Cette critique du Subjectivisme parut dans Le Crapouillot du 1er août 1922, à l'occasion de la réédition de ce petit livre aux éditions du Fauconnier. Critique republiée aux CAHR n°39, p. 3.
A l'origine journal de tranchées, Le Crapouillot est fondé en 1915 par Jean Galtier-Boissière, qui le dirigera d'ailleurs jusqu'en 1964. Après la guerre, le journal devient une revue littéraire et artistique d'avant-garde, souvent féroce, jusqu'à ne plus faire paraître, à partir de 1930, que des numéros spéciaux à caractère satirique. Le Crapouillot perdure jusqu'en 1996, mais au moins à partir de 1968, il est dirigé par des journalistes d'extrême-droite... Sur l'histoire de ce périodique, voir ce site.
Gus Bofa (1883-1968) est surtout connu comme dessinateur, mais il assura la chronique littéraire au Crapouillot de 1922 à 1939, sous le titre "Les livres à lire... et les autres". Je ne suis pas forcément d'accord (voire forcément pas d'accord !) avec Bofa qui trouve Le Subjectivisme inutile et ennuyeux, mais j'admire volontiers sa manière franche et concise, teintée d'une ironie qui n'est jamais pesante - de ce point de vue, Bofa écrit d'ailleurs comme il dessine. On peut lire quelques autres de ses chroniques, mais surtout admirer nombre de ses dessins, sur le très beau site qui lui est consacré : http://www.gusbofa.com/.
Si, malgré les avertissements de Bofa, l'envie vous prend de vous ennuyer quelques temps à lire Le Subjectivisme, vous pouvez le faire à partir d'ici. Vous pouvez aussi lire un autre point de vue, celui de Manuel Devaldès.
Je ne connais pas M. Han Ryner et n'avais jamais eu la curiosité de rien lire (1) de lui jusqu'à cette petite brochure philosophique.
Elle est brève et d'aspect inoffensif, mais M. Han Ryner nous la présente comme l'avant-garde d'un prochain ouvrage plus robuste sur le même sujet (2), ce qui est grave.
Nous l'attendrons de pied ferme, mais je suis persuadé d'avance qu'il ne pourra faire mieux en faisant plus grand et que tout l'ennui de ce livre éventuel est condensé déjà dans les quelques pages - préface.
Cet ennui (je parle en mon seul nom : il se peut qu'il y ait des amateurs, voire enthousiastes, de cet opuscule) tient à deux causes :
1° L'impuissance de l'auteur à nous expliquer ce qu'il veut dire et à nous donner même l'impression qu'il veut dire quelque chose.
2° Le style ronflant et excessif qu'il met au service de lieux communs philosophiques.
Il semble, en effet, tout imprégné de la gloire d'avoir découvert une « éthique » nouvelle en agglomérant la loi humanitaire du Christ avec l'hygiène morale d'Epictète.
Tout au plus a-t-il découvert une étiquette, empruntée par lui à une autre doctrine, ce mot de subjectivisme qui a le double avantage d'être laid et de ne pouvoir signifier rien dans l'acception qu'il lui donne.
Légitime ou non, il revendique cette gloire à grands attelages de métaphores lyriques, d'apostrophes majuscules et d'anathèmes verbeux.
Peut-être ce style lui est-il naturel ?
Peut-être M. Ryner est-il poète de son métier (3) ? Ce qui lui serait une excuse.
Christ par la barbe, Epictète fumeux, ou Nietzsche-pour-personnes-pâles (4), son livre est en tous cas, je le répète, fort ennuyeux.
Et cela est sans excuse.
Gus BOFA.
Notes pour le blog :
(1) Aux CAHR, on trouvait "dire" au lieu de "lire". Je pense qu'il s'agit d'une coquille !
(2) Ledit "ouvrage plus robuste" est La Sagesse qui rit, qui ne paraîtra qu'en 1928.
(3) Dans Haussements d'épaules (autobiographie inédite), Ryner rapporte qu'étudiant, il commença ainsi une dissertation de philosophie : "Philosophie sans poésie, poésie sans philosophie : deux néants."
(4) Aux CAHR, la chose était orthographiée ainsi : "Nietzsche-pour-personne-pâles". Là encore, je me suis permis de corriger.