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4 mai 2008 7 04 /05 /mai /2008 18:22

Sur l'indispensable Alamblog, le Préfet Maritime nous ferrait depuis le début de la semaine avec des photos de Florian-Parmentier — nous permettant au passage de constater que la guerre avait eu raison d'une bien belle barbe, jugez plutôt ici et ! Cependant nous ne savions pas où le bon Préfet voulait en venir...

Depuis hier, le mystère est levé : l'Alamblog bibliographie les éditions que dirigea Florian-Parmentier. A savoir donc : les éditions Gastein-Serge (ici) et les éditions du Fauconnier, lesquelles sont connues de tout rynérien qui se respecte, puisque
1) c'est chez Gastein-Serge que parut en 1909 Le Subjectivisme, qui sera d'ailleurs réédité au Fauconnier en 1922 (couverture) ;
2) Le Fauconnier édita ou co-édita pas moins de sept opuscules entre 1920 et 1924 (selon la biblio d'Hem Day), notamment L'Individualisme dans l'Antiquité et les conférences mises en ligne ici, ici et .
Il faut dire que Florian-Parmentier fut président de la société des Amis de Han Ryner de 1921 à 1923 puis à nouveau de 1946 à sa mort en 1951.

Editeur, donc, mais aussi directeur de revues, romancier, poète, théoricien de "l'Impulsionnisme", peintre, sculpteur et compositeur, il semble donc que F-P ait été un artiste complet. On retiendra surtout son roman L'Ouragan, fresque de la première guerre mondiale que certains comparèrent et déclarèrent supérieure au Feu d'Henri Barbusse et au Croix de bois de Roland Dorgelès. Je publierai prochainement l'article que Ryner consacra à cet ouvrage. Mais aujourd'hui, c'est le Florian-Parmentier poète que je vous invite à découvrir, avec ce compte-rendu publié dans Alceste de juillet 1910 (repris au CAHR 22, p. 4-6).


Par les Routes Humaines, par Florian-Parmentier

... Les générations qui ont précédé immédiatement la sienne furent d'inspiration souvent intéressante, toujours incomplète. Tantôt le mépris de la foule entraînait les poètes vers des rêveries vagues et lointaines ; tantôt l'urgence du travail social leur faisait oublier la beauté des vastes pensées. Les uns ignoraient la terre ; les autres, penchés vers le sol comme des bêtes, faisaient de pénibles tableaux où manquait le ciel. Mais voici que les jeunes d'aujourd'hui, comme les grands romantiques, mêlent harmonieusement les préoccupations sociales et les inquiétudes métaphysiques.

A ce point de vue, le nouveau poème de Florian-Parmentier est singulièrement caractéristique.

Il nous transporte d'abord dans la région qu'habitent les âmes, avant de descendre dans la prison de chair. Nous assistons à une chute vers l'incarnation.

L'homme nouveau s'étonne et s'émeut devant la vie telle que l'a déformée la folie des générations. Une voix — intérieure ou venue des choses ? il ne sait — le « convie à de miraculeux départs », l'incite à porter « au peuple lamentable et vain le salut d'un nouvel évangile ».

« Oh ! porte-lui pour le guérir les bons baptêmes.
            Enseigne-lui ta vérité
                 Dis à ces hommes
            La profonde simplicité
De l'Infini dont ils se font tant de fantômes. »(1)

La Voix continue, douce et enivrante:

« Apprends-leur à goûter le doux miel des minutes,
                 Conseille-leur
            Le seul trésor intérieur... » (2)

De plus en plus pénétrante, et pourtant de plus en plus impérieuse, elle ordonne :

                       « Et pour
      Qu'il n'y ait plus d'autres lois que l'Amour
                 Parmi tes frères,
Aime-les tous, aime-les tant que tes artères
Eclatent sous leurs battements tumultueux... » (3)

Mais la Ville âpre est hostile à tant de douceur. Les hommes ne savent rien faire des cœurs qu'on leur donne, et le grand Incarné, malgré l'effort de son amour, se sent toujours un étranger. Les spectacles auxquels il assiste sont tous faits de douleur et d'angoisse. Partout, même dans le baiser de ces fous, il y a de la haine et du combat. Il fuit. Il fuit vers

« La joie amnistiante et discrète des champs. »(4)

Il s'identifie à la nature et croit, un instant, « pénétrer le secret du monde et goûter le bonheur parfait ». Il écoute un humble sage lui dire :

« [...] je n'ai guère appris aux pages du savoir ;
Mais ne suffit-il point de regarder pour voir,
Et pour goûter un peu du ciel, d'ouvrir la bouche ?

« Dans le Grand-Tout, l'appel est toujours entendu
S' il est le souffle ardent d'une âme qui palpite ;
La vie insaisissable alors se précipite,
Impatiente du baiser tant attendu.

