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22 mai 2007 2 22 /05 /mai /2007 15:43

Nous sommes heureux d'apprendre la réédition d'un roman de Han Ryner : Le Père Diogène, initialement paru en 1920 chez Eugène Figuière. Ce roman avait été écrit en 1915 ou 1916 (1), en pleine guerre. L'écriture d'un autre de ses livres, L'Ingénieux hidalgo Miguel Cervantès (biographie romancée parue en 1926) date de la même époque. Le "Père Diogène" est un peu le Don Quichotte de Ryner : celui dont la folie dit la sagesse.

Alain Pengam signe une large préface bien documentée, qui trace très utilement la limite entre l'auteur et son personnage. Le père Ryner n'est pas le père Diogène, même s'il met de ses pensées dans la bouche de son personnage. Rendre à chacun ce qui lui est propre est une tâche qui n'a rien d'évident, mais A. Pengam s'en est bien acquitté.

Ryner lui-même avait écrit un article sur ce livre, une "préface volante" selon son expression. Vous pouvez la lire ici.

Voici la quatrième de couverture de cette réédition :

pere-dio-couv.PNG Julien Duchêne aurait pu devenir, à la Sorbonne ou au Collège de France, le professeur à la mode, le Bergson de demain. Mais comment occuper une chaire quand on sait qu’ « enseignée officiellement, la vérité devient mensonge » ? Renonçant bientôt à ses fonctions, mais aussi à son toit, au mariage, à l’argent, et jusqu’à ses vêtements, le professeur Duchêne devient le père Diogène. Muni du bâton, des sandales et de la besace caractéristiques, il tente de vivre, à la veille de la Grande Guerre, selon les préceptes des philosophes cyniques de l’Antiquité. On devine que la tentative – scandaleuse et jalonnée de scandales – ne va ni sans mésaventures ni sans amusants enseignements critiques.
Au fil de situations comiques et graves, Le Père Diogène, jamais réédité depuis 1920, dévoile son véritable enjeu : la sagesse recherchée à partir du cynisme et du stoïcisme a pour monde une communauté universelle sans classes et sans État.
Injustement oublié, Han Ryner (1861-1938) est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Son œuvre théorique et romanesque est élaborée à partir de la philosophie grecque, selon une approche qui creuse l’écart entre, d’un côté, une visée d’harmonie et, de l’autre, les multiples variantes justificatrices de ce qu’il appelle le « dominisme » et le « servilisme ».

Références de l'édition :

Han RYNER
Le Père Diogène
Précédé d’une préface d’Alain Pengam
« Être soi magnifiquement et réfractairement »
éditeur : Éditions Premières Pierres
année de parution : 2007
ISBN : 2-913534-07-4
format : 12 x 18 cm, 288 pages
prix public : 19 euros

Ce livre a bénéficié de critiques dans plusieurs journaux . Extraits :

