histoire sémantique serait longue à exposer ou peu intelligible. La seule explication du sens que donne Descartes au mot objet demanderait des pages. Un philosophe presque contemporain, Charles Renouvier, mort en 1903, employait encore objet et sujet dans un sens à peu près contraire à l'usage généralement adopté aujourd'hui.

L'acception moderne a son origine dans la terminologie de Kant. Mme de Staël dit excellemment (De l'Allemagne, III, 6) : « On appelle, dans la philosophie allemande, idées subjectives celles qui naissent de la nature de notre intelligence, et idées objectives toutes celles qui sont excitées par les sensations ». D'une façon plus générale encore et pour parler le langage substantialiste coutumier, le subjectif est tout ce qui a rapport au Moi et à la vie intérieure ; l'objectif, tout ce qui a rapport au Non-Moi.

Page 1817 de cette Encyclopédie, Ixigrec a exposé clairement le point de vue scientifique et condamné toute méthode subjective. Il a absolument raison dans le domaine de l'affirmation générale. Ce qui est objectif doit rester individuel et ne jamais tenter de s'imposer à autrui. Je ne propose même pas ma métaphysique ou mon éthique, je les expose. Et ce n'est pas pour que d'autres rêvent mon rêve ou agissent selon ma conscience. Ceux qui ont, comme moi, le goût de cette poésie particulière qu'on appelle métaphysique ne doivent ni se laisser imposer un seul poème, je veux dire un seul système, ni prétendre que d'autres adoptent leur rêve et leur système. Si, élargissant peut-être le sens actuel du mot, j'ai intitulé Le Subjectivisme un exposé de mon éthique, c'est pour plusieurs raisons. J'indique ainsi que, méprisant toutes les morales qui se veulent universelles et qui osent ordonner, je m'efforce de styliser ma vie selon les conseils d'une « sagesse qui rit » et qui n'a pas la prétention de pouvoir servir à tous. Qu'elle m'encourage stoïquement ou qu'elle me berce épicuriennement, la sagesse que j'écoute m'enseigne toujours que le dehors, l'objectif, la matière de ma vie a moins d'importance que la façon dont je l'accueille : il est peu de circonstances auxquelles je ne puisse donner en moi, si je suis un artiste suffisant, la forme du bonheur. Enfin le premier conseil de toute sagesse me paraît le fameux « Connais-toi toi-même » et la partie intellectuelle de la sagesse n'est qu'une critique de mes pouvoirs et de mes vouloirs.

En métaphysique, ce que j'appelle subjectivisme n'est que le refus de toute autorité pour autrui comme pour moi ou, si l'on préfère, une affirmation de libre-pensée et d'individualisme. Mais, en éthique, aurai-je l'immodestie de croire que mon subjectivisme est un approfondissement de l'individualisme ordinaire ?... - Han Ryner.

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24 septembre 2007 1 24 /09 /septembre /2007 10:42

Stoïcisme, n. m. Du grec stoa, portique, parce que Zenon de Cittium, fondateur de la philosophie stoïcienne, enseignait sous un portique. Ce substantif correspond à deux adjectifs : stoïcien et stoïque. Le stoïcien est celui qui appartient à l'école de Zénon ; le stoïque est celui qui a la fermeté recommandée par Zénon. On pourrait dire d'Epictète, plus fervent de la pratique que des dogmes, qu'il était encore plus stoïque que stoïcien.

Si j'osais mêler les vocabulaires, je constaterais qu'il y a une façon pharisaïque (et d'ailleurs vulgaire) de comprendre le stoïcisme. C'est celle que blâme La Fontaine (Le philosophe Scythe) quand il nous montre « un indiscret stoïcien » qui

............... Retranche de l'âme
Désirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu'aux plus innocents souhaits.

Le fabuliste ajoute que « de telles gens »

..... Otent à nos cœurs le principal ressort :
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

Ce que condamne La Fontaine est une caricature, non le véritable stoïcisme. Il est vrai que beaucoup de professionnels de la philosophie s'y sont trompés, depuis Plutarque, ce pauvre prêtre, jusqu'à Paul Janet, membre de l'Institut, qui donna au Dictionnaire des Sciences philosophiques de Franck un article « Stoïcisme » d'une injustice et d'une ignorance émerveillables. Nul stoïcien n'a jamais élagué avec une telle indiscrétion. Ils ont seulement établi entre nos puissances une hiérarchie trop sévère et donné trop absolument l'empire à la raison. S'ils semblent condamner sans réserve les « passions », c'est question de vocabulaire : ils blâment sous ce nom les agitations folles et excessives, mais ils consentent aux « affections », mouvements beaux et eurythmés. Ils distinguent quatre « passions » dont la laideur s'efforce vers les faux biens ou se désole de ne les point posséder ; ils appellent ces quatre passions : tristesse, plaisir, désir, crainte. Le sage, par une méthode que j'indiquerai plus loin, s'affranchit de toute tristesse. Au lieu du plaisir et de ses petites secousses inquiètes, il se donne la joie continue : ascension dans la clarté ou, suivant la définition de Spinoza, émouvant voyage et « passage d'une perfection moindre a une perfection plus grande ». Au lieu de la crainte et de ses affolements, il connaît la souriante prudence qui veille toujours sur le trésor intérieur. Enfin, comme son effort n'exige jamais l'impossible ou l'aléatoire, comme ce qu'il réalise c'est toujours, dans l'indifférente victoire ou l'indifférente défaite extérieure, la beauté même de son effort et son propre perfectionnement par cette beauté, le sage ne dit pas qu'il désire, mais qu'il veut.

Bien loin que le stoïcien détruise aucune de ses puissances internes, ce qui domine en lui, c'est le sentiment de l'unité de son être et de son accord avec lui-même. Les mauvais instincts, pour employer un vocabulaire plus nouveau et plus clair que le sien, il ne les supprime pas en lui, il les rend indifférents par la platonisation ou utiles par la sublimation. Connaître l'harmonie que je suis, la réaliser de plus en plus et, à mesure que je la perfectionne, en prendre une conscience de plus en plus nette et de plus en plus large : voilà l'essence de l'éthique stoïcienne. Monter en quelque sorte sur chacune de mes connaissances pour agir plus haut, sur chacune de mes actions pour voir plus vaste.

La grande méthode morale du stoïcisme s'appuie sur la fameuse doctrine des choses indifférentes. Le stoïcien appelle indifférent tout ce qui ne dépend pas de lui. Cette définition, d'abord âprement volontaire, il en fait peu à peu une réalité subjective. Quand il a donné tout l'effort qui dépend de lui, il devient indifférent au résultat.

J'ai montré, dans la Sagesse qui rit, que le stoïcisme est essentiellement « un positivisme du vouloir ». Le savant positiviste, pour se donner tout entier à la recherche scientifique, se désintéresse de tout le domaine inconnaissable et métaphysique. Le stoïcien, pour ne perdre à des regrets et des découragements aucune parcelle de sa force et de sa volonté, se rend indifférent tout ce qui ne dépend pas de sa volonté et de sa force.

