La conférence qui suit a été publiée en 1921 par Le Syndicaliste des PTT (Paris, 21 rue Richelieu) et Le Fauconnier, coll. des Amis de Han Ryner (Paris, 74 rue Vasco de Gama). Dans la brochure, cette Petite causerie est suivie d'une Allocution à la jeunesse.
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Salle du Palais des Sociétés Savantes
à la Manifestation Artistique du 20 Novembre 1921
organisée par « Le Syndicaliste des PTT »
Mesdames, Messieurs, Chers Camarades,
S'il est un début de discours qui me paraisse banal et déplaisant, c'est bien celui où l'orateur adresse à son auditoire des félicitations, dont il semble faire l'avance pour qu'on les lui rende ensuite en applaudissements.
Cette exorde, qui me semble si ridicule chez les autres, voici que vous me contraignez, ce soir, à l'employer. Je ne vous en veux pas, parce que, s'il est vulgaire de complimenter son public, les compliments que j'ai à vous adresser, eux, du moins, ne sont pas vulgaires.
Il n'est pas vulgaire de féliciter des contemporains de « Phiphi », parce qu'ils ont composé un programme d'une noblesse hautaine, ou parce qu'ils sont venus, attirés par ce programme fier.
Peut-être, la grande musique que vous allez entendre, - si, par un hasard impossible, quelques esprits superficiels s'étaient glissés dans cette salle, - trouverait pour ces esprits superficiels, des circonstances atténuantes dans la merveilleuse virtuosité des exécutants. Mais quelle excuse les organisateurs de cette fête présenteraient-ils auprès de ces esprits superficiels, pour avoir demandé à quelqu'un qui n'est pas un virtuose de l'éloquence et qui, insouciant de plaire ou de briller, n'emploie jamais la parole que pour l'expression aussi exacte que possible de sa pensée, de parler sur un sujet aussi austère que la sagesse ?
Quant à moi, si les organisateurs ne m'avaient manifesté leur désir, s'ils ne m'avaient indiqué la matière qu'ils espéraient me voir traiter, j'aurais, je l'avoue, cherché un sujet moins austère pour commencer une séance qu'on appelle une fête.
Vous donc, qui êtes venus sur l'annonce du programme, vous êtes pénétrés, plus encore que moi, de la vérité de ce mot d'un ancien : « c'est chose sévère que la véritable joie. »
Je vais m'efforcer de me montrer digne de vous en ne reculant devant aucune des sévérités de mon sujet, puisque ce serait, vous le sentez, reculer devant la noblesse de la beauté et devant les abîmes de la joie.
II est, pourtant, une sévérité méthodique à laquelle vous vous attendez peut-être et que j'éviterai. Je ne commencerai pas par vous donner une définition de la sagesse. Non par crainte de l'austérité de cette méthode, mais parce qu'elle me semble mauvaise, fausse, tyrannique. Partout ailleurs qu'en mathématiques, la définition me paraît une erreur et les démonstrations qu'on prétend appuyer sur des définitions exactes, sur des définitions adéquates, comme, disent les logiciens, me paraissent toujours de fausses démonstrations.
II y a naïveté ou mauvaise foi à commencer un discours sur n'importe quel sujet concret par une définition.
Et voici que je suis tenté de retirer les félicitations que j'adressais tout à l'heure aux organisateurs. Ils n'ont pas songé que, pour exposer ce que c'est que la sagesse, il faudrait, non pas une rapide causerie au commencement d'une manifestation artistique, mais dix soirées consacrées, uniquement à ce lourd sujet. Ils n'ont pas songé que ce sujet, qui peut être intéressant, passionnant même pour l'orateur, à condition que les difficultés en soient dispersées et divisées, devient d'un poids écrasant lorsqu'il se condense et se resserre.
Je ne puis, par exemple, vous expliquer pourquoi je rejette cette méthode scolastique et rigide ; il me faudrait pour cela seul tout le temps dont je dispose ce soir.
Chose plus grave, non seulement je ne peux pas vous expliquer pourquoi je repousse cette méthode et pourquoi j'en adopte une autre, mais encore, - ah ! comme vous ririez de moi, si vous manquiez de coeur - je ne puis pas employer la méthode que j'adopte.
Vous voyez les difficultés dans lesquelles je me débats.