[…] l’une des réussites de l’infatigable Han Ryner – pseudonyme d’Henri Ner (1861-1938), figure bien oubliée d’une anarchie si radicale qu’elle se défiait de l’anarchie.
Jean-Maurice DE MONTREMY, dans Livres Hebdo du 27 avril 2007.
[Han Ryner] rédigea « le Père Diogène », une fable introductive à sa méthode libertaire. Son roman, « d'un comique intense », précisait-il, il le résumait ainsi : « Le héros essaie de vivre, dans notre siècle , l'existence philosophique des anciens sages. On devine sans peine que la tentative ne va ni sans mésaventures ni sans amusants enseignements critiques . » Comme son personnage, Julien Duchêne, qui abandonne son salaire et son costume de professeur d'université pour la bure et les sandales du cynique, Han Ryner fut un brillant orateur. S'il aimait les petites gens, il se méfiait des actions collectives et violentes. A la révolution sociale, il opposait la libération intérieure. Il l'exposait avec une sorte d'élégance dans le fond comme dans la forme, ce qui n'empêchait pas la radicalité.
LISEZ HAN RYNER ! L'anar perdu, par Laurent LEMIRE, dans Le Nouvel Observateur du 10 mai 2007 (voir ici)
[...]puisque le Père Diogène est là, jouissons-en ! Les romans philosophiques sont rarement aussi peu politiquement corrects, aussi «énooormes» et drôles, caustiques, irrévérencieux. Certes, le père Diogène n'est pas Ryner, mais dans les propos qu'il tient aux uns et aux autres tout au long de ses pérégrinations, il y a, évidemment, beaucoup de ce que la pensée de Ryner visait : l'idéal cynique d'une vie simple et naturelle, l'utopie d'une communauté humaine «sans classes et sans Etat», le rêve d'une société guérie des addictions au pouvoir et à l'argent, aux apparences, aux glorioles, aux superstitions, au «servilisme» .
Ayant quitté l'université de Platanople, après s'être débarrassé de tout pour ne garder qu'une besace, des sandales, une bure et un bâton, le nouveau Diogène arrive à Paris, et, accompagné d'un ivrogne métamorphosé en «Ménippe, cynique et satirique» , en fait des vertes et des pas mûres. Il monte d'éclatantes «actions héroïques», contre l'Eglise, le Palais de justice, l'Académie, la Chambre des députés ­ suscitant partout scandales, tumultes et empoignades. Il connaît Dora, «Hipparchia moderne» . Et voilà que tous deux se mettent nus sur les Champs-Elysées. La guerre venait d'éclater, et lui, le père Diogène, sortait de Sainte-Anne. «Il s'est trouvé des agents pour arrêter ma nudité, belle, forte, sincère ; il s'est trouvé un asile où m'enfermer parce que j'obéissais à ma chaste nature ! Il ne se trouvera aucun agent en France ou en Allemagne, en Autriche ou en Russie, pour arrêter gouvernants et états-majors, pour enfermer les quelques fous qui vont causer d'immenses massacres, qui vont multiplier les agonies, les deuils, les misères.» Il s'était juché sur un banc. Les gens, devant lui, «se bouchaient les oreilles» .
Une bouffée de Diogène - Un drôle de roman philosophique de Han Ryner, l'anarchiste individualiste, par Robert MAGGIORI, dans Libération du jeudi 17 mai 2007 (voir ici).
Si Le Père Diogène n’est pas une œuvre grandiose, cette curieuse fable soulève des questions intéressantes.
Car elle condamne, par le rire, les rébellions visibles au nom de la révolte absolue. Ce qui rend ridicule et pitoyable ce bonhomme Diogène, ce n’est pas principalement de reproduire, de manière naïve et maladroite, dans le Paris de 1913, des faits et gestes issus de l’Athènes du IVe siècle. C’est au contraire d’être théâtral. L’erreur est de donner sa révolte en spectacle, de croire que l’exemple sera suivi, de s’imaginer qu’une pédagogie de la subversion est possible. Sous la farce et l’anachronisme, la critique s’adresse, finalement, au vrai Diogène. Elle cherche à lui dire à peu près ceci : tu en fais trop pour être un vrai rebelle, tu n’es qu’un philosophe de théâtre, car tu t’intéresses bien plus à la renommée de ta révolte qu’à sa réalité ; en fait, ce que tu aimes, c’est qu’on parle de toi […].
Roger-Pol DROIT, dans Le Monde des livres du 11 mai 2007.

En lisant la "préface volante" au Père Diogène, on devra reconnaître que Roger-Pol Droit a visé assez juste. Ryner y écrit : « Le père Diogène est fou, parce qu'il se veut apostolique.[...] Ce ne sont pas les seuls cyniques, ce sont tous les militants de toutes les religions, de tous les partis, de toutes les affirmations et de toutes les négations qui se déforment en instruments de propagande, qui forcent le ton dans l'espoir absurde de conduire vers la note juste ; qui, avec leur désharmonie à demi-volontaire, s'imaginent construire des harmonies étrangères. » (2)

Nos amis d'Outre-Quiévrain ne sont pas en reste :

Pure félicité de l'esprit que ce Père Diogène surgi d'un lointain et incertain Platanople, terroir de philosophie situé quelque part entre la Grèce antique et la France du XXe siècle. Arrière-descendant du célèbre cynique de Sinope qui, résidant dans un tonneau et imperméable aux honneurs, à la fortune et aux conventions, cherchait l'homme un midi à Athènes avec une lanterne sur le nez et enjoignit un autre jour à Alexandre le Grand de s'ôter de son soleil.
[...] Il fait grand bien, par ce temps, de respirer le grand air par trop démodé d'une juste impertinence. Il est succulent de se laisser dire, avec une telle beauté dans les mots, qu'il n'est de pensée qu'à condition de ne pas penser comme les autres. Il est un ravissement de l'intelligence d'écouter le Père Diogène, répondant à un disciple éphémère et inconsistant qui geint que tout est mensonge dans l'amour, le mariage et l'administration des Postes : "Toute la vie sociale est mensonge, mon pauvre ami. Tu l'as constaté dans le peu que tu connais. Le reste ne vaut pas mieux". L'époque est-elle mûre encore pour entendre une saine contestation de ses pires manipulations ?
Un Diogène magnifiquement soi, par Éric de Bellefroid, dans La Libre Belgique du 25 mai 2007 (voir ici).

