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24 avril 2014 4 24 /04 /avril /2014 14:29

Dernière partie de l'ensemble de documents envoyés par Daniel Lérault au sujet de L'Homme-Fourmi.


M.-C. Poinsot, dans Le Rythme, 12 octobre 1912

L’Homme-Fourmi raconte l’amusante métamorphose du sieur Octave Péditant qui, pour un temps, se voit qualifié d’un étrange cerveau dont le lobe droit pense en fourmi et le lobe gauche en homme. On devine ce que cette donnée ingénieuse peut permettre de parallèles entre nos conceptions et celles de ce petit monde d’hyménoptères où vit le héros. C’est du Swift avec une philosophie plus subtile, et c’est du Maeterlinck de La Vie des Abeilles (1), avec plus de lumineuse fantaisie. C’est surtout un prétexte à blâmer nos orgueils, à nous qui, souvent, croyons tout savoir et dont l’intelligence très probablement doit errer magnifiquement parmi une foule d’erreurs insoupçonnées.

(1) La Vie des Abeille et L’Homme-Fourmi parurent le même jour.


Rachilde, dans Le Mercure de France, juillet 1901 

Je ne crois pas qu’on puisse m’accuser de beaucoup d’indulgence vis-à-vis de mes ennemis. Han Ryner m’a jadis massacrée, je ne sais plus trop dans quel journal (me prenant, sans doute, pour une fourmi-amazône), et si je ne lui garde pas rancune des quelques vérités jetées à ma face, je n’aime guère sa façon de critiquer, encore moins ses premiers romans ; mais ce livre-ci est tout à fait délicieux, il faut que je le dise bien haut ; j’ai la terreur qu’on le prenne parmi… les fourmis-amazônes, pour un puéril conte de fée, car il commence puérilement. C’est bel et bien un roman social, une étude de mœurs à la fois malicieuse et vraie, d’un esprit philosophique extrêmement captivant, et quel exquis roman d’amour !


Rosny aîné :

L’Homme-Fourmi de Han Ryner est aussi une fiction bien plus fantastique que les fictions de Kipling. Mais c’est un essai unique de psychologie animale. Han Ryner tente de débrouiller l’âme des fourmis en s’aidant du truchement de l’âme humaine. Il arrive ainsi à nous donner une impression véritablement originale de la mentalité collective, et ce que serait à peu près notre mentalité si nous pouvions, comme les fourmis, absorber tous nos penchants, nos instincts, nos volontés dans l’œuvre de la Communauté. J’ai admiré ce livre.


Paul Vigné d’Octon, dans La Revue anarchiste,

Je n’oublierai jamais la sorte d’heureux étonnement que j’éprouvai voici quelques semaines en lisant L’Homme-Fourmi que j’ignorai. C’était, dans ma solitude bénévole, où après une crise violente de paludisme, pour reposer mon cerveau encore ébranlé, je venais de relire à petites doses, quelques contes de Voltaire, m’attardant à Candide, le plus philosophique et aussi le plus amusant de tous.

Cette lecture m’avait induit à des réflexions sérieuses sur cette merveille de notre littérature que fut le conte philosophique au XIIIe siècle et surtout sous la plume du plus grand de nos prosateurs… Je regrettais que le siècle suivant eût quelque peu dédaigné ce genre pour lequel cependant semblaient bien faits le génie de notre prose, et de notre race, ainsi que le fond de notre tempérament.

Avec L’Homme-Fourmi, Han Ryner apportait une atténuation à ce regret.

Un peu de Candide et de certains autres héros, des petits chefs-d’œuvre voltairiens se reflétaient dans Octave Péditant, le mortel à qui la haute fantaisie de Ryner donne un cerveau mixte d’homme et de fourmi.

Pour bien comprendre toute la portée et toute la saveur de cette métamorphose, ainsi que le grand mérite qu’eut l’auteur à l’imaginer, il convient de posséder quelques notions sur la biologie et les mœurs de cet hyménoptère social, qu’est la fourmi, sans avoir lu à fond Huber, Forel, J. Lubbock, Buchner, il faut avoir présent à la mémoire ce que Darwin a écrit d’elle, à savoir « que son ganglion cérébroïde est la plus grande merveille que la Nature ait créée avec un peu de protoplasma ».

Alors seulement on comprendra avec quelle maestria Han Ryner a tiré de cet « os » précieux qu’était son sujet, toute la moelle philosophique qui y était contenue.

Jamais la superbe humaine ne reçut d’un philosophe leçon plus cruelle, sous une forme plus douce, plus amène et d’une aussi exquise et savante ironie.

D’un bout à l’autre de ce succulent petit livre, Han Ryner semble dire à l’homme : « Tu te crois le maître du monde, tu te dis le roi de la création parce que la substance grise de ton cerveau contient des trillions de « neurones », où les générations passées ont accumulé des images et des concepts ; eh bien ! compare ce que tu en as tiré et l’usage que tu en fais, avec ce que l’humble fourmi dont tu écrases chaque jour des tas à chacun de tes pas, sait faire avec un globule de substance nerveuse invisible à l’œil nu. Peut-être alors, ne seras-tu pas si fier ! »


Vincent Muselli et Florian Parmentier, extrait de la préface à l’édition par Les Belles Lectures, 1952

[…] C’est en 1901 que parut d’abord, à la Maison d’Art, L’Homme-Fourmi. Il fut réédité chez Figuière en 1913. Ces éditions sont entièrement épuisées aujourd’hui. Certains lecteurs furent quelque peu surpris que, dans ce roman symbolique, l’auteur attachât tant d’importance à l’exactitude scientifique, qu’il s’efforçât d’être autant – ou presque autant - qu’un conteur féerique, un véritable entomologiste. Certes le côté symbolique n’est aucunement négligé et, par exemple, la lutte entre deux fourmilières invite le lecteur à d’amères comparaisons… ! Mais si Han Ryner se montre si soucieux de l’exactitude scientifique, c’est que les sciences l’ont toujours sollicité. Et non seulement les sciences dites – on ne sait pourquoi – naturelles, mais aussi les sciences – on ne sait pourquoi non plus – dites exactes. J’emprunte encore à Florian Parmentier à qui il faut toujours recourir si l’on veut connaître Han Ryner :

« Pour pénétrer dans les arcanes de notre destinée, Han Ryner a commencé par côtoyer les abîmes de la tectologie, de la cosmologie, des dimensions de l’espace, de la coexistence des phénomènes. Deux chapitres, en particulier, des Voyages de Psychodore sont révélateurs de ses investigations : Les Sans Yeux et Les Dicéphales. Dans ce dernier, le double-génie révèle à Psychodore le secret de l’éternité. L’infini de l’espace nécessite l’infini du temps. L’instant présent est infini dans sa largeur, infini dans sa longueur, infini dans sa profondeur, et, par conséquent, ce qui se situe dans l’infini de ces trois dimensions, c’est-à-dire la totalité des choses, coexiste dans le présent, comme il coexiste, dans le passé et dans l’avenir, la succession « passé-présent-avenir » n’ayant de réalité que dans notre esprit.

Dans l’autre chapitre, celui des Sans-Yeux, conçu en 1902, Han Ryner devance Bergson et Einstein en démontrant que le temps, outre sa valeur quantitative, possède une valeur qualitative. Plus ou moins riche, plus ou moins intense, il accuse par là-même une relativité qu’Einstein ne découvrira qu’en 1915. »

« Quant à l’intuition bergsonienne, elle se trouve déjà en puissance dans la connaissance que prend Psychodore de la largeur et de la profondeur qu’implique, pour la durée et pour l’étendue, la simultanéité de nos actes. Et quant aux possibilités qu’engendre l’hypothèse d’une quatrième dimension, c’est une procréation infinie de dimensions que suggère le pluralisme spatial et temporel d’Han Ryner ».

