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25 mai 2008 7 25 /05 /mai /2008 18:11

Après l'Alamblog et le blog HR, Livrenblog à son tour nous livre des éléments sur Florian-Parmentier. On y apprend ainsi, sous la plume de Lucien Arressy, que le fondateur de l'Impulsionnisme dut un moment pratiquer le maraîchage d'intérieur pour se conserver en vie ! Arressy n'en conclut pas moins :

Mais tout cela c'est du passé, un passé bien mort. Une discipline qui l'a toujours soutenu a fait de Florian-Parmentier un écrivain de classe, l'auteur de ce livre prodigieux : L'Ouragan. [Lucien ARESSY, La Dernière Bohème Verlaine et son milieu, Jouve &Cie, s.d. [1923], p. 247, cité ici sur Livrenblog]

Justement, Han Ryner fit la critique de ce "livre prodigieux". C'était en janvier 1921, dans la rubrique des Livres de la revue Ça ira.

Dépeindre le soldat non comme un brave mais comme un lâche, un lâche qui a renoncé à lui-même, voilà qui rejoint tout à fait la pensée rynérienne exprimée notamment dans Le Crime d'obéir ou Le Sphinx rouge. En 1921, cependant, des braves, condamnés pour avoir refusé de se convertir en assassins, croupissaient encore en prison. Je pense en particulier à Gaston Rolland, pour la libération duquel Ryner n'allait pas tarder à faire campagne. Mais c'est une autre histoire.

J'en reviens à Florian-Parmentier. Son Ouragan ne constitue que le premier volet d'un triptyque. Après la guerre 14-18, c'est "la Paix à l'ombre de la Guerre" — selon le sous-titre — qui est décrite dans La Mort casquée (1931). Puis l'écrivain anticipe la guerre prochaine dans L'Abîme (1933) : la "guerre des gaz" fait 220 millions de morts, l'Europe est ravagée. Mais les survivants se redressent et la vie économique reprend, sur des bases humbles mais — selon l'auteur — plus saines, par un maillage de petites exploitations familiales de paysans ou d'artisans.

Si dans ce dernier livre, Florian-Parmentier portait la prochaine guerre au seuil des années 1960, la réalité eut vingt ans d'avance. Son épouse, l'écrivain Claude Jonquière, était d'origine juive. Le ménage subit donc de plein fouet les persécutions que l'on sait. En 1947, F.-P. écrit au poète Philéas Lebesgue :

Traqués pendant quatre ans, ma femme et moi, dépouillés de tout, réduits à nous alimenter d'orties, nous avons fini par être emprisonnés et torturés, avec 350 autres personnes arrêtées, dont il n'a survécu que sept. Le reste a été mis, vivant, dans le légendaire “wagon plombé”, à pourrir durant quatorze jours. Libéré provisoire, j'ai pu échapper à ce supplice mortel, et ma femme a réussi miraculeusement à prendre la fuite. Je suis resté sans nouvelle d'elle durant sept mois, après lesquels elle m'est revenue à l'improviste d'un maquis du Sud-Ouest, ayant couvert 450 km à pied pour me rejoindre. [Source : François BEAUVY, Philéas Lebesgue et ses correspondants en France et dans le monde, Awen, 2004, p. 259]

Il relatera ces terribles expériences dans son dernier livre, paru en 1948, Le Règne de la bête ou la tragique et sublime épopée de 1939-1946. Il s'y montre admirateur de De Gaulle et semble malheureusement verser dans le nationalisme et la germanophobie primaire (les Allemands seraient par nature irrécupérables). Les atrocités de la Shoah auront sans doute eu chez lui raison de tout pacifisme... [Merci Daniel pour ces infos.]


L'Ouragan parut originellement aux éditions du Fauconnier (dirigées par Florian-Parmentier lui-même) en janvier 1920. Selon une notice de Franz d'Hurigny (Florian-Parmentier, éd. de La Cité spirituelle, vers 1938), la réédition de 1930 chez Fasquelle s'est faite sur un texte remanié.