A leur tour nos amis helvètes ne peuvent plus ignorer le Père Diogène. Malheureusement, la personne qui a fait le compte-rendu n'a pas dû bien lire le bouquin, alors elle imagine :

«Etre soi magnifiquement et réfractairement», c'est la devise du père Diogène, qui abandonne une prometteuse carrière universitaire après l'échec d'un mariage bourgeois ruiné par les préjugés sociaux. Il jette aux orties sa défroque respectable et s'en va tout nu sur les chemins, mendiant son pain. Mais les gendarmes guettent: par gain de paix, le prêcheur accepte de revêtir la tunique du philosophe cynique.
Libre, stoïque et cynique, par Isabelle Rüf, dans Le Temps du 26 mai 2007 (voir ici).

"Echec d'un mariage" ? De mariage, il n'y eut point... Quand à la bure, elle est revêtue avant même le départ de Platanople. La conclusion est bien sympathique quand même, bien que le "marxistes" soit, à mon humble avis, de trop :

Paru en 1920, ce texte roboratif d'un conférencier à l'éloquence joliment datée renvoie aux penseurs anarchistes et marxistes, sur le mode du conte philosophique.

L'hebdomadaire Marianne s'y met aussi. Le critique juge le roman "un peu lourd", ce qui est affaire de goût et par conséquent opinion respectable. Par contre, il me paraît bien près du contre-sens quand il écrit :

[Le père Diogène] est un original, un vrai. ll fuit les curés, ignore les gendarmes, provoque des empoignades, se dénude sur les Champs-Elysées et traque tous les signes de servilité et de course à la gloriole comme nul autre. Son but : harmoniser son être. Sa méthode : lever les contraintes sociales. En un mot, épouser l'idéal cynique de la vie simple. Le servilisme étant l'opposé de celui-ci, il faut l'abattre. Ainsi pensait Han Ryner, ce professeur qui ne voulait endosser aucune livrée, pas même celle de philosophe !
Qu'est-ce que le servilisme ?, par Ph. P., dans Marianne du 2 juin 2007.

Si "harmoniser son être" est bien l'objet de la sagesse selon Ryner, "lever les contraintes sociales" ne saurait constituer une méthode. S'harmoniser passe par un patient travail de connaissance de soi. Il s'agit de passer au crible les éléments d'origines variées qui composent notre personnalité pour en retenir ceux qui nous sont essentiels, rejeter, amoindrir ou sublimer ceux qui nous sont superflus ou nuisibles. C'est du moins ainsi que je comprends Ryner dans Le Subjectivisme ou La Sagesse qui rit et Le Rire du sage. En progressant dans ce travail sur soi, tout intérieur, on peut (on doit) être amené à contester, contourner ou attaquer lesdites "contraintes sociales". Adopter un nouveau genre de vie est alors une conséquence ou une étape de l'harmonisation de soi-même, mais ce n'est pas la méthode qui y conduit. Dans Le Père Diogène, Ryner montre justement qu'à vouloir à toute force "lever" ces fameuses contraintes sociales, en usant de soi-même comme d'un instrument de musique dont on forcerait le ton, pour tout résultat, on risque de briser son harmonie propre. Le père Diogène trompette et corne aussi fort qu'il peut, sa partition peut bien être exacte, il sonne toujours aussi faux.

Une toute petite recension dans Politis. Le Père Diogène y est qualifié de "curiosité philosophie enthousiasmante" (Diogène libertaire, dans Politis du 14 juin 2007, voir ici).