« Je crois d'un coeur fidèle et d'une foi fervente
Que tout, dans l'univers occulte, est conscient ;
Et qui sait si je n'eus, en m'y associant,
La surhumaine Omniscience qu'on nous vante ?... » (5)

Mais la sagesse est un trésor qui aspire à se donner. L'étranger revient donc parmi les hommes pour leur partager ses richesses intérieures. Hélas ! les fous ne veulent pas du magnifique présent. Ils passent indifférents, pendant que sont proclamées les plus nobles vérités :

« Il est simple de se contenter de vivre,
            D'avoir un coeur bien apaisé
     Et, frère de l'azur qui vous enivre,
De sentir sur son front l'unanime baiser !

« Oh ! ce bonheur, s'associer l'Ame des âmes,
            Communier des dieux épars !
     Etre celui qu'on est, que tous proclament,
Et ne craindre pas plus l'ombre que les regards ! » (6)

On raille, on repousse le naïf prêcheur d'amour. Sa voix se fait humblement tenace et poursuiveuse ; et il donne comme on mendie :

« Je ne possède rien que mon humble bonté,
Je ne puis vous offrir qu'un cœur ensanglanté,
Je n'ai d'autre trésor que ma sincérité

[...]

« Je ne sais pas très bien quel ami je serai.
Aurai-je seulement tous les soins qu'il faudrait ?
Pourvu que mon amour au moins vous semble vrai ! » (7)

Appels inutiles ! Qu'est-ce que les hommes, tournés vers les fausses richesses extérieures, pourraient faire du « don de son âme ingénue » ? Leur folie méchante lui prend tout, « ses rêves et sa foi », pour les détruire.

« Et désormais il sent en son cœur un tel froid Qu'il ne sait si la vie encor s'y continue. » (8)

Il se relève pourtant, par un effort de vaillance :

«Ne renonce pas à toi-même,
Mais, confiant en ton labeur,
Trouve la majesté suprême
Dans l'intégrité de ton coeur.

« N'attends pas de mains étrangères
L'aumône d'un peu de clarté ;
Les vérités sont mensongères
Qui ne sont pas ta vérité... » (9)

Hélas ! la sagesse demande trop à nos cœurs ; elle leur demande de renoncer à l'impossible :

« Malgré le pauvre orgueil d'une pauvre Sagesse,
L'on éprouve parfois l'angoisse d'un remord
Comme si l'on voulait de soi plus de largesse.

« Car ce n'est pas assez que d'attendre la mort
Avec le calme auguste et fier d'un sage antique :
On se voudrait plus beau, plus magnanime encor... (10)

Un mal languissant est, malgré tout, sur le sage qui voudrait être plus qu'un sage. Est-ce bien la peine de vivre, si l'on ne peut rien donner autour de soi ? La mort n'a-t-elle pas un trésor de mystères plus précieux qu'une telle vie ? Or, la mort vient, la grande Inévitable. La chair frémit de la formidable approche.

                    « ...Qu'en cet instant d'horreur
L'angoisse de ma chair n'atteigne pas mon coeur,
Mais que mon âme éprouve un grand apaisement... » (11)

Et l'âme entend en une joie de moins en moins inquiète, les appels de ses sœurs :

« Mais ayant écouté leurs chants surnaturels
Et fait de sa souffrance un hymne au Surhumain,

Dans l'Essence Divine elle entrera demain. » (12)

Plutôt que de louer ce beau poème platonicien, j'ai préféré utiliser, à le conter et à citer beaucoup, la place dont je pouvais disposer. Quand on a une œuvre aussi profonde de pensée, aussi noble d'aspiration, aussi pénétrante de forme, n'est-ce pas la meilleure façon de la louer ? Voici une source limpide et fraîche. J'ai fait goûter un peu de son eau pour que les fièvres viennent s'apaiser à la source même. Il me semble impossible de lire quelques-uns de ces vers où se transposent la fluidité, la subtilité mêmes du Mystère, où s'harmonisent si délicatement sagesse et amour, sans désirer les lire tous.

Quiconque a un cœur aimera non seulement le livre, où une âme admirable a versé de tels trésors, mais encore l'homme doucement et tendrement apostolique qui a pu écrire le livre. Tout lecteur noble aimera Florian-Parmentier d'apporter dans son amour des hommes — harmonie de parfums ivres et de douces odeurs, bouquets de sombres calices et de blanches corolles — une expérience saignante et en même temps, on ne sait quel charme craintif et pur qui semblait le privilège des virginales et ignorantes amours...

Han Ryner.


Références des citations de Par les routes humaines (Société d'éditions littéraires et artistiques - Librairie Paul Ollendorff, 1910) [ces notes ne figurent pas dans l'article original, c'est un ajout pour la publication numérique] :
(1) Partie II (Sur la route inconnue), VIII, p. 39.
(2) Idem.
(3) Idem, p. 40.
(4) Partie IV (Le sentier ensoleillé), XXI, p. 73.
(5) Idem, XXVI, p. 85-86. A cet endroit du poème, une note précise : "Ces deux dernières strophes résument toute la doctrine « impulsionniste »."
(6) Partie V (Au cœur de la Cité), XXXI, p. 101-102.
(7) Idem, XXXVIII, p. 134.
(8) Idem, XXXIX, p. 137.
(9) Idem, XLII, p. 146.
(10) Partie VI (Sur le chemin du retour), XLVI, p. 153.
(11) Idem, XLIX, p. 161.
(12) Idem, L, p. 163

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