Si, comme la plupart des sages, je me refuse à définir, je sais bien cependant que le mot sagesse semblable en cela à tous les mots de la langue, a des sens divers. Et il faut que, par une méthode plus modeste, j'arrive à déterminer dans quel sens je le prends.
Or le procédé que j'emploie presque toujours en pareilles circonstances, est d'affronter le mot qui résume mon discours à un autre mot, de comparer une chose à une autre chose.
Par les ressemblances et les différences signalées, les hommes de bonne foi comprennent de quoi je veux parler. Et voici, le temps ne me permet pas aujourd'hui d'employer ce procédé ; je ne puis pas opposer comme je le voudrais la sagesse et la morale.
Si j'en avais le loisir - mais combien de loisir il y faudrait ! - je vous montrerais que la sagesse est historiquement la mère de la morale ; je vous montrerais comment cette fille est toute ridée de vieillesse et de hargne, tandis que sa mère reste souriante et éternellement jeune ; je vous montrerais comment toute morale est un moyen de tyrannie et de servitude, comment toute sagesse est une méthode d'affranchissement ; comment la morale est une fausse science de la vie, comment la sagesse est l'art modeste mais véritable de vivre.
Hélas ! je ne puis ni traiter mon sujet ni équilibrer mon discours; je suis obligé de ne vous parler, et encore bien peu, que d'un des éléments qui devraient le composer. Je suis condamné à une causerie boîteuse et qui se tienne sur une seule jambe ; je me réjouis - il faut toujours se consoler et se réjouir - à certain discours à cloche pied, qui fut une merveille.
Je ne sais plus quel grec ingénieux ou quel romain grossier disait à Rabbi Hillel : « Je croirai à ta loi si tu peux me l'exposer toute entière en te tenant debout sur un seul pied. »
Le doux Hillel leva une jambe et prononça : « Tu aimeras ton Dieu par-dessus toutes choses et ton prochain comme toi-même. » Après quoi, reprenant l'attitude normale de l'homme debout, il ajouta : « Je t'ai dit à cloche-pied toute la loi ; tout ce qu'on te dira en plus sera erreur ou commentaire. »
Que ne puis-je mettre dans mon discours boiteux toute la plénitude que Rabbi Hillel mettait dans ses discours à cloche-pied !
Si j'en avais le loisir, je vous montrerais que la morale, cette fausse science de la vie, cette fille impérieuse et hargneuse de la souriante sagesse, ne commande qu'à force de s'asservir elle-même.
C'est une loi de la vie; le colonel ne peut avoir une attitude dédaigneuse devant le capitaine, qu'à la condition de garder une attitude rampante devant le général.
Ainsi, la morale n'ose nous commander qu'en appelant au secours d'autres sciences prétendues ou réelles ; mais celles-ci bâtissent sur un domaine tout à fait différent du sien.
Tantôt, elle essaie de construire, la folle, sur les nuages de la métaphysique. Tantôt, elle appelle à son aide la biologie, et, au moment même où elle essaie de satisfaire les hommes qui tentent de donner à leur vie la beauté, et la continuité d'une œuvre d'art, ce qui, certes, n'est pas un effort animal, elle ramène l'homme à l'animal. Ou bien elle en appelle à la sociologie, oubliant que l'homme n'est pas uniquement un être social et que, dans tous les cas, la beauté de ses gestes sociaux ne peut-être qu'un rayonnement de sa beauté interne. Et elle ne s'aperçoit pas, l'étourdie ! que, contrairement à toute méthode possible, elle appelle les ténèbres pour éclairer la lumière, part du moins connu pour aller vers le plus connu.
Je ne puis pas vous exposer tout cela. Permettez-moi uniquement de vous indiquer que la morale est hargneuse dans la forme autant que dans le fond, dans son vocabulaire autant que dans les choses qu'elle prétend nous imposer. Elle prétend nous imposer des commandements absolus et, quand elle les groupe et les résume, elle les appelle agréablement impératif catégorique.
Or, le premier geste modeste, la première démarche libératrice de la sagesse, c'est de regarder en face les prétendus impératifs catégoriques, les prétendus commandements absolus et de voir qu'il n'y a pas de commandements pour un être libre. Il y a seulement des conseils, et les prétendus commandements quelque forme qu'ils prennent, ne peuvent être que des conseils.
