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18 juin 2007 1 18 /06 /juin /2007 17:19

Critique Littéraire de Notre Voix, le 27 juillet 1919 (republiée aux CAHR  n°55, p. 16-17).
Sur Georges-Armand Masson, voir ici.


Des vers

Que de vers ! que de vers ! Pourtant la mévente des poètes et des recueils n'est pas un phénomène nouveau ou que quelqu'un puisse encore ignorer. Nos écrivains, au moins pendant la première jeunesse, ne travaillent donc pas pour l'argent. Constatation réconfortante. Nous admirons l'homme de talent qui, sans espoir de retour, nous donne quelque chose. Ne faut-il pas aimer aussi celui qui se trompe sur ses richesses, l'enfant qui nous apporte gentiment des découpages et de naïfs dessins ? Mais ils sont trop, les enfants délicieux et encombrants. Que notre silence les juge. Pour le moment. Car tel qui choppe au premier pas marchera peut-être bientôt harmonieusement. Hélas ! je ne puis même parler de tous les autres, de tous ceux qui, à des degrés inégaux, manifestent un talent naissant ou formé, de l'originalité de pensée, de la grâce musicale, de l'abondance lumineuse ou de la vigueur pittoresque.

M. Georges-Armand Masson publie un poème éblouissant, La mille et unième nuit. Treize « petites sultanes » — mais la treizième est si vaporeuse et si délicatement irréelle,

- Pas même une image.
Une ligne, pas même.
Je suis un nombre. Je suis l'abscisse
De ton rêve.

Viennent chanter, menues et nues, devant le sultan Schariar, de tremblantes et troublantes chansons. D'un style toujours renouvelé, avec des paroles et des rythmes qui chatoient différents sous une clarté changeante, chacune dit, dans un geste qui étale et qui rêve : Voici

Mes caravansérails d'idées, mes magasins
De mots, mes écuries de sentiments,
Mes harems de couleurs et mes marchés d'odeurs,
Mes vergers de sonorités.

Mais le silence obstiné de Schariar est treize fois une réponse fatale. Chaque déductrice vaincue

...Lit sur ses lèvres froides
Un sourire si irrévocable
Qu'elle courbe la tête en frissonnant.

Un jeu ? Sans doute. Mais joué avec une telle grâce dansante, un goût si finement dédaigneux, une virtuosité si riche et si habilement contenue. Que de distinction dans cette « orientale » de 1919 ! Georges-Armand Masson est une admirable opulence spontanée. Mais il y a un choix difficile dans l'élection des richesses qui se présentent à lui et science rare dans l'ordonnance qui les éclaire. Critique, il se manifeste souvent pénétrant comme un poète qui aime. Mais le poète est chez lui toujours surveillé par un critique avisé, un peu trop méfiant parfois, qui le pousse vers l'abstrait et lui permet plus de lumière que de couleur.

Dans une préface qui est une excellente page de critique, Paul Fort nous dit les mérites de M. Jules Supervielle et que le charme de ses Poèmes est fait d'inquiète nostalgie, d'exil qui poursuit partout le poète. Comme Baudelaire, Leconte de Lisle ou Léon Dierx, M. Supervielle, fils des Tropiques, ne se trouve jamais chez lui, ni sous le froid climat de France, ni parmi les moeurs naïves des créoles. « Un lyrisme fantaisiste » exprime parfois sa dualité douloureuse. Il y dépense beaucoup d'esprit et du plus ingénieux. Je le préfère pourtant dans les grâces non tordues et les tristesses avouées. J'aime particulièrement certaines stances, aussi parfaites peut-être que celles de Moréas, mais moins tendues, de ligne aussi souple que ferme, stoïques sans âpreté, d'une sensibilité difficilement contenue et dont on entend, dans la cage sombre, le frémissement fraternel.

HAN RYNER.


Remarques :
G.-A. Masson, La mille et unième nuit, Paris, Éd. de la Revue intellectualiste , 1919, 34 p.
J. Supervielle, Poèmes (préfacé par P. Fort), Paris, E. Figuière , 1919, 183p.

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