Petit jeu pour l'été : comme René Wachthausen, chroniqueur dans Les Horizons il y a un siècle, saurez-vous retrouver dans ce conte les expressions tirées par Ryner de Physique de l'amour de Gourmont (voir ce billet) ?
La solution du jeu (*) se trouve dans le dernier numéro de Scripsi, le bulletin du site des Amateurs de Remy de Gourmont, que vous pouvez vous procurer ici.
Eubule parlait de la pudeur avec une émotion timide.
— C'est une vérité proclamée par tous les cyniques, lui dit Excycle, que la pudeur est un sentiment artificiel, produit de la coutume et de la cité, non de la nature. Rappelle-toi les gestes publics de Diogène et de Cratès ou, si tu le préfères, interroge plutôt Psychodore qui nous écoute dans un silence souriant.
— Pour moi, dit Psychodore, je crois que mon maître Diogène et mon ami Cratès se trompaient sur ce point. La pudeur des hommes des villes contient certes des éléments acquis et variables ; elle est devenue chose complexe, mièvre et menteuse. Mais il existe, antérieure aux cités et aux lois, une pudeur qui n'est point faite de vêtements sur le corps, de rougeur sur le front, de silence sur la bouche, et qui est naturelle.
— Quelle pudeur dis-tu ?
— ... La pudeur de l'homme fait et celle de la matrone sont peut-être maintenues par les lois, par la coutume et par un certain sens de la grâce. Il arrive à cette imitation d'être ridicule et elle ressemble à la vraie pudeur comme les rides grimaçantes du singe ressemblent au visage d'un bel adolescent. Mais la pudeur de la vierge est involontaire. Chez les animaux, avant la première approche, les femelles se montrent presque toutes craintives et farouches. Presque toutes manifestent la crainte du mâle plus que le désir du mâle et quelques-unes fuient éperdument ses assauts.
Le philosophe reprit, après un court silence :
— Je pourrais vous dire des exemples jusqu'à demain. Mais entendez plutôt une parabole :
Il existe, parmi les divers espèces de pygmées, un étrange peuple souterrain. Ces petits hommes sont aveugles et se nourrissent de bêtes qui vivent aussi dans les profondeurs. Ils mènent solitaires une existence pauvre et pénible. Sans autres outils que leurs mains raccourcies et usées à ce labeur, ils creusent, à la recherche de leur pâture, de longues galeries dont les déblais, rejetés de place en place, dressent de minuscules collines rondes et croulantes. Au printemps, l'homme oubliant ses chasses, se met en quête d'une femme.
Dès que, par je ne sais quel sens subtil, il l'a devinée dans le lointain, il creuse dans sa direction, ouvre d'une fièvre haletante la terre hostile. La femme, bientôt, se sent pourchassée. Elle fuit l'effroyable douleur. Car la nature, qui a rendu la première approche redoutable à toutes les femelles, l'a faite pour celle-ci vraiment terrible. Les organes de son sexe, extérieurement imperforés, sont voilés d'une peau aussi épaisse et plus sensible que celle du reste du corps. Les premiers gestes de l'amant sont, sans qu'il le sache peut-être, d'horribles gestes de chirurgien. Ses organes à lui s'arment d'une sorte de tarière qui ouvre brutalement la porte sanglante de sa joie. Ah! la pauvre vierge... Elle tremble et elle fuit, avertie, dirait-on, devant l'abominable instrument qui la déchirera comme il déchira sa mère et ses aïeules. Elle creuse, à mesure que l'ennemi avance, des tunnels enchevêtrés et aussitôt obstrués où, peut-être, il finira par perdre son chemin. Mais une Aphrodite subtile le conduit et, au lieu de suivre la vierge dans le labyrinthe à chaque instant plus compliqué, il la contourne. Il l'atteint enfin et tandis que, affolée et pleurante, elle enfonce encore dans la terre ses pauvres mains douloureuses et son pauvre visage aveugle, lui, triomphant, l'agrippe, l'opère et la féconde.
— Tu viens de conter, ô Psychodore, un étrange cauchemar.
— Je viens de conter une histoire vraie. J'ai seulement changé le nom des personnages. Le peuple dont je parle n'est pas composé d'hommes et de femmes, mais de mâles et de femelles, petites bêtes au pelage noir et doux que nous appelons, quand nous ne parlons pas en paraboles, des taupes.
(*) Pas tout à fait, puisque je donne ici la version parue dans La Phalange en 1906, où les emprunts à Gourmont sont encore plus évidents.