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 16:33

L'ami Daniel Lérault m'envoie ce texte saluant la réédition de la Fille manquée. Merci Daniel ! J'en profite pour rappeler que ce blog est ouvert à toute contribution sur ou autour de Han Ryner. Il ne faut surtout pas hésiter à m'envoyer des textes.


Longtemps j’ai eu l’espoir que le Québécois Louis Godbout, à qui j’avais procuré l’édition originale, aurait tenté sa réédition. Élargissant son horizon il en fit une simple présentation, parmi d’autres, à l’Université du Québec à Montréal, "Ébauches et débauches : la littérature homosexuelle française de 1859 à 1939&" :

Un autre portrait plutôt sympathique est celui brossé par Han Ryner dans La Fille manquée, surnom qui est donné au jeune et très joli héros par ses condisciples. Ici, tout se comprend et tout s’excuse par le manque d’affection, thème central illustré par l’épigraphe du roman : «&nsbp;L’homme a toujours besoin de caresse et d’amour. » (Alfred de Vigny). Masturbations mutuelles, fellations et même enfin la sodomie sont excusables pour le jeune garçon qui prend conscience du bonheur qu’il peut donner et qui devient ainsi « la reine » de l’Institut Saint Louis de Gonzague en distribuant à tous ses faveurs, même aux plus sales et aux plus laids. Il confie à un garçon : « Je t’aime, toi et tous ceux qui m’aiment, et je veux vous faire à tous tous les plaisirs que vous voudrez. » (p.47) Mais le grand amour de sa vie agira envers lui de façon abominable et l’histoire finit malheureusement par un suicide. La Fille manquée, qui date de 1903, est néanmoins un roman exceptionnel par son audace.

[Le texte de cette conférence est disponible intégralement à l'adresse : http://www.agq.qc.ca/telechargements/ConferencesLouisGodbout/nac-ed/ebauches.pdf]

Alors oui félicitons-nous de cette réédition par GayKitschCamp, dans sa collection QuestionDeGenre, de La Fille manquée qui se présente, par son contenu, comme un deux en un, voire un multiforme, ce qui, somme toute, est un reflet logique des penchants singuliers — androgynie oblige — des personnages du roman. L’iconographie, comme l’a soupçonné Clément Arnoult est magnifique, riche en documents de l’Époque dite la Belle et les feuillets, ceinturés d’une couverture illustrée, sont à vous faire bander l’âme ! Il s’agit de L’Ange déchu, du peintre montpelliérain Alexandre Cabanel, portraitiste de genre con-troversé mais parfaitement bienvenu et dont l’œuvre reproduite aurait, selon moi, été fort du goût de Han Ryner. A vous faire bander l’âme, en effet, au-delà des mots, des phrases, des descriptions, des comportements, il est bien question ici, comme dans la plupart des œuvres du conteur philosophe, de la vie et de la survie de notre âme, et non de cul pour le cul, même si le sexe n’en est pas absent, mais rien de comparable avec ce que la littérature a depuis produit ni même avec celle diffusée sous le manteau.

Les ouvrages de la collection QuestionDeGenre ont le mérite d’être accompagnés de documents originaux, le plus souvent d’un appareil critique et même d’une étude, comme c’est le cas ici, par Marie-France David-de Palacio et Patrick Cardon, analysant l’œuvre sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions mais aussi la dépassant largement — et cela peut être une incitation pour le lecteur qui souhaiterait découvrir les autres écrits d’Han Ryner —, en distillant éléments bio-bibliographiques et environnementaux, si je puis dire, inhérents à la carrière du Socrate du XXe siècle.

La postface est, à tous les points de vue, parfaitement éclairante, d’une d’analyse savante et fine tout à l’image du fin psychologue Han Ryner. De plus elle n’est pas réductrice, ne s’en tient pas, par exemple, à dire, comme avaient pu le déclarer des critiques passés, qu’il s’agit de la description de mœurs homosexuelles banales, mais elle nous montre et démontre son dépassement au domaine social et éthique.

Une toute petite parenthèse, amicale, au point que je m’en veux même de la signaler, aussi compté-je sur nos bons sentiments. Il s’agit d’E. Armand (1872-1962) cité en note à propos de l’anarchisme individualisme dont il fut l’un des propagateurs. L’ «  Émile Armand » ! Celui-là on nous l’a bien enfoncé et depuis longtemps. Sacré Ernest-Lucien Juin dit E. Armand, tu nous manquais et ça fait du bien de lire ton nom à toi l’En-dehors, à toi l’Unique ! Mais l’Émile, lui, on l’a bien enfoncé, on a tous fait l’erreur, au moins une fois, il est bien vivant et les plus jeunes vont refaire l’erreur ! C’est à désespérer de l’Histoire et de ses constructions malheureuses, qu’en individu je peux éviter mais que socialement nous ne pouvons abattre ! Passons…, je me retire avec l’autre Émile, celui de Jean-Jacques, qui est bien présent, en référence au mode des Confessions choisi par H. Ryner et à la libre éducation préconisée par les mêmes.

Experte en littérature fin de siècle, talentueuse exégète, Marie-France écrit : « La Fille manquée est bien plus qu’un récit parmi d’autres sur les amitiés particulières. Il s’en dégage un pathos qui n’a rien de convenu, une force, une authenticité et un réalisme psychologique étonnants pour cette époque ». L’œuvre est là, littérairement belle et j’engage les lecteurs qui ont pu être découragés après une dizaine de pages d’un livre de Han Ryner, tant par le traitement du sujet que par l’écriture, eh bien qu’ils essaient à nouveau en commençant par La Fille manquée et je gage que leur curiosité sera excitée et satisfaite, les mènera vers d’autres chemins, d’autres œuvres au caractère protéiforme mais laissant apparaître une pensée commune.

J’ajouterais seulement, pour le détail, pour le souvenir et pour l’avenir. Marie-France a judicieusement fait remarquer la précision des lieux et des dates donnée par Ryner dans son récit comme s’il avait souhaité ramener « ;le lecteur dans un temps contemporain de l’écriture et à deux ans près de la publication : 26 juin 1901 ». Cette intention d’Han Ryner est tout à fait exacte et l’on pourrait être tenté (pure spéculation ?) d’y rechercher des éléments d’un récit autobiographique ou encore d’un roman à clefs. Pourtant il n’en est rien, malgré d’autres dates précises de « journée des rencontres » inscrites dans le journal de François de Taulane (nom d’un village de la région de Forcalquier…) comme le 11 avril 1899…, date très réelle celle-là, puisque celle de la rencontre de l’écrivain avec l’écrivaine Jacques Fréhel… Lieux, dates, personnages réels, sont utilisés par Han Ryner qui n’invente donc pas tout mais utilise ceux-ci en les déplaçant ou les transformant. Grandville, où le couple se retrouve, est aussi le lieu où, au début du printemps 1900, le couple réel Ryner-Fréhel passe ses vacances et La Fille manquée y est écrit… Parmi les femmes qui, à coup sûr, ont marqué et fait évoluer – à cette époque – la personnalité de Han Ryner, sa conception de l’amour et du couple, qu’il soit hétéro ou homosexuel, ajoutons sa maîtresse Max Lyan, d’avec laquelle il vient de rompre – une des rares à avoir échappé totalement au Massacre des Amazones – et son épouse Aimée Ferrary… Ce sont-là quelques pistes qui permettraient un élargissement de la recherche, car il me semble possible d’établir de nouveaux liens et de nouvelles correspondances approfondissant notre connaissance du père Ner !