Oui, même si un fantôme divin venait à m'apparaître et à me donner des ordres, ces ordres ne seraient encore que des conseils. Il aurait beau s'entourer d'éclairs et de tonnerres, il aurait beau me dire : « Si tu ne m'obéis pas, si tu manges de la viande le vendredi, tu iras en enfer », je me redresserais et je songerais qu'obéir à un ordre qui me parait déraisonnable est un pire enfer que tous ceux dont il peut me menacer.
Dans tous les cas, je ramènerai à des conseils tous les ordres qu'on essaiera de me donner, et j'examinerai s'ils sont d'accord avec mes voix intérieures. Contraires à ma raison et à mon coeur, je les écarterai comme de mauvaises et ridicules suggestions.
Ainsi, la sagesse nous apprend, qu'il n'y a pas d'ordre sans condition, qu'il n'y a pas d'impératif catégorique, pour employer le hargneux vocabulaire de sa hargneuse fille la morale; il n'y a que des impératifs hypothétiques, des conseils conditionnels.
Lorsqu'un conseil prend la forme d'un ordre, je distingue deux cas. Ou bien il veut m'influencer, et j'ai le devoir de le ramener à la modestie d'un conseil précisément pour ne pas me laisser influencer. Ou bien on sait que je veux réaliser l'hypothèse.
L'hygiène déclare apodictiquement : il faut faire telle chose, parce qu'on suppose que je veux continuer à me bien porter. Mais, si, pour une raison quelconque, j'avais d'autres intentions, le conseil perdrait toute puissance sur moi. Le médecin appelle un peu orgueilleusement ses conseils des ordonnances, parce qu'il suppose que je veux guérir. Mais je puis avoir des raisons de ne pas guérir. Le vieux Cléanthe avait cessé de manger pendant quelques jours à cause d'un abcès dans la bouche. Quand le médecin lui dit : « Maintenant tu peux manger »; le philosophe répondit: « Je suis trop vieux, j'ai dit tout ce que j'avais à dire, j'ai fait tout ce que j'avais à faire, j'ai écrit tout ce que j'avais à écrire. Puisque j'ai accompli la moitié du chemin vers la mort inévitable, je ne reviendrai pas en arrière ».
La sagesse nous avertit que tout ordre doit être ramené à un conseil et que nous devons examiner si ce conseil est raisonnable ou non, si ce conseil venu du dehors, correspond ou non à notre conscience.
Si nous écoutons la sagesse, c'est donc à notre seule conscience, éveillée ou non par une parole extérieure, que toujours nous obéirons.
Quels conseils nous donnera la sagesse ?
Si j'étais médecin, vous n'exigeriez pas que je vous explique en une demi-heure tout l'art médical. De même, vous n'exigerez pas qu'en une demi-heure je vous dise tout l'art de vivre, toute la Sagesse.
Il me semble, à vos sourires, que quelques-uns repoussent la comparaison que je viens de faire. Vous êtes portés à être plus exigeants envers moi que vous ne le seriez envers un médecin ou un hygiéniste. C'est la faute des premiers sages.
En même temps que des sages pratiques, ils étaient des esprits extrêmement ingénieux, et ils se sont amusés à satisfaire certains besoins de leur esprit en même temps que leurs besoins pratiques. Ils ont essayé d'enfermer, les subtils, toute la sagesse dans une formule de quelques mots.
Consentons à ce jeu renouvelé des grecs, en le prenant encore moins au sérieux qu'ils ne le faisaient ; en sachant que nous nous donnons une joie intellectuelle ; en sachant aussi qu'une formule de sagesse peut avoir un intérêt mnémotechnique, mais que nous n'en ferons pas sortir autre chose que ce que nous y avons mis, en sachant encore que si la formule est bien choisie, elle pourra quelquefois nous aider à comprendre un peu plus vite le conseil de notre raison et de notre coeur devant une circonstance particulière.
La formule la plus célèbre de la sagesse, celle à laquelle avaient fini par se rallier toutes les écoles de l'antiquité, c'est : « Vis harmonieusement à la nature. » Cette maxime contient beaucoup de vérité et, suivant la façon dont on la comprend, beaucoup d'erreur.