Promo pour L'Ouragan [figurant au dos de la brochure de la conférence de HR sur Claude Tillier, éd. du Fauconnier, 1922]

L'Ouragan, par Florian-Parmentier

J'ai lu, certes, plus d'un beau roman sur la guerre. J'ai eu plus d'une occasion d'admirer. Mais toujours il me restait quelque chose à désirer. Le roman de l'arrière, je le trouvais réalisé dans la puissante et poignante Maison à l'abri de Marcel Martinet. Mais je commençais à désespérer de jamais lire le vrai roman du front. Nul écrivain ne sortirait-il donc du point de vue d'un parti, pour s'élever au point de vue humain ? Nul ne répondrait-il la vérité au fameux : Pourquoi te bats-tu ? Je sais la profondeur de la stupidité humaine et que, même en l'éludant ensuite par je ne sais quel prêche républicain, il fallut du courage pour poser la question (1). Mais je commençais à désespérer de rencontrer le combattant qui dirait tout haut ce que les meilleurs avaient dit tout bas : Nous nous sommes battus parce que nous nous sommes renoncés nous-mêmes. Nous avons eu peur de la mort ou nous avons eu peur des injures unanimes qui auraient accompagné notre mort. Nous avons consenti à cesser d'être des hommes et des consciences pour devenir des instruments et du « matériel humain ». Nous nous sommes battus pour ne pas être assassinés par ceux qui exigeaient que nous devenions des assassins.

J'ai maintenant entre mes mains le livre que réclamaient mon humanité blessée, ma raison humiliée, mon courage pacifique, mon individualisme d'amour. Ce livre se nomme : L'Ouragan et son auteur est cet ardent, puissant et noble Florian-Parmentier qui, une fois déjà, dans Par les Routes Humaines, me paraissait avoir fait preuve de génie (2).

Ecoutez l'accent de ce soldat. Il compte parmi les plus éprouvés. Originaire des pays envahis, la guerre l'a ruiné, la guerre a tué son père et sa mère, la guerre a mutilé plusieurs membres de sa famille. Il a fait, comme d'autres, cinq ans de front, il a failli en mourir ; il connaît, comme d'autres, après les mirifiques promesses, le lâche abandon des gouvernements serviteurs des mercantis. Ecoutez ce combattant qui sait, comme d'autres, ce qu'est la vraie « part du combattant ».

« Aujourd'hui, plus bêtes que tous ceux des siècles précédents, les peuples meurent pour un fétiche auquel ils ne croient plus. Depuis quatre ans qu'on me promène de front de combat en front de combat, il ne m'est pas advenu une seule fois de rencontrer un homme qui fût pénétré de l'idée de remplir, en mourant, un devoir sacré ! Les soldats parlent de la patrie comme d'un monstre obscur dont il convient d'esquiver les exigences féroces : ne meurent pour lui que les simples ; les malins sont à l'affût d'une échappée. Pourquoi donc sont-ils entrés au service du monstre ? Cela ne s'explique que par la peur. Les héros sont des lâches. »

Voici enfin un homme qui parle net, sans euphémisme et sans recul. Son personnage, après avoir éclairé avec une cruauté nécessaire la lâcheté universelle, se regarde lui-même sans complaisance. Il dégage sa conscience de tous les liens et de tous les mensonges. Et voici ce qu'il l'entend crier : « Un lâche, le dernier des lâches, moi Peissenier, qui, au lieu de me désolidariser du Crime, ai cherché bêtement des raisons. Ah ! que l'humanité est laide, représentée par ceux qui la dirigent, et qu'elle est vide, considérée en chacun de ceux qui la composent !... »

L'homme qui écrit avec cette sincérité formidable, vous devisiez qu'il n'est point parti sans avoir été le théâtre du plus déchirant et du plus instructif des combats. En août 1914, Peissenier ne se laisse pas envahir sans résistance par la folie universelle. « Il se raidit contre l'intrusion des fluides pernicieux qui, progressivement, paralyseraient sa conscience. Il a l'impression d'entendre crépiter sa chair, en lutte contre cette nuée d'influences ennemies. Un peuple innombrable et invisible s'est lancé à l'assaut de tout ce qui fait de lui un individu. Le monde nouveau, il le sent, multiforme et reptiléen, s'aggripper à ses poignets, l'enlacer de ses mille nœuds, fouiller sa chair de ses mille griffes, s'infiltrer dans le sang de ses veines, chercher à s'insinuer dans son coeur. Par instants, pris de terreur, il comprend que, désagrégé, il va être emporté comme une chose. Alors, il se cramponne à cette idée, à cette volonté : Je n'entrerai pas comme esclave dans le mystérieux organe qui se crée aujourd'hui ; je ne permettrai pas qu'une âme étrangère se substitue à la mienne ; je suis, je veux être, je resterai moi-même. »

La lutte de cette conscience dressée contre tous a quelque chose de titanique et, si elle s'extériorisait et se maintenait jusqu'au bout, Peissenier serait grand comme Socrate et comme Jésus. Il sera vaincu. Du moins l'âme étrangère n'entre en lui, et ne le domine qu'en se transformant. Il ne cède qu'au plus inattendu, au plus personnel, au plus tendre, au plus fraternel des sophismes. Peissenier sera soldat comme les autres « pour que sa révolte isolée ne fasse point sentir aux autres la cruauté de leur destin ».