De tout mon cœur de membre des Amis de Han Ryner, merci Marie-France, merci Patrick, pour la courageuse, noble et magnifique réédition, qui redonne vie à un livre et à son époque et qui, je l’espère, sera une découverte ou, pour certains, une redécouverte… Et vous, internautes qui vous étonnez sur le blog Han Ryner, ne manquez surtout pas de lire La Fille manquée !

Daniel Lérault

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27 juillet 2013 6 27 /07 /juillet /2013 18:58

"En marge du centenaire de Han Ryner : La fille manquée", par Robert Amar

Cet article paru en 1962 dans la revue "homophile" Arcadie, repris sur le très intéressant blog Culture & questions qui font débats, m'avait échappé. Je vous en conseille la lecture dans le sillage de la réédition de La Fille manquée.

Sur la revue Arcadie, on pourra lire cette présentation. A lire également, cet article d'Arcadie consacré à une enquête des Marges parue en 1926, parfois surprenante.

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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 18:18

Une recension parue dans la Revue du Christianisme social n° 11 de novembre 1911 (merci Gallica), écrite par Elie Gounelle, protestant, mais apparemment pas tout à fait sur la même longueur d'onde que le pasteur Giran...


Le Cinquième Evangile, par Han Ryner (4e éd.). Chez Eug. Figuière, édit. 7, rue Corneille, Paris (3 fr. 50).

« Plusieurs ayant écrit les choses qu'ils trouvaient dans leur cœur mais qu'ils croyaient que d'autres avaient vues avec les yeux du corps ou entendues avec les oreilles charnelles ; j'ai voulu aussi, ô mon âme d'amour et de rêve, mettre par ordre ce que tu sais, après m'en être exactement informé auprès de toi. Et puisque le souvenir de Jésus, fluide et flottant comme un fantôme, a pris les formes successives de poètes qui se croyaient des historiens, Il prendra bien encore la forme d'un rêveur qui n'ignore point que son rêve est un rêve ».

Il y a bien une ironie fine dans ce subjectivisme échevelé d'artiste qui, sur la vieille base branlante d'hypothèses rationalistes absolument compromises, a osé tenter de bâtir, sous le nom de « Cinquième Evangile », un édifice de rêve pour y placer un Christ « fluide et flottant comme un fantôme », un Christ libertaire, projection à peine idéalisée de son créateur parisien... L'intention profonde de Han Ryner est bien louable, encore qu'elle suppose, exprimée comme elle l'est, un dualisme irréductible entre Dieu et l'Homme, dualisme que la piété la plus haute et la théologie la plus renseignée ont depuis longtemps réduit, grâce à une conception harmonieuse de l'être dont la clef est l'incarnation elle-même, et grâce surtout à l'expérience religieuse fondamentale dont la clef est la conversion, ou mieux encore, la régénération morale et spirituelle de l'âme.

L'auteur, hanté comme tout le monde l'est dans les pays catholiques ou libres-penseurs, par ce faux dualisme initial entre l'Homme et Dieu, s'indigne que les premiers évangélistes aient fait de Jésus un Prophète, un Verbe, un Dieu... Et il s'écrie : « C'est pourquoi je t'invite, ô fils de l'homme, à une ascension nouvelle. Pour que, dans la clarté sincère du soleil, tu montes vers le sommet réel et pour que tu deviennes enfin, ô Fils de l'Homme, un Homme ». Ceux qui croient à l'humanité de Dieu, à fond, peuvent signer, en lui donnant son sens le plus sublime, ce programme-là.

L'ascension rêvée n'est pas... « nouvelle », et M. Han Ryner m'excusera de le lui dire, son œuvre est un bel effort littéraire, mais ce n'est pas une ascension spirituelle : le Jésus des Evaugiles, à travers le langage ému des disciples et le voile d'adoration tissé par les mains pieuses des communautés primitives, est peut-être difficile à reconstituer dans tout le détail, parfois sans grande portée, d'une biographie historique ; mais il est réel, vivant, la Réalité même, la Vie même, pour quiconque cherche à le saisir avec toute sa conscience, avec toute son âme. Au point de vue spirituel et moral, le Jésus des Évangiles est un. Il est Saint, parfaitement saint, d'une sainteté humaine, vivante, éternellement rayonnante. Rien de pareil dans toutes les imitations ou inventions de la vie de Jésus qu'on a tentées depuis lors. Rien de pareil, M. Han Ryner, dans votre poème du cinquième Evangile. Et voilà pourquoi vous n'avez pas encore atteint le sommet, l'Homme.

On n'atteint pas l'Homme sans le Dieu. Et vous avez mille fois plus raison que vous ne le pensez de ne pas ignorer que votre rêve n'est qu'un rêve. Cette modestie parfume notre [sic] œuvre.

Dans ce rêve de poète, d'ailleurs, il y a à côté de vieilles explications exégétiques dépassées ou impossibles, des trouvailles de génie ; des commentaires saisissants et neufs à côté de contes bleus et d'hypothèses fantaisistes ou même parfois pénibles et souillées. Par exemple, M. Han Ryner réédite la vieille calomnie de Celse sur les relations d'un Panthéros avec Marie ; il explique les apparitions du Crucifié à la façon d'un Paulus de Heidelberg ou d'un Venturini, c'est-à-dire par les hypothèses si souvent réfutées d'une mort apparente, d'interventions esséniennes, etc.

Mais laissons nos nombreuses réserves... Le Christ reste après tout un problème insoluble et une source intarissable de problèmes pour quiconque l'interroge sans avoir au préalable harmonisé son âme pécheresse avec l'âme sainte du Sauveur. Nul n'entre dans l'Evangile authentique, seul éternel, que par la porte étroite du repentir et de la conversion : c'est une loi morale et c'est une loi historique...

Je tiens à rendre hommage non pas seulement au talent pénétrant de l'auteur, mais à ses hautes intentions d'adaptation moderne..., grâce auxquelles il a saisi en Jésus plusieurs des traits les plus originaux du sage, plutôt que les exemples vivifiants du saint.

Le Jésus anarchisant de Ryner meurt tué par la Loi, et il est dommage que l'Amour ne le réssuscite pas ! — Pour réveiller l'homme dans le prêtre, dans le juge, dans le riche, dans le soldat, ce Jésus fait pourtant ce rêve d'amour (ou peut-être de haine ?) « qu'il n'y ait plus de prêtres », plus de soldats, plus de riches, plus de juges... Il pose à tous ces conditions négatives qui forment comme une Loi nouvelle, laquelle libère effectivement de toutes les lois : « Si quelqu'un veut venir dans mes chemins, qu'il soit prêt à toutes les croix ».

Quelles vues neuves et belles, quelles résurrections incessantes de la Vérité et de la Personne du Christ, quelle prodigieuse multiplication des pains évangéliques il y aura pour les multitudes, quand les littérateurs, les poètes et les artistes de notre grand Paris — tels un Ryner — se convertiront à fond au Christ des quatre premiers Évangiles !... Si l'Evangile des rêves littéraires est déjà beau, que sera donc celui de la réalité ? « Le cinquième Evangile » passera, malgré le talent. Mais les quatre premiers ne passeront pas : ils demeurent prodigieux, saints, inimitables et pour tout dire infiniment humains, non pas quoique, mais parce que infiniment divins.