Mais, parmi les choses qu'il déclare indifférentes dès qu'il les compare au bien unique, la beauté de sa vie, il en reconnaît de préférables : il les recherche dès que cette recherche ne nuit pas au souverain bien ; il évite, quand il le peut sans laideur, les choses contraires aux préférables. Il y a plus : rechercher le préférable et éviter son contraire est un effort naturel, raisonnable, sans lequel on ne serait pas stoïcien.

Je ne parle que de ce qu'on appelle improprement la morale stoïcienne et qui est sagesse non morale. Quant à la logique et à la métaphysique de la secte, ce sont curiosités historiques qui n'intéressent plus que l'érudition. - Han Ryner.

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22 septembre 2007 6 22 /09 /septembre /2007 10:40

Schisme, n. m. D'un mot grec qui désigne ce qui est fendu, séparé. Etymologiquement, le même sens que scission, qui vient du latin. Mais schisme ne s'emploie qu'en matière religieuse.

Il se produit des schismes dans toutes les religions qui comptent de nombreux fidèles. Le plus ancien schisme que nous connaissions est le Boudhisme. Le second est celui des Samaritains. Le troisième grand schisme est le christianisme détaché du judaïsme. Simple schisme d'abord, le christianisme commença, avec Saint Paul, à devenir la plus vaste des hérésies. (Le schisme est une séparation de la communion, mais non de l'essentiel de la doctrine. L'hérésie porte sur la doctrine. Toute hérésie s'accompagne de schisme. Le schisme peut ne pas s'accompagner d'hérésie.)

On m'assure que le schisme des Samaritains existe toujours. Les Samaritains sont, paraît-il, plus sévères que les autres Juifs dans l'observation des fêtes. Ils rejettent toute l'Ecriture moins le Pentateuque. Ils s'obstinent à l'écrire en caractères archaïques et refusent d'employer les points voyelles.

Le fameux schisme des Grecs, commencé sous le patriarche Photius, devenu définitif sous Cérulaire, n'eut guère d'autre cause que les ambitions rivales des évêques de Rome et de Constantinople. Le romain, sous le titre de pape, prétendait gouverner toute l'Eglise chrétienne ; le byzantin, sous le titre de Patriarche œcuménique et universel, avait la même prétention.

L'Eglise d'Occident était d'ailleurs devenue hérétique en faisant, par une addition sournoise, procéder le Saint-Esprit du Père et du Fils, contrairement à la doctrine du Concile de Nicée, qui le fait procéder du Père seul. Comme celui qui procède est exactement aussi éternel que celui ou ceux dont il procède les mots n'ont aucun sens et, dans de tels cas, les divisions deviennent irréparables. En outre, l'Eglise latine consacre du pain sans levain et l'Eglise grecque du pain ordinaire. Il y a là de quoi se haïr éternellement.

Les Arméniens sont-ils hérétiques ou schismatiques? Rome leur donne ordinairement ce dernier titre quoiqu'ils rejettent le Concile de Chalcédoine et ces deux natures qui en Jésus font, pour les orthodoxes, une seule personne. Pour l'Arménien, unité de nature comme de personne, ce qui est proprement l'hérésie des Eutychiens ou Monophysites. Mais le grand crime des Arméniens, c'est que leurs prêtres, pour affirmer la nature unique de Jésus-Christ, ne mettent pas, au moment de la consécration, quelques gouttes d'eau dans leur vin.

Par la dogmatique, la religion anglicane se sépare si peu de la secte romaine qu'on parle plutôt du schisme d'Angleterre que d'une hérésie.

Le Grand Schisme d'Occident établit des papes concurrents à Avignon, à Rome et même quelque temps à Perpignan. On n'en sortit, et difficilement, et après beaucoup de salive, d'encre et de sang répandus, que parce que le Concile était alors supérieur au pape. Si les papes avaient déjà été supérieurs, le concile de Constance n'aurait pu déposer l'infaillible Jean XXIII et l'infaillible Benoît XIII, pour les remplacer par son élu Martin V. Nous jouirions toujours de deux ou trois papes et, au lieu de faire la guerre au nom des Patries, nous aurions le plaisir, sans doute, de nous entretuer au nom des Obédiences. - Han Ryner.

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20 septembre 2007 4 20 /09 /septembre /2007 10:37

Scepticisme, n. m. Tirés du verbe grec qui signifie examiner, les mots scepticisme et sceptique sont relativement récents. Le plus grand des sceptiques français, Montaigne, les ignore. Pascal aussi. Pourtant le célèbre suisse François de Bonivard (1493-1570), un peu plus ancien que Montaigne, avait déjà employé exceptionnellement le mot « sceptique ». Mais on disait d'ordinaire, et Bayle dit encore, pyrrhonien et pyrrhonisme.

Ce que l'on appelait le pyrrhonisme, ce que nous appelons le scepticisme, s'oppose au dogmatisme et Pyrrhon est peut-être, en effet, le premier qui ait, si l'on ose dire, professé un antidogmatisme universel et absolu. Il ne faut pourtant pas oublier qu'il avait été précédé par Protagoras et par tout le mouvement de la sophistique. La raison - disent à peu près Pyrrhon dans Diogène Laërce et son disciple Sextus Empiricus dans son livre Contre les mathématiciens - est souvent trompeuse. Nous ne pouvons nous fier à elle que si elle établit les titres de sa véracité. Où les chercherait-elle, sinon en elle-même ? Accepter la raison comme garant de la raison, c'est consentir à un cercle vicieux. Et Montaigne, sous une forme plus piquante (Essais, liv. II, ch. 12): « Pour juger des apparences que nous recevons des sujets (sujet est, à cette époque, à peu près synonyme d'objet dans la philosophie moderne) il nous faudrait un instrument judicatoire ; pour vérifier cet instrument, il nous faut de la démonstration ; pour vérifier la démonstration, un instrument : nous voilà au rouet. Puisque les sens ne peuvent arrêter notre dispute, étant pleins eux-mêmes d'incertitude, il faut que ce soit la raison ; aucune raison ne s'établira sans une autre raison : nous voilà à reculons jusques à l'infini. »

Descartes, si dogmatique à l'ordinaire, mais qui appuie naïvement son dogmatisme sur la véracité de Dieu, soupçonne, quelque part, que ce Dieu pourrait être un mauvais génie « qui emploie toute son industrie à tromper les hommes ». A dégager sa pensée de toute gangue théologique, il se demande si la raison n'est pas le jouet d'une illusion perpétuelle. Qui répondra, sinon la raison ? Ainsi ma raison ne peut établir sa véracité qu'à condition que je consente à supposer sa véracité. Le cercle vicieux est bien fermé. Aussi Bayle (Dictionnaire historique et critique, art. Pyrrhon), constate : « Il est impossible, je ne dirai pas de convaincre un sceptique, mais de raisonner juste contre lui, n'étant pas possible de lui opposer aucune preuve qui ne soit un sophisme, le plus grossier de tous, je veux dire la pétition de principe. En effet, il n'y a point de preuve qui puisse conclure, qu'en supposant que tout ce qui est évident est véritable, c'est-à-dire qu'en supposant ce qui est en question ».