Il s'aperçoit bientôt qu'il s'est donné un prétexte. Eh ! oui, allons tuer les hommes, fraternellement, pour ne point leur faire de peine. Sa conscience s'éclaire de plus en plus et, s'il recule devant les premières lueurs, il consent bientôt à toute la clarté. Le voici qui condamne hardiment, nettement, humainement, comme l'implacable et douce vérité, toutes les guerres, qu'elles s'avouent civiles ou se prétendent étrangères, qu'elles s'avouent offensives ou se prétendent défensives. « Car, si vous admettez que, dans tel ou tel cas, la guerre est juste, les ogres vous présenteront toujours la face de la guerre que vous aurez admise. »

La beauté morale d'une douloureuse mais pleine libération n'est pas le seul mérite de L'Ouragan. J'ai cité suffisamment pour que le lecteur ait apprécié la puissance émue et émouvante du style et quelle souple subtilité lui permet d'envelopper de lumière les sentiments les plus ténus, les profondeurs les moins conscientes. Mais ce qui fait la valeur unique de ce livre, c'est qu'il nous donne une synthèse de toute la guerre. Le lecteur a l'illusion de la vivre depuis le premier jour jusqu'au dernier. Est-il besoin de dire quel art vigoureux pouvait seul créer cette illusion et la faire durer ? Quelle vigueur synthétique il fallait pour que, sans effort apparent, le drame multiforme et dispersé se rassemblât aux pages d'un seul volume et nous entraînât clans sa diversité toujours émouvante, toujours pittoresque...

La puissance de l'évocation et la force de la composition sont égalées ici par la saveur exacte de toutes les sensations. La vision est au moins aussi aiguë que dans Le Feu (3). Mais nous ne voyons pas seulement la guerre ; nous l'entendons, nous la sentons. Elle envahit tous nos sens horrifiés. Comme les combattants, nous sommes éclairés et aveuglés par sa lumière en flamme : nous sommes assourdis de sa musique discorde, nous sommes enveloppés de ses odeurs excitantes ou ignobles ; et, brusques ou sournois, ses contacts ne nous sont pas épargnés. Nous flottons aussi dans son absurde et terrible mystère. L'auteur de L'Ouragan est à la fois le plus précis des conteurs et le plus visionnaire des poètes. Tantôt il nous jette dans « une sorte de mystère hagard qu'on respire avec l'atmosphère » ; tantôt il nous fait éprouver « une horreur panique qui pénètre jusqu'aux moëlles ». Plus d'une fois je me suis senti comme dispersé aux vents de « cette folie planétaire qui emporte tout dans sa détresse ». Toujours la nature et les paysages s'associent à la marche de l'abomination, lui donnant un visage plus précis et à la fois plus hallucinatoire, plus familier et à la fois plus inquiétant. Cependant les puissances de mort éclairent de l'intérieur, lueur blafarde et sinistre, le corps tourmenté des événements.

Le livre n'est pas tout entier en combats, en dialogues, en accidents et en incidents. Des solitudes s'y enfoncent, tragiques, comme des gouffres, des abandons et des silences nous enveloppent d'on ne sait quel enfer mornement méditatif. Des nuits fiévreuses ou écrasées semblent traversées de gestes occultes et le cauchemar, on ne sait comment, prend figure de sortilège.

Décidément, c'est à plus d'un point de vue que ce livre est le plus noble, le plus puissant, le plus complet entre ceux que les combattants nous ont donnés sur la guerre.

Han Ryner


(1) "Pourquoi te bats-tu ?" fait référence à un texte d'Henri Barbusse paru en 1917 (ou 1916 ?), au moins en partie, dans Les Nations et La Tranchée. Ryner saluera cette intervention mais élargira le propos en posant la question : "Comment te bats-tu ?", titre d'un article paru dans le n° 1 du Symbole (août 1917). L'éternelle problème du rapport entre la fin et les moyens...

(2) Lire ici le C.R. par Han Ryner de Par les Routes Humaines.

(3) Le Feu, roman d'Henri Barbusse, élaboré dans les tranchées et décrivant avec réalisme la guerre, publié en 1916 et Prix Goncourt la même année. Sur Barbusse, cf. le site : http://henri-barbusse.net/.

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