Elie Gounelle


Ce fond de tiroir pour patienter en attendant un billet — que je n'arrive pas à finaliser faute de temps — sur la réédition du Petit manuel individualiste chez Allia. On en a causé un peu ici, ici et . Mais Le Cinquième évangile chez Téolib, c'est bien aussi ! Et malheureusement, il semble qu'on ne se bouscule guère au portillon pour l'acquérir... C'est vrai que le pauvre Jésus a été accommodé à tellement de sauces depuis 2010 ans...

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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 17:51

A l'occasion de la réédition toute récente du Cinquième évangile, je mets en ligne l'ébauche de dossier critique paru dans le n° 69 (2è trimestre 1963) des CAHR. La sélection et les coupures ont été faites par Louis Simon. On a ajouté le texte manquant entre crochets, quand cela a été possible.


[Georges Palante] [Paul Reboux] [Henri Bachelin]
[Etienne Giran] [Octave Béliard] [Daniel de Vernancourt]


[Laissons les entreprises de pédantocratie et terminons ces notes par l'évocation d'une noble figure de rêve : le Christ du Cinquième Evangile de M. Han Ryner.]

On sait qu'il existe sur la naissance de Jésus une curieuse légende dans laquelle le nom de Panther ou Panthère joue un rôle. Voltaire, dans son Dictionnaire Philosophique, à l'article Prophéties, rapporte que le père de Jésus, au dire des anciens juifs, aurait été un gentil du nom de Panther. En conséquence, les juifs traitaient Jésus de fils de Panther, d'impie et fils d'impie. Je trouve d'autre part dans Origène (Contra Celsum) une version plus étrange. Celse fut, on le sait, le premier écrivain qui attaqua le christianisme. Ce fut une sorte de Homais du second siècle qui ridiculisa de son mieux les légendes et les dogmes chrétiens. Or, nous trouvons rapportée chez Celse, au dire d'Origène, une légende juive, d'après laquelle Jésus serait né d'une jeune femme juive et d'une panthère ( !) — Je me hasarde à expliquer cette dernière et bizarre légende par une transformation populaire de l'autre version d'après laquelle le père de Jésus aurait été un étranger du nom de Panther. [— L'amour du peuple pour le merveilleux et peut-être aussi la haine des juifs pour les chrétiens auraient transformé le nom de « Panther » en celui d'une panthère ; et aurait ainsi attribué au Christ cette étrange naissance dont on trouve d'ailleurs des équivalents dans les mythologies païennes.]

Si je pose ce petit problème d'histoire ou plutôt de légende religieuse, c'est que l'idée m'en est suggéré par le début du beau livre de M. Han Ryner : Le Cinquième Evangile s'ouvre par le récit des amours de Marie et d'un centurion de l'armée romaine (grec d'origine), nommé Panthéros, jeune et beau comme un dieu, ayant dans le cœur et exprimant dans le plus beau langage toute la noblesse d'âme stoïcienne, tout le magnifique Mépris de la Loi, toute la sagesse escarpée et sereine que M. Han Ryner va infuser dans l'âme du Fils de son rêve. En Marie elle-même revit l'amour ardent de la Justice, héritage de cette race juive d'où est sorti le cri enflammé des Prophètes. C'est de ce couple eugénique que va sortir le héros du Cinquième Evangile, le Nazaréen idéal que M. Han Ryner invite à une ascension nouvelle vers des cimes aussi hautes, mais moins âpres, plus claires et plus hospitalières que celles du haut desquelles vaticina Zarathoustra.

Georges Palante,
dans sa chronique philosophique

du Mercure de France
16 mai 1911

[On peut lire la chronique entière sur l'excellent site Palante.]


Après les évangiles selon Saint Mathieu, Saint Marc, Saint Jean et Saint Luc, nous avons l'Evangile selon M. Han Ryner. L'auteur a entrepris de purifier les écritures des légendes bizarres, des quiproquos, et des calembours dont elles sont regrettablement encombrées. Il a voulu faire de Marie, de Joseph et de Jésus des êtres humains et soumis à nos passions ou à nos faiblesses ; surtout il a étudié la personnalité du Christ avec une perspicacité digne d'éloges. Il a tracé un portrait remarquable de rêveur anarchiste, de phraseur dont les images incomprises s'accréditaient et devenaient par la tradition des réalités, d'inconscient qui prêchait aux hommes une doctrine fondée sur la bonté, d'optimiste illuminé qui annonçait le triomphe de ses idées, sans prévoir comment s'accomplirait ce triomphe et quels en seraient les bénéficiaires. Il y a, dans cet ensemble de textes apocryphes composés par M. Han Ryner pour contredire logiquement les textes consacrés, de la clairvoyance et de la poésie.

Paul Reboux
dans le Journal du 11 novembre 1910.


[LE CINQUIÈME EVANGILE, par Han Ryner (Figuière).

Ce que la Cène vit et ce qu'elle entendit
Est écrit, dans le livre où pas un mot ne change.
Par les quatre hommes purs près de qui l'on voit l'Ange,
Le Lion, et le Bœuf, et l'Aigle, et le ciel bleu ;
Cette histoire par eux semble ajoutée à Dieu
Comme s'ils écrivaient en marge de l'abîme.
Tout leur livre ressemble au rayon d'une cime......

(Hugo : La Fin de Satan).

Voici qu'à ces « quatre hommes purs » il nous faut ajouter, et je le dis sans ironie, Han Ryner, mais sous quelle figure symbolique ? N'est-ce pas à propos de ce Cinquième Evangile qu'il faudrait modifier, sous une forme... judiciaire, la phrase de Pascal devenue lieu commun :Le cœur a ses raisons dont la raison connaît ? Car il s'agit dès les premières pages, et nous n'avons pas à nous y tromper, d'un rappel à la stricte raison. Il faut enlever au Christ qui s'appela Jésus, — puisqu'il y eut, en Judée, beaucoup d'autres Christs, — son auréole divine, le faire descendre du Thabor pour l'inviter à une ascension vers le sommet réel, et pour qu'il devienne enfin, ce fils de l'Homme, un Homme. Mais il s'agit aussi de ne point nier les miracles. Toutes les guérisons deviendront allégoriques.] Les miracles ne touchent point à la chair : ils se font dans les âmes. Et les voici tous expliqués dans ce Cinquième Evangile, non point didactiquement, mais en si parfaite conformité avec la nature numaine, que, si nous arrivons à refuser notre complet assentiment, ce n'est qu'au prix d'un effort. Car ne sont-ce point encore des rêves ? Oui. Le Cinquieme Évangéliste le sait bien lui-même :

[Puisque le souvenir de Jésus, fluide et flottant comme un fantôme, a pris les formes successives de poètes qui se croyaient des historiens,

Il prendra bien encore la forme d'un rêveur qui n'ignore point que son rêve est un rêve.

Dans ce rêve nous trouverons pourtant d'étranges précisions, lorsque la raison intervient. Jésus, nous dit Han Ryner, n'était pas assez harmonieux et assez fort pour tenir son chemin entre la prière et le blasphème. C'est pourquoi il eut peur de ses pensées. Il rêvait et priait, et il croyait penser. Il faisait, avec l'ombre de sa justice et de sa bonté, un avenir de bonté et de justice.

Mais] nous trouverons aussi, lorsque le rêve devient une pensée, d'étranges agrandissements, comme lorsque le voile du Temple se déchira, decouvrant le Saint des Saints, c'est-à-dire la vérité du monde.[Un jour que le Christ Jésus parlait à la foule, il vit venir à lui un homme aux vêtements couverts de poussière, et il tenait un bâton à la main, et on voyait qu'il arrivait d'un long voyage.

