Après plus de trois semaines d'absence, et en ce qui concerne Internet, de la plus rigoureuse abstinence, je découvre dans ma boîte aux lettres cette belle Anthologie poétique consacrée à Emile Boissier.
Les fidèles de longue date des Fééries Intérieures et du blog Han Ryner se souviennent qu'il y a déjà un certain temps, l'ami Mickaël Lugan, alias SPiRitus, et moi-même exhumâmes de concert — ou de conserve, as you like — le bon poète nantais Emile Boissier c'était ici et ici, et là, là et là !
Suite à cette double salve, nous contacta Jean-Pierre Fleury, comme le relate Mickaël dans ce billet que je cite largement :
Je n'imaginais pas, et mon ami le maître-entoileur du blog Han Ryner non plus, que la mise en ligne quasi simultanée de nos billets consacrés au beau poète Emile Boissier aurait une si heureuse conséquence : la rencontre - grâce à l'internet, n'en déplaise aux grincheux - d'un autre Nantais passionné par l'œuvre de son lyrique et méconnu concitoyen du siècle dernier, rencontre qui allait nous permettre d'en savoir beaucoup plus sur l'auteur de Dame Mélancolie. M. Jean-Pierre Fleury, en effet, puisqu'il s'agit de lui, après avoir donné dans le n°11 de Saltimbanques ! (Nantes, printemps-été 2006) le premier article de l'après-seconde guerre mondiale sur Boissier, s'apprête à faire paraître une anthologie de ses poèmes. Au cours de ces recherches, il a pu réunir un nombre considérable de documents qui lui permettront, je l'espère, de rédiger la biographie qui complètera merveilleusement l'anthologie.
J.-P. Fleury publie donc aujourd'hui cette anthologie, qui va au-delà du seul ouvrage consacré jusqu'ici à Emile Boissier : Emile Boissier poète nantais (1870-1905), par André Perraud-Charmantier, ouvrage qui datait de 1923. Les poèmes (parfois des fragments) sont classés selon l'ordre thématique que voici :
- Partie I : Le poète (A. L'apôtre de la vie — B. Le gris des vague-à-l'âme poétique — Soirées d'ennuis — Amours tristes et perdues — C.Paradis d'avenir)
- Partie II : Ephémères (Autrefois — Souvenirs féminins — Profils et caractères — Les visions)
- Partie III : Les Beaux-Arts (Images peintes — Humbles décors — Musique est renaissance — Le Missel de gloire (le Parnasse poétique éclectique))
- Partie IV ; Le Noir (La triste pauvreté — Les nuits — Décadence ou déclin — Madame la mort — Morts antiques — Les petits morts — Compassion — Sombres extases mystiques — Enluminures)
- Partie V : Le Blanc (La divine nature — Les voix de la chimère)
- Partie VI : Tendrement (A. D'innocence et d'oubli — B. Répits — C. Sérénités — D. Suaves, des réparties d'enfants naïves — E. Diverses stances — F. Epilogue)
Une importante préface donne des éléments biographiques et resitue Emile Boissier dans son temps, par de nombreuses digressions sur les artistes avec qui il fut en relation. Cette préface contient aussi la reproduction de plusieurs articles donnés par Boissier à différentes revues. La postface nous concerne particulièrement puisque Jean-Pierre Fleury y précise les relations entre Boissier et Han Ryner, entre Boissier et Saint-Pol-Roux, suite aux discussions électroniques que nous eûmes, Mickaël Lugan, lui et moi. Il développe aussi une indication contenue dans les Cahiers des Amis de Han Ryner, à savoir que le doux Boissier fut l'une des innombrables petites mains de la plus grosse firme littéraire fin-de-siècle — tout le monde aura deviné : mais oui, mais oui, c'est de Willy qu'il s'agit, pardi ! En l'occurrence, Emile contribua au moins à l'adaptation française, signée Henry Gauthier-Villars et Georges Hartmann, de Bastien et Bastienne, opéra-comique de Mozart.
Quelques notes et des notices parfois assez développées sur les personnalités citées et les revues auxquelles Boissier collabora complètent utilement l'ouvrage. Ajoutons une intéressante "Réflexion sur les ratés" par Olivier Mathieu en avant-propos au livre. Mais je voudrais souligner le soin porté par Jean-Pierre Fleury à l'iconographie : quelques illustrations in-texte et surtout un cahier central en couleur reproduisant plus de trente documents divers, sur ou autour de Boissier. Et, ce qui est une excellente idée, un CD-Rom d'images accompagne le livre, dans lequel on retrouve notamment Alexis Mérodack-Jeanau dont on a parlé à plusieurs reprises sur ce blog. En revanche, je regrette que les poèmes ne soient pas sourcés — on ne sait pas dans quel recueil ou revue a été publiée telle ou telle pièce (ou si elle est inédite). Côté facture, enfin, le livre est relié au fil, avec une couverture rigide, chose fort appréciable ! Attention : il n' a été tiré qu'à 200 exemplaires (même si l'on sait pertinemment qu'un poète symboliste oublié — trois tares en trois mots ! — intéressera sans doute bien moins de 200 personnes...).
Quatrième de couverture et références :
Emile Boissier, poète nantais (1870-1905), est complètement oublié dans sa ville de naissance et de mort.
Mais ce même Boissier a su séduire Jean-Pierre Fleury (né en 1951), qui a consacré des années à étudier la vie de toute une contrée de gens humbles, fiers et droits : la Grande Brière, pays perdu de la Basse-Loire de marécageuse histoire, et ses Briérons. Une région proche en mystères des limbes vaporeuses d'un Boissier.
Quelques originaux, amoureux des arts passés et de l'Art vrai et frais, commencent à le faire revivre. Trop bon, trop discret, trop aimant, trop naïf, trop idéaliste notre poète. Il n'a pas suffi qu'il servît de nègres à quelques industriels de l'écriture, ni qu'il fût humble et sincère ami de Han Ryner l'Anarcho, de Saint-Pol-Roux le Magnifique, de Mérodack-Jeaneau le Fauve. Il n'a pas suffi non plus qu'il accompagnât si discrètement les derniers temps de Paul Verlaine, ou qu'il apparût à ses contemporains comme l'un des maîtres tardifs du Symbolisme, à l'égal d'un Albert Samain. Emile Boissier est mort au Panthéon des braves de la Poésie généreuse, idéaliste et pérenne. Pas même reconnu petit-maître. Au Panthéon des laissés-pour-compte, où l'on retrouve pêle-mêle une myriade d'étincelants artistes de l'écriture - oubliés, bannis, phagocytés : Laurent Tailhade, Paul-Jean Toulet, Charles-Louis Philippe, Renée Vivien, Hugues Rebell, et enfin le maître ès styles Léon Bloy, le génial et inclassable entrepreneur en démolitions. Et tant et tant d'autres malheureux torturés d'art, furieusement artistes, d'œuvre courte, mais cruciale. La plupart ont disparu, souvent jeunes, dans la misère, le suicide, ou pour les moins chanceux lors de la sinistre boucherie de 14-18.
EMILE BOISSIER — Anthologie poétique — choix des textes, préface, postface, notes et bibliographie de Jean-Pierre Fleury — avec un avant-propos d'Olivier Mathieu — Casa Cărţii de Ştiinţă, Roumanie, 2009 (304 pages). Ouvrage tiré à 200 exemplaires.