D'ailleurs, la plus mauvaise formule, lorsqu'elle est utilisée par un être de bonne volonté produira des actes admirables, mais un être de mauvaise volonté fera servir la meilleure à justifier les actes les plus abominables.
Vis harmonieusement à la nature !
Précepte très beau au premier abord, mais n'a-t-il rien qui nous inquiète, nous modernes ?
Les anciens n'avaient pas poussé assez loin certaines analyses ; ils voyaient entre la nature des choses et la nature humaine des rapports plus étroits que nous ne pouvons les voir. Ils croyaient que l'homme et le monde se ressemblent ; ils disaient avec la table d'Emeraude : Ce qui. est en haut est comme ce qui est en bas, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour les merveilles de la chose unique.
Non, nous ne pouvons pas consentir à cette métaphysique, nous ne pouvons pas croire que la nature et l'homme forment une harmonie parfaite.
Non, nous ne pouvons pas croire que dans la nature, il y ait rien d'humain !
La nature ignore toutes les choses que nous aimons en tant qu'hommes.
La nature ignore la justice et la bonté. L'incendie me brûlera aussi cruellement si je me jette au milieu des flammes pour arracher un enfant à la mort que si je m'y précipite pour voler quelques billets de banque ; le fleuve ne ralentira pas son cours si j'essaie de sauver un noyé, ne l'accélérera pas si je nage vers une vengeance ou vers un autre crime.
La nature n'a rien d'humain, et vivre harmonieusement à la nature des choses, cela ne suffit pas à constituer la sagesse.
La nature est au-delà de tout ce qui est humain ; elle est par delà le bien et le mal, par delà la sagesse et la folie, choses exclusivement humaines.
Si j'obéis souvent à la nature, c'est pour deux raisons : j'obéis à la nature, par négligence et indifférence positivistes, en des points qui ne m'intéressent pas ou qui m'intéressent moins que d'autres fins, pour lesquelles je réserve toute ma force. D'autres fois, j'obéis à la nature pour lui commander, car on ne commande à la nature qu'en lui obéissant.
Mais cette sournoise et savante docilité ne ressemble guère à l'admiration éperdue de Cléanthe devant le Cosmos. Puisque je veux, au contraire, modifier la nature des choses et la transformer ; puisque je lui cède en apparence, pour la dominer en réalité et pour la plier à des fins humaines.
Ainsi, « Vis harmonieusement à la nature » ne serait une règle acceptable que, si - comme l'ont fait très souvent les anciens, mais avec une conscience insuffisante, - nous traduisons « Vis conformément à la nature humaine. »
Mais, dès que les anciens sentent que c'est de ce côté que doit aller la sagesse pratique, ils sont arrêtés par une difficulté : « La nature humaine est un chaos, un mélange, une multiplicité de contradictions ! »
Comme ils voyaient peu profondément pour ne pas percevoir que la nature humaine, dès qu'on l'a dégagée de tout ce qui n'est pas elle, de tout ce qui lui est étranger, est, si j'ose dire, une harmonie de contradictions !
Nous le savons pour notre corps. Comment l'ignorons-nous, pour notre être intérieur ?
Ah ! pauvres gens, qui se demandent : « Que dois-je choisir en moi ? » (Mais tout ce qui est moi). Dois-je choisir ce qu'il y a de plus profond dans ma nature, ou ce qu'il y a de plus spécial, de plus particulier, de plus spécifiquement humain ?
- Mais l'un et l'autre ! Je ne puis pas être un homme sans être un vivant; et que m'importerait d'être un vivant si je n'étais pas un homme ?
Il ne s'agit pas de sacrifier une partie de notre être, ni même de hiérarchiser nos divers éléments ; ou, du moins, c'est dans des cas extrêmement rares qu'une telle question pourra se poser. Il s'agit de nous harmoniser.
Mon corps est une harmonie de contradictions.
Si un logicien exprime mes besoins physiques en termes abstraits, il semble que je suis la vision divisée avec elle-même.
J'ai un coeur qui demande à se contracter et qui demande à se dilater ; j'ai un estomac qui réclame des aliments du dehors et qui s'irrite contre les matières étrangères et les rejette ; j'ai des poumons qui demandent à aspirer l'air extérieur et qui demandent à l'expirer. Ainsi, je suis, pour la logique naïve et statique, un amas de contradictions, un chaos. Le chaos intérieur n'est qu'une apparence, œuvre d'une analyse maladroite, comme le chaos, de mon corps.