Il dit donc à Jésus : Tes paroles sont nouvelles aux oreilles de ceux-ci. Moi, je les ai entendues souvent dans d'autres pays.

Car je viens des pays où Alexandre ne pénétra point. Et ils sont des milliers de prophètes, dans ces pays, qui annoncent l'amour et la miséricorde.

Jésus leva les mains vers cet homme, et dit : Sois béni, ô mon frère ! Car tu es pour moi le messager d'une grande joie !]

Reprocherons-nous au cinquième Evangéliste d'avoir accordé son rêve personnel avec de précédentes exégèses, et de nous avoir donné, de la résurrection, des explications que Renan, s'il était né trente années plus tard, ne désavouerait point ? Non, puisque, de tout cela, nous ne savons rien, ni les uns ni les autres. Il suffit qu'un idéal nous soit proposé, au nom de la justice et de l'amour, pour que nous tâchions à y conformer les moindres de nos pensées et de nos actions, que nous sachions que Jésus parlait toujours au nom de son cœur, et il s'adressait au cœur de ceux qui étaient là, que quiconque détruit une loi au nom de son cœur, celui-là est un vivant et une source de vie.

Et, à cause de ces insinuations, et de ces affirmations, et de beaucoup d'autres, que, pour parler comme le quatrième Evangéliste, je ne puis écrire en détail, le Cinquieme Evangile est un livre qui méritera longtemps d'être lu, et, surtout médité.

Henri Bachelin,
dans la Nouvelle Revue Française
du 1er mai 1911

[On peut apparemment lire l'intégralité de l'article là-bas.]


Un cinquième Evangile ? Quel est l'heureux chercheur qui l'a découvert au tond d'un de ces gîtes mystérieux où dorment encore tant de documents ignorés ? C'est Han Ryner. Mais ce n'est pas vers un vague Orient qu'il a dirigé ses recherches : il s'est penché sur « son âme d'amour et de rêve » et c'est là qu'il l'a découvert...

Dès longtemps, certes, l'exégèse du protestantisme libéral avait établi cette humanité du Fils de l'homme, mais rien n'est plus émouvant que ce témoignage d'un poète qui s'informe auprès de « son âme d'amour et de rêve » et y puise intuitivement et de prime abord des révélations qu'une critique myope a mis des siècles à découvrir !

C'est cette puissance d'évocation que j'aime à mettre en lumière, car elle s'impose. Je ne crois pas qu'on ait écrit autour de l'Evangile quelque chose qui réponde plus merveilleusement à la pensée de cet « humble de cœur et d'esprit » que fut Jésus. Han Ryner a su éveiller, dans son être profond, ce « disciple aimé » dont parle le quatrième Evangile et qui, vivant dans l'humanité, doit « rendre témoignage » jusqu'à la fin des siècles. C'est ce disciple aimé, ce disciple selon l'Esprit qui parle par sa bouche et qui est le véritable auteur du Cinquième Evangile. Certes, il faut une jolie audace pour oser donner ce titre à un livre dont l'auteur a sondé tout ce qu'il y a d'incertitude dans nos pauvres certitudes humaines, mais c'est là un bel acte de foi en l'Esprit vivant qui n'a pas cessé de parler à l'humanité chercheuse. C'est un acte de foi en cet Esprit de vérité qu'annonce le quatrième évangéliste et qui doit corriger les antiques révélations ou les confirmer ou les parfaire ! Et c'est cet Esprit de vérité que Han Ryner a écouté parler dans son « âme d'amour et de rêve ».

[...] Je pourrais multiplier les citations durant de longues colonnes : tout y est profond, tout y est original. Certes, les croyants attachés à la tradition feront de nombreuses réserves, mais les paraphrases que Han Ryner donne des paroles obscures du jeune inspiré de la Galilée les éclairent merveilleusement. Les paraboles qu'il ajoute à celles de l'Evangile sont dignes de celles qu'il contient, et, l'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, de la riche imagination du poète qui renouvelle, dans toute sa fraîcheur orientale, la forme littéraire des paraboles évangéliques et de l'extraordinaire puissance d'intuition qui nourrit sa pensée. C'est bien un cinquième Evangile que nous avons désormais, et les lecteurs trouveront dans ses pages des richesses insoupçonnée. C'est l'Evangile laïque par excellence. Il est le livre de chevet que je souhaite à une démocratie consciente d'elle-même, et je me considère comme très heureux de le signaler aux lecteurs des Droits de l'Homme. Ceux qui l'ont lu se surprendront à le relire ; ils y reviendront encore, et le charme prenant qui s'en dégage ne fera que s'accroître à chaque lecture nouvelle.

Etienne Giran,
dans ses « Propos d'un Libre Croyant »
Les Droits de l'Homme du 12 mars 1911.

[Deux livres de Giran sont réédités chez Théolib. On trouvera notamment dans Le Christianisme progressif une intervention de Ryner lors d'une conférence de Giran.]


C'est un évangile rationaliste, la vie de Jésus adaptée à notre mentalité d'hommes modernes. L'auteur a serré du plus près le texte de Luc, de Marc, de Mathieu et de Jean, mais il a élagué par-ci, par-là, ajouté quelques anecdotes ou paraboles de son cru, et donné des faits merveilleux, une explication symbolique. Son but est de mettre en relief le Jésus, humain, individualiste, ennemi des lois, que ses disciples ne comprirent pas, puisqu'ils s'appuyèrent pour fonder une religion nouvelle sur l'autorité de celui qui était venu détruire les religions au profit du culte intérieur. D'autres ont vu la métaphysique christique, d'autres une mystique. M. Han Ryner s'attache à l'éthique de Jésus, assez proche de l'éthique stoicienne, et tout ce qui reste de lui, en somme. Dans ce travail, M. Han Ryner a effacé volontairement son effort personnel ; ce sont généralement les évangélistes qui parlent ; mais l'auteur dirige leurs discours, et leur en prête souvent, sans en avoir l'air.

Octave Béliard,
dans Les Hommes du Jour du 29 octobre 1910.


Cette nouvelle « vie de Jésus » n'est pas écrite à la façon d'un livre d'histoire, c'est bel et bien un évangile, mais un évangile d'un genre tout particulier, un évangile pour les gens qui ne croient pas le moins du monde à la divinité du Christ, ni même à sa mort sur la croix.

Vous vous rappelez le texte de Renan, quand Jésus expire : « Le ciel était sombre ; la terre, comme dans les tous les environs de Jérusalem, sèche et morne. Un moment, selon certains récits, le cœur lui défaillit ; un nuage lui cacha la face de son Père ; il eut une agonie de désespoir, plus cuisante mille fois que tous les tourments. Il ne vit que l'ingratitude de hommes ; il se repentit peut-être de souffrir pour une race vile, et il s'écria : “ Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?” Mais son instinct divin l'emporta encore. A mesure que la vie du corps s'éteignait, son âme se rassérénait et revenait peu à peu à sa céleste origine. Il retrouva le sentiment de sa mission ; il vit dans sa mort le salut du monde ; il perdit de vue le spectacle hideux qui se déroulait à ses pieds, et, profondément uni à son Père, il commença sur le gibet la vie divine qu'il allait mener dans le cœur de l'humanité pour des siècles infinis. »

Dans le livre de M. Han Ryner, Jésus tombe simplement en léthargie ; une fois ressuscité, c'est-à-dire revenu à lui, il se retire dans le désert.