Kant remarque que, dès que, franchissant les limites de l'expérience, je veux savoir, sur l'univers, quoi que ce soit d'absolu, ou je ne trouve rien d'absolu, ou je dépasse les limites de mon intelligence qui ne sait atteindre que les phénomènes. Je puis, par des arguments également forts ou plutôt également faibles, soutenir, par exemple, que l'univers a commencé ou qu'il est éternel; qu'il est infini ou qu'il est limité. Je dis ces arguments d'une faiblesse égale, car on ne démontre la thèse qu'en réfutant l'antithèse ou l'antithèse qu'en réfutant la thèse. Travail également facile, car non seulement l'une s'oppose à l'autre, mais la thèse comme l'antithèse contiennent une contradiction interne. Notre raison semble exiger que nous choisissons entre le oui et le non ; mais, que nous examinions critiquement le oui ou le non, nous les trouvons impossibles l'un et l'autre.

Refuges : le positivisme, le refus d'étudier des questions insolubles ; ou la poésie, le consentement souriant à une ou plusieurs métaphysiques désarmées du venin de l'affirmation. Dès que je veux du solide, je m'écarte de toute métaphysique et je répète avec Montaigne : « Ni comme ceci, ni comme cela, ni autrement. » Mais, si j'ai du goût pour les métaphysiques, je les purge les unes et les autres de toutes affirmations et, consentant dans un rire à la pétition de principe sur quoi s'appuie chaque philosophie, je rêve joyeusement : « Comme ceci, comme cela et de mille autres façons encore ». - Han Ryner.

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18 septembre 2007 2 18 /09 /septembre /2007 10:01

Saint-Office. Dans l'usage commun, Saint-Office est synonyme d'Inquisition (voir ce mot). Au sens propre, la Congrégation du Saint-Office n'est que l'inquisition de Rome. Deux caractères particuliers distinguent le Saint-Office : il montrait une douceur relative et on devine que, espagnol, Galilée n'eût pas évité le bûcher ; les autres Inquisitions ont disparu, mais le Saint-Office existe toujours, attente et menace. - H. R.

 

Saint-Siège. Le siège ne se définit pas seulement un « meuble fait pour s'asseoir » ou « la partie inférieure du corps sur laquelle on s'asseoit ». Le même mot désigne un « évêché et sa juridiction ». Quand il s'agit de l'évêché de Rome, on dit le siège pontifical, le siège apostolique ou le Saint-Siège. Pourtant, le Saint-Siège fut assez longtemps transféré à Avignon et il y eut même, quelques années, un Saint-Siège à Perpignan.

La primauté du siège de Rome fut longue à s'établir et on n'ignore pas que, durant des siècles, chaque évêque était indépendant ou, comme on disait, autocéphale et prenait, avec autant d'humilité que ceux de Rome ou de Constantinople, les titres de pape et de patriarche. Depuis longtemps, on enseigne aux fidèles que la primauté de Rome est d'origine divine, puisque Jésus, qui est Dieu, a dit à Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » et puisque Pierre fut, nous assure-t-on, le premier évêque de Rome. Or, dans la mesure où une négation historique peut se démontrer, il est prouvé que Jésus n'a jamais prononcé le précieux Tu es Petrus, et, aussi, que saint Pierre n'est jamais allé à Rome.

Remarquons, en souriant, avant d'entrer dans cette souriante démonstration, que Jésus, quand il parlait à Pierre, avait d'autant moins l'intention de s'adresser à Alexandre VI ou à Pie XI, que les deux interlocuteurs attendaient la fin du monde avant la fin de leur génération.

Saint Irénée, mort en 202, a écrit un ouvrage célèbre Contre les hérésies. Il cite tout ce qu'il peut trouver dans les Ecritures en faveur de l'Unité et particulièrement, qui ne prouvent pas grand chose, les versets 16 et 17 du seizième chapitre de Mathieu. Mais il ignore les versets l8 et 19 qui forment ce qu'on appelle aujourd'hui un argument massue : « Et moi je te dis aussi que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clés du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux ». Irénée cherchant éperdument aux Evangiles tout ce qui peut affermir unité et orthodoxie citant de nombreux passages peu pertinents et négligeant la citation capitale, prouve, pour quiconque n'a pas la foi, que le Tu es Petrus lui est postérieur. (Or, du temps d'Irénée, les Evangiles sont relativement complets. Le révérend Père Lodiel, de la Compagnie de Jésus, qui s'est amusé à compter (Nos raisons de croire, p. 57), a trouvé dans Irénée 469 citations des Evangiles ; dans Justin martyr, mort 35 ans plus tôt, les recherches les plus minutieuses n'en découvrent encore que 18.)

Ajoutons à cette preuve des indications corroborantes : Jésus, au temps de la Synagogue, n'a pu prononcer le mot Eglise. Cet anachronisme date l'interpolation. D'autre part, si on lit le texte en supprimant les deux versets, trop favorables à Pierre, les idées se suivent de façon beaucoup plus naturelle. Pierre ayant déclaré (verset 10) que Jésus est le Christ, Jésus lui répond (Verset 17) que seul le Père a pu lui révéler cette vérité et il défend (verset 20) de la répéter à personne. Même la suture est assez maladroite, puisque Jésus est censé rattacher l'interpolation à un discours commencé par cette manière d'exorde : " Et moi je te dis aussi ". Quant aux preuves du séjour de Pierre à Rome, je les copie dans un ouvrage d'enseignement approuvé par deux évêques et un archevêque : Histoire de l'Eglise de l'abbé E. Beurlier.

Je lis, pages IX et X : « Saint Ignace, contemporain de l'empereur Trajan, Saint Clément, qui vivait sous Domitien, parlent du martyre de Saint Pierre et de Saint Paul comme ayant eu lieu dans la capitale. (C'est moi qui souligne, on verra bientôt pourquoi, ces mots effrontés.) Bien plus, l'épître de Saint Pierre, datée de Babylone, est elle-même un témoignage irréfutable ; car on sait que ce nom désignait la ville impériale dans le langage symbolique des Juifs. A supposer même, avec les rationalistes, que ce document fût apocryphe, il serait encore un argument en faveur de notre thèse, car le faussaire n'aurait pas commis l'imprudence de dater la lettre d'un endroit où l'apôtre ne serait jamais allé. Enfin, le dernier chapitre de l'Evangile de Saint Jean suppose que l'apôtre connaissait la mort de Saint Pierre. »

Admirable faisceau de preuves. Sur l'ignorant qui lit vite - sur presque tout le monde - il produit conviction ou au moins ébranlement. Or il n'y a là qu'un hardi entassement de mensonges et d'apparences.

