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1 mai 2010 6 01 /05 /mai /2010 12:46

Depuis que la fête a été décrétée par Pétain, et que le combat ne sert plus qu'à ramasser un peu de vaseline pour se faire fourrer toujours plus profond, on apprécie l'inactualité de cet article, paru initialement dans le Journal du Peuple du 30 avril 1922 (republié dans les CAHR au n° 85, p. 21).


L'enseignement du Premier Mai

Un 1er Mai est-ce un jour de fête ? est-ce un jour de combat ? L'un et l'autre : l'un parce que l'autre ; l'autre parce que l'un.

Que, joyeusement et énergiquement, toutes nos journées deviennent donc des premiers mais. Que la grande énergie et la grande joie nous animent de vouloir et de savoir que, vainqueurs ou vaincus au dehors, blessés ou triomphants, rien ne nous fera reculer.

Quel que soit son résultat visible, tout combat est une victoire, qui attaque l'injustice, qui essaie de diminuer la sottise et de disperser le mensonge, qui secoue et réveille les veuleries. N'est-ce pas la grande victoire que de s'affermir, s'élargir, se former ? Seule, la multiplication de ces victoires intérieures et personnelles donnera le triomphe extérieur et collectif.

Notre chômage de demain nous rappellera et signifiera à tous que nous voulons, de chacune de nos journée, faire un combat et une fête. Chacune de nos journées sera fleurie et parfumée de courage et de victoire intérieure.

Fleur ardente de midi : j'ai été brave ce matin, ce qui assure davantage ma bravoure de ce soir.

Fleur épanouie et ivre du soir : je n'ai eu aujourd'hui, avec les oppresseurs, aucune complicité active ou passive. Victoire d'aujourd'hui, je t'aime de me promettre les victoires de demain et de toujours.

Le 1er mai serait néfaste si on s'imaginait qu'il apporte quelque réalisation. On y prend des résolutions. Des résolutions ne sont rien, qui ne deviennent pas des actes : une graine n'est rien qui pourrit au lieu de germer. Une graine est tout si elle déploie son activité resserrée. Résolutions du 1er mai, soyez les graines d'où nos soins quotidiens feront monter les grands arbres, abris et nourriciers.

En 1922, le 1er mai sera plus long qu'a l'ordinaire. Il commence cet après-midi, dimanche 30 avril. Pendant que, tenant une vieille promesse, je ferai, en une petite salle, une modeste manifestation contre la guerre menaçante, les camarades se presseront, innombrables, dans le parc des Oblats autour des cinq tribunes. Ils protesteront contre l'impôt sur les salaires, contre la réaction mondiale, contre les dangers de guerre.

Nos quatre cents députés millionnaires ont la prétention de voler directement un peu du travail ouvrier. L'Etat, paraît-il, ne nous dépouillait pas assez par les sournois impôts indirects qui retombent sur nous, consommateurs : il tient à nous arracher notre argent dès que nous venons de le toucher comme producteurs. Il en a besoin pour entretenir, à raison de deux millions par an, ce pauvre Millerand qui n'a pas assez gagné dans les liquidations. Il en a besoin pour les vint-sept mille balles que nos marchands de votes ajoutent à leurs petites rentes, pour la solde de nos malheureux maréchaux de France et de nos misérables trésoriers-payeurs généraux. Il faut que nous payions les cognes qui cogneront sur nous, les gendarmes qui nous foutront en prison si nous faisons de la rouspétance, les juges qui écouteront les flics comme des organes de la vérité, les mitrailleuses qui nous balaieront quand nous tenterons une grève et Lasteyrie, le long pendard, qui prétend fouiller dans nos poches presque vides, laisse aux coffres-forts des riches, ses frères, deux milliards sept cent millions dûs pour les seuls bénéfices de guerre. Cet argent-là il n'est pas pressé de le faire rentrer. Parbleu! il servira à faire réélire Lasteyrie le long pendard et quelques autres gaillards de son espèce.