Néanmoins, c'est Jésus en personne qui apparaît à Saul (ou Paul) sur le chemin de Damas. « Mais Saul avait mal entendu... De sorte que, au lieu de prêcher l'amour, Saul prêcha Christ premier né d'entre les morts et promesse de résurrection pour quiconque croirait en lui... Et, sous le nom de liberté, il établit une servitude nouvelle. Car, au lieu de la servitude des mains, il établit la servitude des esprits ; et, s'il détruisit la foi à la Loi, ce fut pour édifier la loi de la Foi. »

Bref, si le temps était encore aux farouches polémiques religieuses, cet évangile soulèverait probablement plus de colères que l'histoire de Renan. Dans tous les cas, on sera forcé d'y reconnaître un ouvrage de grande valeur littéraire. Les explications des paraboles de Jésus, et aussi de ses miracles, sont présentées avec un art et une habileté extrêmes.

Daniel de Venancourt,
dans Le Penseur (date non précisée)

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23 juillet 2007 1 23 /07 /juillet /2007 20:46

Ce compte-rendu est tiré de La Société Nouvelle, de Mons, du mois de janvier 1910. La première édition du Subjectivisme date en effet de 1909.
Manuel Devaldès (pseudonyme de Ernest-Edmond Lohy), né à Evreux en 1875, mort à Paris en 1956, était un anarchiste individualiste, pacifiste néo-malthusien. A 20 ans, il fonde une Revue rouge qui n'aura que huit numéros, mais s'honorera des signatures de Tailhade, Verlaine, Zo d'Axa, Steinlein... Objecteur de conscience pendant la Première Guerre Mondiale, il passe en Angleterre pour ne pas avoir à participer à la grande boucherie. Il est l'auteur de poèmes, d'essais et des Contes d'un rebelle (couverture), préfacé par Han Ryner. Pour en savoir plus, on peut lire, sur le site du groupe Maurice Joyeux, ses Réflexions sur l'individualisme (dans l'édition numérisée, cet essai est précédé d'une bien utile préface biographique par M. Larralde).
Devaldès consacra plusieurs articles à des livres de Ryner, ainsi qu'une plus vaste étude sur Han Ryner et le problème de la violence (L'Idée Libre, 1927 - couverture). Devaldès est loin d'être un "disciple" de Ryner : il admire la forme, partage certaines idées sur le fond mais quand il n'est pas d'accord, il l'expose nettement - et c'est tant mieux.
Cet article est numérisé à partir de la republication aux CAHR n°39, p. 3 à 7.
Quant au Subjectivisme, on peut le lire sur ce site à partir d'ici. La partie qui est principalement discutée par Devaldès est celle consacrée au déterminisme et à la liberté (accès direct). Un point de vue moins amène est donné par Gus Bofa - on peut le lire ici.


 

Voilà un titre rébarbatif au seuil d'un beau jardin intellectuel. Bien que la grille n'en soit pas attirante, pénètres-y, lecteur, tu ne le regretteras point : de l'imprévu t'y est réservé, car le jardinier ne l'aménagea pas selon cette ennuyeuse symétrie qui lasse l'œil et l'esprit ; au contraire, il y voulut une sorte de laisser-aller, d'abandon naturel d'où naquit une émouvante et neuve harmonie. Il n'est d'ailleurs pas de plus agréable compagnon que M. Han Ryner dans une promenade philosophique. Son inépuisable fantaisie dispense de joyeuses surprises : aphorismes lapidaires, images d'une transparence aérienne, paraboles subtiles, traits de magistrale ironie, dont la pensée profonde se répercute en échos prolongés dans les cerveaux qu'elle frappe. Son style est une musique inoubliable. Enfin, nul plus que lui n'a souci de la personnalité d'autrui. C'est dans cet esprit qu'après avoir avec humour défini la logique, il écrit dans ce chapitre charmant de moqueuse bonhomie qui a pour titre Des bons et mauvais usages de la Logique : « Je mets de l'ordre dans mes pensées pour que le lecteur ou l'auditeur puisse me suivre, — non pour qu'il doive me suivre » et ceci : « Je trace une route. Il y a déjà d'autres routes. Et on peut en construire à l'infini. Pour être entré dans mon chemin, nul n'est obligé de le suivre jusqu'au bout » et encore : « Quand je parle à quelqu'un, je m'efforce d'enlever aux mots que j'emploie tout venin d'affirmation. Et s'il m'arrive de raisonner, j'aime que mon raisonnement évite toute brutalité tyrannique. A ces précautions, je gagne la joie de me faire injurier par tous les faibles, lâches qui désirent s'appuyer sur autrui, ou pauvres surhommes qui, au moins au pays de la pensée, me demandent de leur fournir des instruments de règne. »

D'abord, se demande M. Han Ryner, l'homme ayant pour substratum sa personnalité morale, dans quelle atmosphère la réalisera-t-il le plus harmonieusement ? Aimera-t-il plus que toutes choses le « rire » ou préfèrera-t-il le « boire », pour employer deux termes de la symbolique rabelaisienne ? Le rire, c'est « certaine gayeté d'esprit confite en mépris des choses fortuites », c'est la sagesse, c'est aussi la liberté morale. Le boire, c'est la science. Certains philosophes affirment que « boire est la seule façon d'arriver à rire », d'autres prétendent que « le grand prix du rire, c'est qu'il conduit au boire ». M. Han Ryner, lui, donne la primauté au rire: « Boire, oui, toutes les fois que nous le pouvons. C'est le grand luxe humain. Mais rire et mépriser les fortuits, toujours. C'est la grande nécessité humaine. C'est la marque même de l'homme. Ce n'est pas au boire et à ses chances incertaines que nous demanderons l'indispensable rire. » Que M. Han Ryner place le rire avant la science n'a peut-être qu'une importance secondaire, d'autant plus qu'il admet, en somme, l'une et l'autre comme de nobles buts de l'activité humaine. Cependant, persuadé que la science est la source du rire, je me range parmi ceux qui, « d'un noeud indissoluble, prétendent lier les deux joies supérieures ». Car la sagesse, la liberté morale, le scepticisme ne naissent pas spontanément. De quel pouvoir tiendrons-nous ces richesses, sinon de la science, qui seul à nous donner des certitudes, nous permet seule de rire des fantômes et des mirages qu'imbéciles et canailles voudraient nous faire prendre pour des réalités ?

Puis voici M. Han Ryner devant l'antinomie du déterminisme et de la liberté. Il ne s'efforce pas de la résoudre. Il la nie en affirmant l'existence simultanée, en l'homme, de ces deux principes. Solution élégante, peut-être, mais qui laisse sûrement l'esprit insatisfait. Solution de « philosophe-poète », dirait M. Le Dantec. « J'évoque, écrit M. Han Ryner, ce que les génies et les nigauds ont dit sur la question, j'examine chacune de leurs paroles. Trouverai-je en quelqu'une d'elles un commencement de démonstration de l'universelle nécessité, ou de la liberté humaine, ou de l'universelle liberté ? Rien qui y ressemble. Regardés en face, les prétendus arguments reculent, balbutient, finissent par mendier humblement le déterminisme comme un postulat de la science, la liberté comme un postulat de l'action. Je veux vivre harmonieux et je ne me refuse pas au savoir : je suis tenté de tout accorder, ici comme là, sans trop m'émouvoir de la contradiction. Apparente ou réelle, insoluble ou faite d'une brume inconsistante, la contradiction, après tout, se produit aux profondeurs métaphysiques, joyeux domaine des antinomies. Bientôt je souris, amusé : mon attitude contradictoire, je viens de m'en apercevoir, est celle de tous les hommes. Leurs négations verbales sont faites d'inconscience. Chacun de leurs gestes est un acte de foi au déterminisme et ensemble un hymne à la liberté. »