Accordons un certain nombre de choses inaccordables. Supposons que le tardif évangile, dit effrontément selon Saint Jean, présente les connaissances de Jean dit effrontément l'évangéliste. Ne supposons aucune interpolation dans son dernier chapitre. Oublions que l'aventure de Marc, dont les douze derniers versets sont encore ignorés des manuscrits du IVe siècle, nous met particulièrement en garde contre les derniers chapitres. Ne remarquons pas que la suite bizarre des idées dans Jean XXI, 15-19, oblige le critique à tous les soupçons. Lisons avec la plus imméritée des confiances. Que trouvons-nous dans ces fameux versets ? Une prédiction de la mort de Pierre par Jésus qui prouve, pour nous comme pour l'abbé Beurlier, que Pierre était mort quand cette prédiction fut écrite. Personne ne conteste à M. Beurlier que Pierre soit mort. Malheureusement, l'Evangile néglige le seul détail qui ferait du raisonnement à Beurlier autre chose qu'une fumisterie : il ne nous apprend pas en quel lieu Pierre est mort. Nulle mention ici, ni de Rome, ni même de Babylone. Ce premier témoignage est donc admirablement ridicule comme preuve du séjour de Pierre à Rome.

Examinons le second, probablement plus ancien que le premier. Saint Clément, que les listes catholiques des papes nous donnent comme évêque de Rome de 88 à 97 ou de 91 à 100, a écrit son épître aux Corinthiens avant le quatrième Evangile. J'emprunte à l'abbé Fleury (tome I, pp. 209-210) la traduction du témoignage de Clément : « C'est par une jalousie injuste que Pierre a souffert, non une ou deux fois, mais plusieurs fois et, ayant ainsi accompli son martyre, il est allé dans le lieu de gloire qui lui était dû ». C'est tout, et Rome n'est point mentionnée. Pourtant un savant catholique me prie de continuer ma lecture. Il est maintenant question du martyre de Paul. Clément ajoute à ces deux hommes « une grande multitude d'élus ». Et toutes ces victimes de l'envie « ont été parmi nous un illustre exemple ». Parmi nous, sous la plume de Clément Romain, signifie clairement a Rome et l'allusion est lumineuse à la persécution de Néron. Ainsi triomphe le savant catholique. Je lui réponds que cet argument aurait une valeur si Clément ne citait pas d'autres victimes de l'envie que Pierre, Paul et les martyrs de l'an 64. Par malheur, il a nommé auparavant quelques autres personnages qui, je crois bien, ne sont pas tous morts à Rome : Abel, Jacob, Moïse, Aaron, Marie, sœur de Moïse, et David.

D'ailleurs, si Pierre est mort en 64, la confusion de Rome et de Babylone, inexplicable avant 70 et le Siège de Jérusalem, devient d'une telle bizarrerie... Selon la thèse catholique, Pierre serait à Rome dès l'an 42. Alors, comment Paul, en 58, écrit-il aux Romains qu'il se propose d'aller les évangéliser et leur envoie-t-il une longue dissertation bien inutile à des gens qui jouiraient de l'enseignement de Pierre ? Et comment, lui qui salue une vingtaine de fidèles, néglige-t-il de saluer Pierre ?

Si l'Epître aux Corinthiens de Clément ne fait aucune allusion au séjour de Pierre à Rome, il n'en est pas de même des Recognitions que plusieurs appelaient l'Itinéraire de Saint Pierre. Malheureusement, les critiques catholiques eux-mêmes reconnaissent depuis longtemps les Recognitions comme apocryphes. A supposer l'œuvre authentique et son témoignage véritable, Pierre aurait séjourné à Rome. Mais, loin d'avoir aucune primauté, il se serait reconnu l'humble subordonné de Jacques, évêque de Jérusalem, lui aurait adressé, pour obéir à un ordre, un rapport annuel sur ses actes et ses paroles. Il aurait salué en Jacques « l'évêque des évêques, qui dirige à Jérusalem la sainte Eglise des Hébreux et toutes celles que la Divine Providence a établies en quelque lieu que ce soit ». D'après ce témoignage, Pierre aurait donc séjourné à Rome ; mais Rome et Pierre sont dégradés au profit de Jacques et de Jérusalem. Si nous consentons au titre anachronique, Jacques fut, pour le saint Pierre des Recognitions, le premier pape.

L'épître de Saint Ignace aux Romains, à la croire authentique et sans interpolation - mais Mgr Duchesne n'ose aucune des deux affirmations - contiendrait peut-être, suivant la façon de comprendre un passage, la première trace de la tradition du séjour de Pierre à Rome. Ignace adresse aux chrétiens de Rome des prières. « Je ne vous ordonne pas - ajoute-t-il humblement - comme Pierre et Paul. » Faut-il entendre : comme Pierre et Paul ordonnaient aux Romains ou comme ils ordonnaient à tous les chrétiens ? Ordonnaient-ils de vive voix ou, comme prie Ignace, par écrit ? Avec quelque complaisance, on trouve donc, vers l'an 110, le fragile commencement d'une tradition qui prendra des forces en vieillissant.

N'oublions pas la première épître de Pierre datée de Babylone. Elle est reconnue apocryphe par tous les critiques indépendants. D'ailleurs, une lettre écrite à Rome ne se datait pas de Babylone. Dans la littérature chrétienne primitive, nous ne trouvons l'identification des deux villes que dans l'Apocalypse, le plus symboliste des pamphlets. On croit généralement que la fausse lettre de Pierre a été fabriquée précisément pour donner à une église un titre de noblesse. La Babylone dont il s'agit ici n'est pas la grande ville de Mésopotamie qui n'eut d'église qu'assez tard. C'est la Babylone d'Egypte (le vieux Caire), dont l'Eglise voulut se donner pour plus ancienne et plus noble que sa voisine d'Alexandrie qui se réclamait de Marc.

Saint Paul a écrit une longue épître aux Romains et il ne les a pas appelés Babyloniens. Authentiques ou apocryphes, les épîtres que Paul écrivit à la fin de sa vie ou qu'on supposa écrites dans cette période sont datées de Rome, jamais de Babylone. On y trouve les mentions : « Ecrite de Rome aux Galates », « Ecrite de Rome aux Ephésiens », etc... On peut vérifier toute la série. Quand une lettre était écrite à Rome ou qu'on voulait lui faire supposer cette origine, les exemples de Paul et de pseudo-Paul prouvent, comme nous nous en doutions, qu'on datait de Rome, non de Babylone.

La primauté de Pierre et son séjour à Rome d'où on tire, par un raisonnement hardi, l'infaillibilité d'Alexandre VI ou de Pie XI, sont deux mensonges. Mais n'y a-t-il pas prescription et ne devons-nous pas respecter, avec le Saint-Siège, d'aussi vénérables mensonges ?... - Han Ryner.

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16 septembre 2007 7 16 /09 /septembre /2007 12:13

Sagesse. Le mot sagesse a quelques significations un peu folles, celles par exemple que Littré classe 2° et 3°. « 2° La connaissance inspirée des choses divines et humaines. » Bossuet qui, d'une langue éloquente, lèche les pieds puissants, nous apprend que Michel Le Tellier, grand artisan de la Révocation de l'Edit de Nantes, possédait « cette sagesse qui vient d'en haut, qui descend du père des lumières et qui fait marcher les hommes dans les sentiers de la Justice ». Plaisante sagesse, ou odieuse, et odieuse ou plaisante justice qui, étant infinie en Dieu, doit, d'après le même Bossuet, s'exercer « à la fin par un supplice infini et éternel&raquo. La troisième signification enregistrée par Littré, greffier des usages successifs, n'est pas moins étourdissante. Cette Sagesse-là (avec une majuscule, S.V.P.) c'est le très lui-même Verbe et, quand on songe qu'au rêve du Quatrième Evangile, il s'est fait homme, on l'appelle : La Sagesse incarnée. Mais cette chasteté qu'on nomme sagesse « en parlant des femmes » est-elle beaucoup moins déraisonnable, ou même cette docilité endormie qui vaut aux petits enfants « le prix de sagesse » et aux grands bébés les prix et les fauteuils académiques ?...