Protester contre les dangers de guerre et contre la réaction mondiale, n'ignorons pas que c'est combattre la France officielle, le plus impérialiste et le plus réactionnaire des gouvernements d'aujourd'hui.

Or, la façon la plus claire de souligner l'impérialisme de la France officielle et la façon la plus efficace de le combattre, c'est, je crois de réclamer sans se lasser l'amnistie et de montrer, sans se décourager, quel bas militarisme peut expliquer son refus.

Nous dirons aux Chambres :

« Si, vraiment, la guerre est terminée, si vous ne rêvez pas de la recommencer derrière le brave Poincaré de Bordeaux, songez que nul ne croit plus à vos paroles et que tous regardent vos seuls gestes. Relâchez les victimes de l'esprit de guerre. Maintenir en exil les insoumis et les déserteurs, garder en prison des vaillants comme Gaston Rolland, comme Marty, comme Badina, c'est proclamer : “Nous faisons encore la guerre.” Dans tous les autres pays belligérants, tous les hommes emprisonnés par les conseils de guerre de 1914 à 1918 sont libérés depuis longtemps. Cette France, dont il nous arrive de vanter sans rire l'humanité et la douceur, pourquoi ne suit-elle pas — de si loin déjà ! — l'exemple universel ? Vous savez bien que c'est le seul moyen de l'affranchir enfin du mépris universel et de l'universelle méfiance. Si vous n'êtes pas les derniers des imbéciles, amnistie ! amnistie ! »

Nous dirons au gouvernement :

« Vous le savez bien, vous, que vos députés sont les derniers des imbéciles et qu'ils sacrifient même les plus clairs intérêts à la joie sadique de voir souffrir. Vous le savez bien, que vos colonels Picot et autres profiteurs de quelque ridicule amochage sont, en réalité, des amputés du cœur. Si donc vous êtes moins gâteux que le Charenton-Bourbon, relâchez vos prisonniers de guerre par des mesures individuelles. Nous ne vous parlons pas justice en ce moment, ni humanité ; nous ne voulons pas vous faire rire aujourd'hui. Politique d'abord ! comme dit votre gros ami, et politique toujours.

« Ouvrez les yeux, voyez ce qui est, comprenez les signes les plus clairs, obéissez à une nécessité du dedans comme du dehors.

« L'Europe n'est plus seule à s'irriter contre votre démence obstinée. Le peuple de Paris vous a déjà condamnés en première instance et en appel. Ou, si vous ne voulez pas qu'un peuple soit juge, il a élu deux fois Marty et Badina pour vous appliquer deux des inoubliables gifles que vous méritez. Protégez vos joues brûlantes contre les soufflets qui se multiplieraient jusqu'à désarticuler les misérables pantins que vous êtes. »

Nos paroles du 1er mai, nous les garderons en nous, vivantes et actives. Elles deviendront notre âme, jailliront en toute occasion, dirigeront nos gestes. Chaque matin rallumera plus vive leur vérité intérieure, fera plus visible leur rayonnement au dehors. Notre vaillante lumière ne s'éteindra pas s'il lui faut du temps pour devenir flamme et incendie. Dès qu'elle est sûre de durer, elle est sûre que son heure viendra.

Mais ne croyons jamais que telle manifestation suffira, que tel effort pourra être suivi du repos définitif. Un jour de travail ou une révolution et ensuite l'abandon : mieux vaudrait ne rien faire. Chantons, si vous y tenez, en signe de ralliement fraternel :

C'est la lutte finale.

Mais sachons qu'il n'y a pas, qu'il n'y aura jamais de lutte finale. Toute victoire est un commencement, non une fin. La victoire humaine, il la faut quotidienne. Ne pas la renouveler, c'est tout abandonner. Chaque fois qu'on a cru avoir tout gagné, on a tout perdu.

En avant !

La marche humaine ne peut cesser. Qui arrête d'avancer commence à reculer.

Jurons que nous n'arrêterons jamais d'avancer.

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