Mais ce ne sont pas les arguments de l'un ou l'autre clan qui doivent porter l'homme à admettre la vérité du déterminisme ou de la liberté. Tout au plus doivent-ils avoir pour conséquence de l'induire à se scruter afin de constater l'action en lui de l'un ou l'autre des deux principes contradictoires, ou - amusante hypothèse — de l'un et de l'autre... Que, mettant de côté le préjugé du libre-arbitre qui étaya sa fausse éducation spiritualiste, il analyse ses pensées et ses actes, qu'il les relie les uns aux autres et se demande : « Etais-je libre de penser ceci plutôt que cela, d'agir ainsi ou différemment ? Avais-je le choix ? » S'il est conscient et sincère, sa réponse est certaine : « Non, je n'étais pas libre de mes pensées, non plus que de mes actes. Je n'avais que l'illusion du choix : toutes mes pensées, tous mes actes sont, comme mon existence même, déterminés. »

Bien que M. Han Ryner s'amuse de la contradiction et s'efforce de tenir la balance entre les tenants de l'un et l'autre concepts, il laisse percer une certaine préférence pour la liberté. Ses paroles sont plus dures à l'égard du scientiste déterministe que de son adversaire. Et s'il ne nous avait prévenus que la logique n'est qu'un lien fragile pouvant unir des choses disparates et par là créer l'illusion de l'unité ; si, par suite, et encore qu'il ne dogmatise point et laisse plus de place chez lui au rêve qu'au raisonnement, je ne considérais sa logique comme le simple miroir de sa personnalité — personnalité plus poétique que scientifique —, je lui dirais que sa logique ne m'a pas convaincu, car elle est souvent spécieuse, comme, par exemple, en ce raisonnement : « Si le déterminisme avait la rigueur négative que postulent certains savants et qui leur semble nécessaire à la science, Voici que la science elle-même deviendrait impossible. Construire la science, c'est agir. Si tout est déterminé d'avance, aussi le sera la direction de ton regard, ô physicien qui cependant te proposes d'observer tel phénomène tout comme si tu étais libre de regarder où tu veux. Ton effort pour étudier le monde affirme la liberté, exactement dans la même mesure que mon effort pour me connaître moi-même. » J'aurais désiré pouvoir poursuivre la citation. Elle se serait continuée dans le même esprit jusqu'à ce qu'elle se terminât par ce paradoxe: « Ainsi la science, mère du déterminisme, est fille de la liberté. »

On ne peut plus joliment ramener la philosophie déterministe au rang d'une amusette de savant un peu maniaque. Et pourtant M. Han Ryner admet la vérité du déterminisme... Mais qui lui permet de penser que le regard du physicien ne soit pas déterminé d'avance ? Les tâtonnements de ce dernier ? Mais le déterminisme d'un acte ou d'une série d'actes n'est-il pas constitué par le concours d'une multitude d'influences différentes, tant convergentes que divergentes ? Ce que nous appelons les tâtonnements du scientiste rentre tout simplement dans le mode de réalisation de l'expérience scientifique. La lenteur et les difficultés qu'il éprouve à parvenir à la connaissance expérimentale et à l'objectivation des phénomènes naturels fourniraient donc à M. Han Ryner un de ses meilleurs arguments contre le déterminisme — exclusif de la liberté ? Mais la lumière qui nous parvient du soleil nécessite elle-même un certain laps de temps pour parvenir à la terre. Et si entre les deux astres s'interpose quelque corps étranger, elle ne nous parvient pas ou n'arrive que partiellement : qu'il disparaisse, nous la percevons intégralement. Le corps étranger qui masque la réalité connaissable au regard du scientiste, c'est l'ignorance, déterminée elle aussi et susceptible de se dissiper un jour pour faire place au savoir. Ainsi la science n'est qu'en apparence fille de la liberté : elle est le déterminisme se manifestant au scientiste, qui prend conscience de l'univers. Le scientiste peut paraître libre dans son labeur, il peut même avoir l'illusion de sa liberté (mais alors quel scientiste est-ce ?) en réalité il ne l'est nullement — non plus qu'aucun autre homme.

Tous les arguments que M. Han Ryner apporte au débat, contre le déterminisme et en faveur du libre-arbitre — encore qu'il semble admettre l'un et l'autre, ce qui relève de la fantaisie — ne sont que des postulats de sa thèse. Je crois distinguer qu'il juge l'idée du libre-arbitre indispensable à la base de toute philosophie individualiste, à tort, d'ailleurs, la conscience déterministe n'étant nullement un obstacle à l'individualisme, notamment à celui de M. Han Ryner, qui vise à la culture et à l'épanouissement harmonieux de l'individu. Mon effort pour me connaître et me réaliser tel que mon idéal me propose à moi-même n'affirme en rien ma prétendue liberté, mais atteste que je me trouve dans les conditions nécessaires à déterminer en moi le besoin de me connaître et de me transformer. Il s'agit donc, pour faire œuvre individualiste, de mettre l'individu dans les conditions propres à la germination de la semence qu'on aura jetée en lui.

« Pour que j'agisse, écrit M. Han Ryner, il faut que je me croie libre ; il faut aussi que j'espère nécessiter l'avenir, au moins mon avenir intérieur. » Sans doute, l'idée d'action entraîne habituellement en l'esprit celles de liberté du sujet et d'effet déterminant sur l'objet. Mais la première est la conséquence d'un préjugé. L'idée même de la nécessité, pour l'individu, de la croyance en sa liberté pour agir ne résulte-t-elle pas, elle aussi, d'un préjugé ? Ne serait-il pas plus exact de dire simplement, en manière de constatation : lorsque j'agis, je fais comme si j'étais libre ; si je suis inconscient du déterminisme auquel je suis soumis, je crois agir librement, mais lorsque j'en suis conscient, j'agis comme si j'en étais inconscient ? Automate conscient et inconscient agissent de même, selon leur norme personnelle avec la seule différence de la conscience. L'homme le plus conscient du déterminisme, fût-ce M. Le Dantec (1), agit comme s'il était libre. Ne saisit-on pas là l'erreur de causalité que commet, à l'égal de l'homme le plus fruste, le philosophe qui affirme la réalité du libre-arbitre ? Il considère l'acte qu'il accomplit comme un effet de sa volonté libre alors qu'il est celui d'une foule de causes dont il ne peut d'ailleurs connaître qu'une infime partie. Ce qu'il appelle « liberté », c'est le déterminisme en action : c'est pour mieux dire, une pure illusion.

La crainte des philosophes qui entretiennent sciemment le culte de cette illusion paraît être qu'ayant pris conscience de l'universel déterminisme, l'homme ne fige son activité dans un pesant fatalisme, mais il n'en peut être car l'action est la loi de la vie. Le fait pour l'homme de savoir qu'il n'est qu'un minuscule atome dans une immense machine que son esprit ne peut même concevoir ne peut nuire en rien à la conscience de sa personnalité, ni entraver l'évolution de ses caractères intellectuels et moraux, ni annihiler le vouloir de perfection intérieure qui peut l'animer, non plus que diminuer son désir, voire son pouvoir, d'action sociale, ni même son aptitude au rêve. Au contraire, délaissant sa croyance mystique en la liberté métaphysique, agrandissant en lui le domaine de la connaissance, il acquerra de la puissance, c'est-à-dire de la liberté positive.