Anarlivres, l'indispensable site bibliographique de l'anarchisme francophone, a rendu compte du Père Diogène en des termes qui dénotent une belle compréhension :

L’homme-nature. Se rendant compte qu’« enseignée officiellement, la vérité devient mensonge », un brillant professeur de philosophie largue un jour les amarres et va par les chemins, en robe de bure, muni d’une besace et d’un bâton, vivre selon les préceptes des cyniques grecs de l’Antiquité. Dorénavant, il sera libre, rejettera toute autorité, n’obéira à aucune convention et vivra selon la nature. L’aventure, au gré des rencontres, est riche de situations cocasses mais aussi d’enseignements critiques jamais ennuyeux. Ce nouveau Diogène est-il Han Ryner ? Oui et non ! L’un et l’autre estiment qu’obéir est la pire erreur après commander, mais le second n’a jamais donné sa révolte en spectacle. Car le paradoxe est là. Peut-on espérer que l’exemple sera suivi, que la subversion puisse être enseignée ? Cette révolte théâtrale est parfaitement ridicule. Mais une rébellion intérieure, qui ne s’affiche jamais, s’apparente à l’acceptation de l’ordre établi. Alors ? La solution est peut-être dans la citation-titre de la préface : « Etre soi magnifiquement et réfractairement. »
L'homme-nature, http://anarlivres.free.fr/pages/nouveau.html, juin 2007.

Dans le dernier numéro de La Presse Littéraire (n°11, septembre 2007), Stéphane Beau (3) résume Le Père Diogène et conclut de la manière suivante :

Le Père Diogène n’a aucunement vieilli et les réflexions mises en avant par Han Ryner restent parfaitement d’actualité. Raison de plus pour relire ce petit livre plein de charme et de profondeur.

Nous ne saurions mieux dire !


[Ajout du 22 septembre 2009] Un CR dans L'Humanité qui m'avait échappé ! Petit extrait :

Ryner revendique des opinions libertaires. On n’est pas plus obligé de les partager qu’on ne l’est face à l’oeuvre d’un écrivain affichant de hautes ambitions philosophiques. Mais on ne peut lui dénier un bonheur d’écriture et un art de conter ses histoires qui ne sont pas sans rappeler Anatole France ou Octave Mirbeau, deux esprits caustiques de son époque. C’est d’ailleurs dans la satire du monde bourgeois que Ryner est le meilleur, peut-être parce que la substance littéraire y est chez lui la plus consistante. Les fines observations psychologiques qu’il rapporte avec un plaisir évident se combinent à un subtil décryptage de ce monde honni dont il s’amuse à dévoiler la complexité et les mesquineries. Peut-être frise-t-il parfois les procédés du théâtre de boulevard, mais quand l’exercice est réussi, pourquoi bouder son plaisir ?
Le retour de Han Ryner, par François Eychart, dans L'Humanité du 1er décembre 2007. Cf. ici.

 

Je ne sais pas si M. Eychart le sait, mais Han Ryner donna en son temps quelques contes à L'Huma, et surtout le feuilleton Les Mains de Dieu, en pleine guerre. On peut dénicher ça sur Gallica (il faut farfouiller un peu).


Si vous avez eu vent d'autres critiques, n'hésitez pas à les signaler.

D'autres livres de Han Ryner sont disponibles auprès des Amis de Han Ryner - voir la liste.


(1) D'après la chronologie de Louis Simon, dans la revue "Europe" d'octobre 1961, p.41 (à l'occasion du centenaire de la naissance de Ryner).

(1) CAHR (Cahiers des Amis de Han Ryner) n°55, p.7.

(1) S. Beau est par ailleurs grand spécialiste de Georges Palante (excellent site) et pilier de la belle revue Le Grognard (site).

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Des textes et documents de, sur et autour de Han Ryner (pseudonyme de Henri Ner), écrivain et philosophe individualiste, pacifiste et libertaire. Plus de détails ici.

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⇓ A télécharger :
# une table des Cahiers des Amis de Han Ryner.
# les brochures du Blog Han Ryner.
# un roman "tragique et fangeux comme la vie" : Le Soupçon.

ƒ A écouter :
l'enregistrement d'une conférence de Han Ryner.

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De Han Ryner :

L'Homme-Fourmi
La Fille manquée
http://www.theolib.com/images/lulu/sphinx.jpgLe Sphinx rouge
Les Paraboles cyniques
L'Individualisme dans l'Antiquité
Comment te bats-tu ?
1905-pmi-2010Petit manuel individualiste
Le Cinquième évangile
Couverture de la réédition du Le Père Diogène
Pour les germanistes... Nelti

Sur Han Ryner :

Le colloque de Marseille

Autour de HR :

4è plat de couverture du n°3 d'Amer, revue finissanteUn conte d'HR
dans Amer, revue finissante
Couverture du Ryner et Jossot
dans Le Grognard...
Couverture des Un livre de Louis Prat
Couverture d'une anthologie de poèmes d'Emile BoissierDes poèmes d'Emile Boissier
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