Le terme sagesse a pourtant une signification que j'aime. Il désigne la prudence persuasive des anciens par opposition avec le tyrannique et absurde dogmatisme des théologiens modernes, de ceux même qui se croient philosophes et indépendants. Pour mon livre La Sagesse qui rit, j'avais rédigé cette bande : A bas les morales, vive la Sagesse ! Oui, je méprise quiconque prétend imposer une morale, fausse science de la Vie : mais j'aime ceux qui ont connu et pratiqué la sagesse, art souriant et individualiste de la conduite.

Nulle part ne se rencontre une science du désirable. Toute discipline du désirable ne peut être qu'un art et garde la grâce d'être diverse avec les divers artistes. Désintéressée au point d'ignorer tout effort téléologique, la science cherche la vérité, non la beauté, ce qui est au réel, non ce que j'aimerais.

Devant les morales qui se prétendent scientifiques et universelles, qui osent affirmer et qui osent ordonner, rions et gaussons-nous en immoralistes. Mais nous pouvons considérer d'un œil fraternel et parfois admiratif les sagesses qui conseillent fraternellement et qui harmonisent.

Quand nous aimons ou admirons un artiste, nous ne lui faisons pas l'injure et nous ne faisons pas à nous-même le tort de l'imiter. Les seuls conseils que nous donnent notre amour et notre admiration pour ceux qui se sont exprimés, c'est de nous chercher et de nous réaliser nous-mêmes.

Et, comme nous aimons des poètes très différents, comme nous ne voulons sacrifier ni La Fontaine ou Paul Verlaine à Victor Hugo, ni Victor Hugo à Racine ou à Vigny, nous admirons dans leurs émouvantes divergences, Diogène et Cléanthe, Jésus et Epicure. Nous les aimons d'être aussi différents que Shakespeare ou Molière, que Marivaux ou Calderon.

Et nous ne voyons pas ici, comme dans la science, un progrès qui nous engage à écouter le plus récent de préférence aux plus anciens. Archimède sait moins de vérités physiques que M. Branly ou même que le plus vulgaire de nos licenciés ès-sciences. Tolstoï n'est pas plus avancé que François d'Assise ; l'individualisme d'Ibsen n'est pas plus complet que celui de Diogène ; la vérité d'Elisée Reclus ou de Sébastien Faure s'exprime en un langage plus voisin de notre langage, mais n'est pas, par elle-même, plus instructive et libératrice que celle chantée par Cléanthe ou précitée par Dion Bouche d'Or.

La morale se veut absolue, comme la religion ou comme le prétendu immoralisme du Surhomme. Leurs impératifs, pour parler allemand, se prétendent catégoriques.

Or il ne saurait y avoir - pour conserver le vocabulaire kantien - que des impératifs hypothétiques. L'hypothèse reste inexprimée quand on suppose que je veux la réaliser. Parce que le médecin suppose que je veux guérir et que j'ai confiance en lui, il appelle tyranniquement « ordonnances » ses conseils.

Impératif catégorique, devoir : mots grotesques. A qui est-ce que je dois le prétendu devoir ? Où est le créancier dont je serais le débiteur ? A moi seul, à mon bonheur, à ma beauté, à mon harmonie je puis faire tel ou tel sacrifice.

Mais mon rêve de bonheur et d'harmonie ne peut que me conseiller et me persuader. Et tout autre but que mon bonheur, si je ne suis pas fou, me touche moins et a moins d'autorité sur moi.

Quel autre but, d'ailleurs ? Le bonheur d'autrui. Je puis lui attribuer une valeur égale à celle que j'accorde au mien. La sympathie ne saurait aller au-delà et i1 n'y a aucune raison raisonnable pour que je me préfère qui que ce soit. Or je sais que je peux pour autrui moins que pour moi, que je risque de me tromper pour lui plus que pour moi. Les conseils qui le concernent sont plus hypothétiques que ceux qui me concernent : ils s'appuient et chancellent sur un monde de suppositions.

Des fins plus générales que le bonheur d'un homme ? Il y en a ; mais ma puissance s'y dilue vite, ou mon intelligence. Je ne réussis guère mes volontés générales et je me pardonne parce que, sachant encore ce que je veux ou plutôt ce que je voudrais, je ne sais plus ce que je fais. D'ailleurs, si universelle qu'on suppose une fin, dès que, comme un généreux canal d'irrigation, elle ne se divise pas en bras nombreux et en biens individuels, elle devient chimère et grimace.

La morale, la religion, le nietschéisme, tout ce qui est mensonge est condamné à ordonner. Les mensonges théologiques, patriotiques ou la volonté de puissance exigent toujours - et le conseil n'y saurait suffire - des sacrifices humains. Parfois les bûchers de Moloch, de l'Inquisition ou de l'Oeta deviennent internes. Même alors, ils me commandent de brûler un homme : moi-même. Pour me purifier, paraît-il, ou pour m'apprendre à me surmonter. Eh bien, non, ce n'est jamais à moi-même, à un moi réel et concret que j'offre l'étrange sacrifice. C'est toujours à quelque « dieu inconnu ». Quelque nom qu'il porte, Tu-Dois et Dieu personnel ou Je-veux et Surhomme, c'est un fantôme ; et c'est un aveugle ; et c'est un dément. C'est un des sous-hommes qu'il me faut mater en moi.

La sagesse veut l'homme complet et harmonieux. L'harmonie ne s'obtient ni par des amputations, ni par des ordres, ni par des brutalités. La sagesse sourit et conseille. - Han Ryner.

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11 septembre 2007 2 11 /09 /septembre /2007 16:16

Sage. Le mot « sage » est un cas assez rare en sémantique (science des changements de sens des mots). La plupart des mots se dégradent à l'usage. « Garce », longtemps, fut aussi peu injurieux que son correspondant masculin, le simple féminin de garçon. Pour prendre un exemple plus voisin de mon sujet, quel outrage est devenu le nom de « sophiste » qui, à l'origine, désignait un maître de sagesse ! Sage, au contraire, s'est plutôt ennobli. Et nous avons un sursaut quand nous lisons dans La Fontaine :

Le sage dit, selon les gens :
Vive le roi ! Vive la ligue !

Or le fabuliste parle comme la haute antiquité grecque, celle qui a honoré, dans les Sept Sages, plus d'hommes habiles que de philosophes.

Les listes des sept sages ont beaucoup varié : à réunir tous les noms qu'elles donnent, les Sept seraient seize. Dans son Protagoras, Platon fait nommer par Socrate : Thalès, Pittacus, Bias, Solon, Cléobule, Myson et Chilon. A une exception près, c'est cette liste qui est devenue classique. Myson, dont nous savons uniquement qu'il était laboureur et que quelques-uns lui attribuent la paternité - ordinairement accordée à Chilon - du fameux « Connais-toi toi-même », est ordinairement remplacé par Périandre.