Oui, je suis une harmonie concrète de contradictions, une harmonie de choses qui paraissent hostiles si on les examine séparément et abstraitement. Tout s'ordonne sur l'échelle du temps. Grâce au rythme, mes organes ont des fonctions alternantes. Et ce qui est vrai pour mes organes physiques l'est également pour ce que j'oserai appeler mes organes internes.
Si l'on venait me dire, comme le font quelques moralistes et même quelques prétendus sages : Choisis entre ton coeur et ton cerveau, je penserais immédiatement à ma vie physique qui ne saurait continuer sans ma tête ni sans mon muscle cardiaque.
Ne me demandez pas si je préfère qu'on me coupe la tête ou qu'on m'arrache le coeur ? Je vous avoue que je ne préfère ni l'un ni l'autre.
Ma vie intérieure, elle non plus, ne peut se continuer sans pensées ni sans sentiments ; je ne dois pas sacrifier mes sentiments à mes pensées ou mes pensées à mes sentiments. Eh ! ce serait, malgré la naïve apparence première, sacrifier tout à la fois.
Il faut donc que je cherche à établir, non pas une hiérarchie entre les éléments de mon être et entre les fonctions alternantes de ses divers éléments, mais leur harmonie.
A la formule : « vis harmonieusement à la nature » - même s'il est bien entendu qu'il s'agit de la nature humaine - je préfère une autre formule, celle qui a été employée par Zénon de Cittium et par Ariston de Chio : « vis harmonieusement ».
Mais aucune des formules inventées par d'autres ne me satisfait complètement. J'espère que la mienne ne vous satisfera pas non plus et que chacun de vous cherchera la sienne.
Vis harmonieusement ! Oui. Mais ne puis-je, en m'exprimant aussi rapidement, m'indiquer par quel moyen je vivrai harmonieusement.
Vis harmonieusement ! Cela semble exiger une certaine activité, une certaine pression sur mon être. Pression active qui, précisément, me parait contre-indiquée. Je n'ai rien, à faire de positif pour vivre harmonieusement, je n'ai rien à faire que de négatif.
Mon corps vit harmonieusement, mes poumons aspirent et expirent, mon coeur se contracte et se dilate, mon estomac accepte les aliments et les rejette harmonieusement, tant que rien ne gêne leur rythme.
La liberté du rythme, voilà ce qui est nécessaire à la vie harmonieuse.
La liberté du rythme physique, c'est la santé ; la liberté du rythme intérieur, c'est la sagesse. Je résume la sagesse dans cette formule : Libère ton rythme.
Mais de quoi faut-il le libérer ?
Si j'en avais le loisir, je vous montrerais qu'il faut le libérer des préjugés et des besoins artificiels.
Peut-être, si j'avais beaucoup de loisirs, expliquerais-je encore qu'il faut le libérer des passions excessives et des servitudes sociales.
Mais, une fois libre de tout préjugé et de tout besoin artificiel, d'où me viendraient les passions excessives et ne suis-je pas élevé au-dessus des servitudes sociales ?...
Chers camarades, à vous dire en si peu de mots tant de choses, à en rejeter tant d'autres, il me semble que j'ai manqué à ma formule et je n'ai pas obéi à la liberté de mon rythme.
Etait-ce pour n'être pas tyrannique et ne pas troubler la liberté de votre rythme ?
Pas uniquement !
Je puis obéir à mes besoins intérieurs sans gêner les vôtres. La méditation, que j'ai esquissée vaguement devant vous, je puis la continuer dans la solitude.
En ce qui vous concerne, je me réjouis, songeant : II y a des méthodes de libération plus efficaces que la parole. La belle musique que vous allez entendre vous enseignera et vous conseillera avec plus d'éloquence que tous les discours, l'harmonie intérieure et la grâce du rythme.
Remarques :
- PhiPhi : grand succès de l'opérette en 1919. Cf. ici.
- Cléanthe : successeur de Zénon de Cittium à la tête de l'école stoïcienne. Ryner lui a consacré une pièce de théâtre : Le Manœuvre (1931).