Le mot de « liberté » ne peut avoir pour nous qu'un sens relatif et non absolu. En matière d'individualisme, la liberté relative est une conséquence de la puissance de l'individu, laquelle peut compter, par exemple, entre autres causes génératrices, l'éducation, à condition que celle-ci soit faite dans un sens libertaire, bien entendu. Et, en définitive, n'est-ce pas là aussi la conception de M. Han Ryner, dont l'œuvre vise à donner à l'homme une méthode de vie qui le fasse libre, dans la mesure du déterminisme — déterminisme qui sera d'autant moins tyrannique pour l'individu qu'ayant acquis plus de science il pourra mieux réagir contre les milieux ou agents déterminants.

En un chapitre qui est une lumineuse parabole et où sont évoqués successivement, de l'Eglise à Kant et de Kant à Nietzsche, tous les servilismes et tous les dominismes, tous les mensonges des morales de moutons et de « surmoutons », M. Han Ryner expose cette méthode de vie avec sa maîtrise habituelle : c'est le Subjectivisme, un individualisme où se marient la sagesse d'Epictète et l'amour de Jésus, où la volonté de se connaître et de monter vers les sommets épouse le besoin d'aimer autrui autant que soi-même. On ne pratiquera pas cette méthode à la lettre, mais elle sera le modèle dont chacun pourra s'inspirer pour bâtir la sienne propre. « Nul autre que moi ne peut créer, en respectant les nuances qui la rendent unique et précieuse, mon harmonie », écrit justement M. Han Ryner, qui est bien l'opposé d'un professeur de morale. Cela est vrai pour tous les hommes qui aspirent à l'individualité réelle. Ceux-là trouveront dans le Subjectivisme la plus noble et la plus vivante des sagesses.

Manuel DEVALDÈS.


Note pour le blog :
(1) Félix Le Dantec (1868-1917), biologiste et philosophe. Devaldès fut, semble-t-il, très influencé par son oeuvre et lui a consacré une brochure : Félix Le Dantec et l'égoïsme (1936).

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11 juillet 2007 3 11 /07 /juillet /2007 14:43

Cette critique du Subjectivisme parut dans Le Crapouillot du 1er août 1922, à l'occasion de la réédition de ce petit livre aux éditions du Fauconnier. Critique republiée aux CAHR n°39, p. 3.
A l'origine journal de tranchées, Le Crapouillot est fondé en 1915 par Jean Galtier-Boissière, qui le dirigera d'ailleurs jusqu'en 1964. Après la guerre, le journal devient une revue littéraire et artistique d'avant-garde, souvent féroce, jusqu'à ne plus faire paraître, à partir de 1930, que des numéros spéciaux à caractère satirique. Le Crapouillot perdure jusqu'en 1996, mais au moins à partir de 1968, il est dirigé par des journalistes d'extrême-droite... Sur l'histoire de ce périodique, voir ce site.
Gus Bofa (1883-1968) est surtout connu comme dessinateur, mais il assura la chronique littéraire au Crapouillot de 1922 à 1939, sous le titre "Les livres à lire... et les autres". Je ne suis pas forcément d'accord (voire forcément pas d'accord !) avec Bofa qui trouve Le Subjectivisme inutile et ennuyeux, mais j'admire volontiers sa manière franche et concise, teintée d'une ironie qui n'est jamais pesante - de ce point de vue, Bofa écrit d'ailleurs comme il dessine. On peut lire quelques autres de ses chroniques, mais surtout admirer nombre de ses dessins, sur le très beau site qui lui est consacré : http://www.gusbofa.com/.
Si, malgré les avertissements de Bofa, l'envie vous prend de vous ennuyer quelques temps à lire Le Subjectivisme, vous pouvez le faire à partir d'ici. Vous pouvez aussi lire un autre point de vue, celui de Manuel Devaldès.


Je ne connais pas M. Han Ryner et n'avais jamais eu la curiosité de rien lire (1) de lui jusqu'à cette petite brochure philosophique.

Elle est brève et d'aspect inoffensif, mais M. Han Ryner nous la présente comme l'avant-garde d'un prochain ouvrage plus robuste sur le même sujet (2), ce qui est grave.

Nous l'attendrons de pied ferme, mais je suis persuadé d'avance qu'il ne pourra faire mieux en faisant plus grand et que tout l'ennui de ce livre éventuel est condensé déjà dans les quelques pages - préface.

Cet ennui (je parle en mon seul nom : il se peut qu'il y ait des amateurs, voire enthousiastes, de cet opuscule) tient à deux causes :

1° L'impuissance de l'auteur à nous expliquer ce qu'il veut dire et à nous donner même l'impression qu'il veut dire quelque chose.

2° Le style ronflant et excessif qu'il met au service de lieux communs philosophiques.

Il semble, en effet, tout imprégné de la gloire d'avoir découvert une « éthique » nouvelle en agglomérant la loi humanitaire du Christ avec l'hygiène morale d'Epictète.

Tout au plus a-t-il découvert une étiquette, empruntée par lui à une autre doctrine, ce mot de subjectivisme qui a le double avantage d'être laid et de ne pouvoir signifier rien dans l'acception qu'il lui donne.

Légitime ou non, il revendique cette gloire à grands attelages de métaphores lyriques, d'apostrophes majuscules et d'anathèmes verbeux.

Peut-être ce style lui est-il naturel ?

Peut-être M. Ryner est-il poète de son métier (3)  ? Ce qui lui serait une excuse.

Christ par la barbe, Epictète fumeux, ou Nietzsche-pour-personnes-pâles (4), son livre est en tous cas, je le répète, fort ennuyeux.

Et cela est sans excuse.

Gus BOFA.


Notes pour le blog :

(1) Aux CAHR, on trouvait "dire" au lieu de "lire". Je pense qu'il s'agit d'une coquille !

(2) Ledit "ouvrage plus robuste" est La Sagesse qui rit, qui ne paraîtra qu'en 1928.

(3) Dans Haussements d'épaules (autobiographie inédite), Ryner rapporte qu'étudiant, il commença ainsi une dissertation de philosophie : "Philosophie sans poésie, poésie sans philosophie : deux néants."

(4) Aux CAHR, la chose était orthographiée ainsi : "Nietzsche-pour-personne-pâles". Là encore, je me suis permis de corriger.

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Que trouver ici ?

Des textes et documents de, sur et autour de Han Ryner (pseudonyme de Henri Ner), écrivain et philosophe individualiste, pacifiste et libertaire. Plus de détails ici.

Recherche

A signaler

⇓ A télécharger :
# une table des Cahiers des Amis de Han Ryner.
# les brochures du Blog Han Ryner.
# un roman "tragique et fangeux comme la vie" : Le Soupçon.

ƒ A écouter :
l'enregistrement d'une conférence de Han Ryner.

 Bientôt dans votre bibliothèque ?

De Han Ryner :

L'Homme-Fourmi
La Fille manquée
http://www.theolib.com/images/lulu/sphinx.jpgLe Sphinx rouge
Les Paraboles cyniques
L'Individualisme dans l'Antiquité
Comment te bats-tu ?
1905-pmi-2010Petit manuel individualiste
Le Cinquième évangile
Couverture de la réédition du Le Père Diogène
Pour les germanistes... Nelti

Sur Han Ryner :

Le colloque de Marseille

Autour de HR :

4è plat de couverture du n°3 d'Amer, revue finissanteUn conte d'HR
dans Amer, revue finissante
Couverture du Ryner et Jossot
dans Le Grognard...
Couverture des Un livre de Louis Prat
Couverture d'une anthologie de poèmes d'Emile BoissierDes poèmes d'Emile Boissier
HR parmi les
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