Ce Périandre était, à Corinthe, un abominable tyran. Il eut, sans doute, la sagesse de mépriser le tabou de l'inceste et de coucher, puisque ça plaisait à l'un et à l'autre, avec sa mère Cratéa. Mais sa cruauté froide était terrible, et aussi sa colère : dans un accès de fureur, il précipita du haut des degrés de son palais sa femme enceinte, et elle mourut de la chute. Un habitant de Corcyre ayant tué son fils Lycophron, il voulut faire des eunuques avec trois cents jeunes Corcyréens qu'il détenait en otages. Un hasard ayant arraché ces jeunes gens de ses mains, il mourut de rage à quatre-vingts ans. Mais on l'admirait comme général et comme subtil politique. Le geste fameux de Tarquin abattant symboliquement les fleurs les plus hautes était imité de Périandre conseillant son ami Thrasibule, tyran de Milet. Il disait : « L'ami même d'un tyran doit lui être suspect ». Est-ce à son habileté pratique qu'il doit surtout sa place dans la liste glorieuse ? Est-ce à quelques maximes nettes et bien frappées ? « Sois modeste dans la prospérité, ferme dans l'adversité » - « Que ton ami soit heureux ou malheureux, sois le même avec lui » - « Le gain honteux est un trésor trop lourd ». Celle-ci est plus digne d'un tyran et fait du prétendu sage un glorieux précurseur des inquisiteurs et du signore Mussolini : « Punis non seulement le crime, mais l'intention ». Un questionneur hardi demandait à Périandre pourquoi il n'accordait point, par une abdication, le repos à sa vieillesse inquiète. « C'est, répondit-il, qu'il est aussi dangereux de quitter volontairement le trône que d'en être renversé. »

Pittacus, tyran de Mytilène, semble, malgré les injures méritées dont l'accable le poète Alcée, avoir été moins inhumain que Périandre. Le hasard des combats ayant fait de l'injurieux Alcée son prisonnier, il lui rendit la liberté en disant : « Il est meilleur de pardonner que de punir ». Les sentences qu'on a conservées de lui sont, la plupart, de bons conseils d'arriviste : « Saisis l'occasion » - « N'annonce pas ton projet ; s'il échoue on se moquerait de toi » - « Ne blâme jamais ton ami ; ne loue jamais ton ennemi. » En voici une plus généreuse : « Les véritables victoires sont celles qui ne coûtent point de sang ». Il se fatigua de régner, quoi qu'il eût prononcé : « Le commandement est l'épreuve de l'homme ». C'est sans doute après son abdication qu'il formula : « Parmi les animaux sauvages, le pire est le tyran ; parmi les animaux domestiques, le pire est le flatteur ».

Solon est-il beaucoup meilleur que ce tyran aux qualités mêlées ? Il est coupable d'avoir fait entreprendre et d'avoir conduit la guerre contre Salamine. Et, si ses lois sont moins dures que celles de Dracon qu'elles remplacèrent, est-ce à lui qu'on le doit ou à l'adoucissement général des mœurs ? Poète remarquable, il est probablement, avec Thalès, le mieux doué intellectuellement des sept sages. Il philosopha et resta poète jusqu'à la fin. « Je vieillis, disait-il, en apprenant toujours. »

Bias paraît bilatéralement noble, qui disait : « Je porte tout mon bien avec moi » et qui, très éloquent, ne voulut jamais défendre que les causes qui lui paraissaient justes. Ses sentences sont belles : « Pendant que tu es jeune, prépare à ta vieillesse un viatique de sagesse : c'est le plus sûr des trésors » - « Sois lent à entreprendre, persévérant quand tu as entrepris » - « Désirer l'impossible est une maladie de l'âme ; une autre maladie de l'âme, c'est de ne pas songer aux maux d'autrui ». Une autre de ses maximes est bien désenchantée : « Aime comme si tu devais haïr un jour, car la plupart des hommes sont pervers ».

Chilon est l'auteur probable du « Connais-toi toi-même ». Voici d'autres sentences de lui : « Si tu es puissant, sois bienveillant et applique-toi à inspirer plus de respect que de crainte » - « Plutôt une perte qu'un gain honteux : la perte ne t'afflige qu'une fois ; le gain honteux te cause des regrets éternels » - « Que ta langue ne devance pas ta pensée » - « Sois plus empressé auprès de ton ami quand il est malheureux »

Cléobule, vantant toujours la mesure et le juste milieu, est le précurseur d'Aristote moraliste.

Il y a, parmi les Sept Sages, un véritable grand homme, Thalès de Milet, père de la philosophie naturelle. Celui-ci a une doctrine systématique. C'est par lui que s'ouvre l'histoire de la philosophie et de la science grecques. Comme frappeur de sentences, on connaît surtout ses ingénieuses réponses : « Qu'y a-t-il de plus grand ? - L'espace, qui contient tout. - De plus puissant ? - La nécessité, qui soumet tout. - De plus sage ? - Le temps, qui découvre tout. - De plus commun ? - L'espérance, qui reste même à qui n'a plus rien ».

Les sophistes - dont le nom signifie à peu près sages professionnels - sont, en moyenne, très supérieurs à la moyenne des Sept Sages officiels et ils comptent parmi eux des intelligences de premier ordre, comme Protagoras, Gorgias, Prodicus, Socrate ou Hippias. Prodicus et Socrate sont aussi, paroles et conduite, de véritables sages, ce qui leur valut d'être abondamment raillés par leurs contemporains et de boire la ciguë.

Entre la génération des Sept Sages (fin du VIIe siècle avant J.-C. et commencement du VIe) et la génération des sophistes (Ve siècle), Pythagore, très suivi dans cette voie, avait renoncé à un titre trop ambitieux et se disait non plus sage, mais simple Ami de la Sagesse (Philosophe). Pourtant, nous donnons volontiers le titre de Sages à Prodicus et à son élève Socrate, a Diogène, à Zénon de Cittium, à Cléanthe, à Epictète, à Dion Bouche-d'Or ou à Epicure. Nous n'hésiterions guère plus à en décorer Jésus, si nous étions certains que le Sermon sur la Montagne a quelque authenticité. Même parmi les modernes, un Spinoza, un Tolstoï, un Elisée Reclus ou un Gandhi (malgré, chez ce dernier, un fâcheux relent de nationalisme) sont des sages. Et ce titre ne doit-il pas encore être accordé à tous les hommes de bonté et de tolérance, aux célèbres et aux inconnus, à un Voltaire comme à un Castellion ?

A moins que nous ne voulions, avec les stoïciens, le réserver à un idéal si absolu, que personne ne peut l'atteindre, sauf peut-être, dans les rêveries des philosophes cyniques et dans sa légende mi-divine, Hercule lorsqu'il n'était pas fou jusqu'à tuer ses enfants. - Han Ryner.

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7 septembre 2007 5 07 /09 /septembre /2007 12:26

Pluralisme, n. m. (de plures, pluralis : plusieurs). En face de la métaphysique, il y a deux positions classiques. Sceptiques, positivistes, agnostiques repoussent toute métaphysique. Mais le dogmatique adopte une doctrine et combat pour elle comme pour la vérité absolue. Aucune de ces deux positions ne me convient.

N'y a-t-il aucun moyen de subir la victoire légitime du positivisme, critique de mes pouvoirs, sans sacrifier des désirs qui me tourmentent et me réjouissent, richesses instables ? La métaphysique ne saurait devenir science. Pourquoi n'aimerais-je pas en elle le plus séduisant et le plus décevant des poèmes ?

Mais, si la métaphysique me paraît poésie, je n'ai aucune raison d'adopter un système jusqu'à condamner les autres. Je veux continuer à jouir, alternatif, de tous les poèmes métaphysiques. Un plaisir à quoi je ne renonce pas en créant mon poème, c'est celui d'aimer les poèmes différents...

Le positivisme m'a enseigné que nulle métaphysique n'a de prise sur le monde extérieur, sur le monde objectif ; mon expérience m'a appris qu'aucune ne satisfait non plus à tous mes besoins intérieurs, à tous mes besoins subjectifs... Parmi les besoins poétiques qui dominent en moi, les plus considérables appartiennent peut-être à l'ordre logique et à l'ordre sentimental. Vais-je établir entre eux une hiérarchie ?...

Ma petite logique, tu es, si j'ose dire, une grande maîtresse d'erreur. En métaphysique, je m'appuie sur toi pendant une longue marche, où chaque pas a neuf chances sur dix de m'égarer. Les raisons que la raison ne connaît pas, ces raisons du cœur que vante Pascal, sont aussi trompeuses que la logique. De n'importe quel point de départ commun, la logique et le cœur nous peuvent entraîner vers des régions singulièrement diverses...

Une métaphysique est œuvre personnelle comme un poème. L'imposer est folie sacerdotale ; la proposer, naïveté paternelle. Il faut se contenter de l'exposer... Quel genre de poésie est la métaphysique ? Dans ma jeunesse, je déclarais déjà qu'il n'y avait pas de métaphysique vraie, mais j'ajoutais que toute vraie métaphysique tendait vers un monisme. J'appelais la métaphysique « la poésie de l'unité ». Je suis moins exclusif aujourd'hui et moins injuste. A côté de la blonde poésie de l'unité, j'aime la brune poésie de la dualité et du combat ; je ne méprise pas la châtaine poésie de la conciliation. Et pourquoi repousserais-je toujours la poésie de l'infini ? Mais la métaphysique que j'embrasse le plus souvent et d'un amour plus étroit, il me semble qu'elle est sens et poésie de la diversité... Au pluriel, c'est au pluriel qu'il faut parler des monismes, des dualismes, des ternarismes, des infinitismes, des pluralismes.

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*   *

Dans les doctrines historiques, on pourrait considérer en souriant comme un monisme relativement absolu, le système des Eléates. Le monisme des Eléates se résume dans la fameuse formule : « L'Etre est ; le Non-Etre n'est pas. » Si l'être est d'une façon absolue et si, d'une façon absolue, le non-être n'est pas, voici niées toutes les épousailles du non et du oui, toutes les limites et les choses limitées, toutes les apparences, c'est-à-dire, je le crains, toutes les réalités. Voici nié le changement et les choses changeantes, le mouvement et les moteurs et les mobiles. Admettre un tel monisme, c'est supprimer l'expérience et ses objets, c'est ne voir dans les phénomènes et dans ce que nous appelons d'ordinaire êtres ou choses que tromperies ou illusions. C'est déclarer que rien de ce qui nous est apporté par nos sens n'a aucun rapport avec la vérité profonde et l'être unique...

Ce puissant monisme d'éternité et d'immobilité est remplacé aujourd'hui par deux pauvres monismes évolutifs dont je dirais volontiers que l'un est futuriste et l'autre passéiste. Au XIXe et au XXe siècle, nul philosophe connu n'ose nier la multiplicité actuelle. Mais on sauve l'unité en la plaçant soit à l'origine, soit à la fin des choses.

Le monisme passéiste, l'unité placée à l'origine des choses, est la métaphysique à quoi aboutit la doctrine spencérienne. Spencer voit la vie et l'univers même comme un progrès fatal. Ce progrès il le définit une différenciation de plus en plus grande, une hétérogénéisation croissante des phénomènes et des êtres. Avec lui nous remontons, dans le temps, à une époque où l'homogénéité était absolue. Pour la réfutation du monisme passéiste, qu'on me permette de renvoyer au livre capital sur la question : Le Pluralisme de J.-H. Rosny aîné.

Qu'on cherche aussi dans ce livre la réfutation du monisme contraire, le monisme futuriste qui admet la multiplicité dans tout le passé comme dans le présent, mais veut que nous marchions vers l'unité et la paralysie, vers l'équilibre des énergies et de la matière.

Comme les monismes, poésies de l'unité, les dualismes, poèmes du combat, m'enivrent parfois, ne me satisfont jamais.

Il est, visible que nous vivons dans un monde de guerre. Mais le combat a-t-il la précision que lui veut Zarathoustra ? N'y a-t-il que le bien et le mal ? N'y a-t-il pas, partout ou presque, du mélange ? Si je classe les phénomènes et tous les êtres selon le critérium de mon intérêt, tout ce qui ne m'est pas hostile m'est-il nécessairement favorable ?

Beaucoup de choses me sont indifférentes, neutres, sans saveur de plaisir ou de douleur. Parmi les phénomènes qui me blessent, quelques-uns m'apportent un bien réel... Même si, sur un certain plan, il y a du bien et du mal absolus, ou à peu près, je me transporte parfois dans des régions de lumière sans douce chaleur ni brûlure, par-delà le bien et le mal...

Après la poésie de l'Unité et celle du Combat, les poèmes de la Conciliation. N'y a-t-il pas un lieu où les adversaires s'apaisent et où les contradictoires s'identifient ? Les métaphysiques qui essaient ainsi de concilier, dans un troisième terme, les deux armées du dualisme, je les appelle parfois ternarismes.

Les variétés en sont nombreuses. Le plus connu des ternarismes est le système de Hégel. Toujours Hégel dresse l'antithèse en face de la thèse ; il ne prend parti ni pour l'une ni pour l'autre, mais les fait s'épouser, à ce qu'il croit du moins, dans ce qu'il appelle la synthèse. Comme sa métaphysique est un panlogisme ; comme, pour lui, le mouvement des choses et le développement des idées se correspondent : dès qu'il a réussi la synthèse de la thèse et de l'antithèse, il croit avoir expliqué le devenir créé par la coexistence de l'être et du non-être ou par ce qu'il nomme volontiers, avec des mots moins concrets, l'identité des contradictoires. Mais, à regarder de près, on s'aperçoit que la synthèse, le plus souvent, renouvelle la thèse avec des mots en apparence plus larges et escamote, dans ce vague élargi, l'antithèse...

Il n'y a pas moins de poésie dans cette doctrine que dans la plupart des autres... Et il y a des métaphysi-. ques infinitistes qui ont, comme toutes les autres, leur poésie et leurs impossibilités logiques. Et il y a encore le pluralisme, poésie et sens de la diversité.

*
*   *

Dans ce Pluralisme qui sera, demain, notre « Discours de la méthode », Rosny aîné se défend à peu près victorieusement contre toute métaphysique. Il se tient fortement sur le plan scientifique, logique, méthodologique... Ce Pluralisme, néanmoins, produira de nouvelles métaphysiques. Rosny lui-même accomplira l'évolution complète des grands génies philosophiques. Nul n'échappe à la métaphysique. Auguste Comte lui-même et cependant c'est du nom de sa doctrine que nous appelons le refus à toute métaphysique - après un effort en apparence victorieux, a été plus vaincu que tout autre ; il a construit plus qu'une métaphysique : une religion. Mais il n'y a pas défaite à satisfaire un des besoins essentiels de l'homme ; il n'y a pas défaite à être poète. La défaite, c'est de s'embrouiller et se perdre parmi nos besoins divers ou de se refuser à quelques-uns d'entre eux. J'ai besoin de nourriture et j'ai besoin d'air. L'un ne remplace pas l'autre. Voilà ce qu'ignorent ceux qui condamnent métaphysique ou science, ceux qui embrouillent science et métaphysique. Impossible de formuler une loi sans fausser en quelque mesure les phénomènes. Dans la forêt de l'univers, il n'y a probablement pas deux feuilles ou deux phénomènes qui se recouvrent exactement. Pour leur donner un nom commun, les soumettre à une loi commune, il faut oublier leurs différences ; il faut traiter comme identique ce qui n'est pas identique. Pour construire la science, nous consentons à quelque chose qui n'est pas de la science, qui est de la métaphysique. Il n'y a de science que du général. Mais le général n'a pas d'existence objective. Le général est un mensonge : pauvreté logique ou richesse métaphysique.

Sachons-le. Ayons toujours en quelque méfiance ce qui est scientifique, à cause de la quantité de métaphysique que cela contient nécessairement. Ayons en admiration, si nous sommes poètes, tout ce qui est scientifique, à cause de la quantité de métaphysique et de rêve que cela contient nécessairement.

J'appelle métaphysique : l'art d'apaiser les antinomies, l'art de calmer nos contradictions internes. Les antinomies sont-elles purement internes ? Ne résident-elles pas aussi dans la nature des choses. Si je ne donne pas aux mots un sens équivoque, est-ce que je ne trouve pas toujours la nature en contradiction avec elle-même?... Peut-être est-il absurde de dire : La nature. Peut-être n'y a-t-il que des natures ? S'il n'y avait ni l'Etre et son travail contradictoire, ni la lutte éternelle de l'Etre et du Non-Etre ? S'il n'y avait que les êtres et l'innombrable Chacun-pour-Soi ?...

En moi aussi les natures se contredisent, se querellent. Que la bataille cesse d'être méchanceté et déchirement pour devenir spectacle, et qui m'émerveille... Je porte en moi des antinomies parce que j'ai des besoins intérieurs multiples. Ces besoins divers et souvent divergents, la métaphysique de chacun les doit satisfaire en chacun de nous.

Les antinomies ? L'Un et le multiple, l'infini et le fini, l'origine et la non-origine... Autant de terrains de heurts et de malentendus qui ont aussi leurs compromis comme l'absolu et le relatif... Les êtres sont. Réalité et inexistence à la fois dans la multiplicité fantastique des êtres en lutte et en pénétration. Les êtres sont. Contradiction de l'être libre en proie aux libertés contraires, problème d'une âpre « liberté » intérieure en face d'un déterminisme extérieur irrésistible, instabilité de l'être unique envahi par les êtres innombrables. Les êtres sont. Mais forment-ils vraiment un nombre, et fini ? Où sont-ils en dehors du nombre et en quantité infinie ? Je rêve, j'imagine que « tout » est éternel. Et cependant je crois que « rien » n'est éternel... Les antinomies ? Il m'arrive de les résoudre par un parti-pris qui prend un faux aspect de conciliation. Mais la conciliation véritable m'échappe et elle n'est au pouvoir de personne...

Je suis - si j'ose dire - pluralement pluraliste. Non seulement j'admets (ou je rêve) la multiplicité des êtres et leur durée éternelle. Mais à chacun de ces êtres j'accorde, comme Spinoza à sa substance, un nombre indéfini (Spinoza dit : une infinité d'attributs...) Certes, chaque attribut de chacune de mes Eternités - et chacune de mes Eternités elles-mêmes - est impuissant à créer à lui seul aucun mode, aucune réalité sensible, mais chacune collabore de toute son essence, de tous ses attributs, à produire des êtres innombrables. Dans mon rêve, aucune de ces Eternités, aucune de ces essences qu'Herbart appelle les Réalités n'a jamais existé à l'état séparé. Elle a toujours été prise dans quelque agrégat. Et elle passe d'un complexe à un autre complexe. C'est pourquoi si, en un certain sens, seuls ces Eternels existent ; en un autre sens, il est juste de remarquer que, pensé isolément, chacun d'eux, incapable de subsister isolé, équivaut au néant et que seuls les phénomènes et les choses possèdent la véritable existence. Et la véritable existence est chose qui passe.

Le pluralisme de Rosny est phénoméniste. Mon pluralisme s'avoue substantialiste. Mais mon substantialisme monadiste se complète d'un pluralisme phénoméniste. Je reconnais que les phénomènes sont hétérogènes et discontinus. L'éternité de la monade ne trouble en rien, si j'ose dire, ce trouble et cette discontinuité. La monade éternelle ne passe dans une réalité complexe qu'en se libérant d'une autre. Chaque changement détruit et crée ; chaque changement est bond et révolution.

Me voici donc pluraliste comme Rosny aîné, et à la fois comme Leibnitz, et encore comme le plus avisé et le plus complexe des monistes, Spinoza. Car son monisme équilibré s'associe à un dualisme subjectif, puisque nous connaissons deux attributs de la substance et à un pluralisme subjectif, puisque les attributs inconnus sont en nombre infini. En nombre infini aussi les modes naturés par chaque attribut de l'unique, double et infiniment multiple Naturante.

*
*   *

Je n'essaie de rien démontrer en métaphysique. Je ne m'attarde pas non plus à rien réfuter. Je n'impose ni ne m'impose ma métaphysique. Celle que j'ai dite ici, pour toujours peut-être mais peut-être seulement pour un an ou un mois, me satisfait à peu près. Je serais désolé qu'elle me satisfît complètement... Je ne dis à personne : Adoptez ma métaphysique. Je dirais plutôt à chacun : Essayez donc si vous ne goûterez pas un grand plaisir en bâtissant une métaphysique à votre mesure. - Han Ryner.

Bibliographie - Le Pluralisme ; Les Sciences et le Pluralisme (J.-H. Rosny aîné). - Les Synthèses suprêmes ; Songes Perdus ; Crépuscules (Han Ryner). - Les philosophies pluralistes en Angleterre et en Amérique (J. Wahl). - L'Harmonisme (Louis Prat), etc.

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