Certains de mes confrères en blogosphère publient aussi sur papier. Ils publient, ils publient, et moi — tempérament d'une grande lenteur, pour ne pas dire d'une franche mollesse — je n'arrive pas à suivre !
Je commence dans ce billet avec le 4è numéro du Bulletin des Amis de Saint-Pol-Roux (dit "BASPR" pour les habitués des Fééries Intérieures), mais sachez que je reviendrai bientôt sur le dernier Grognard (d'autant que j'y ai participé — un entretien plutôt détendu avec l'ami Henri Viltard au sujet de Jossot) et sur le premier roman de Stéphane Beau, Le Coffret. Je signale aussi le numéro double (n° 4-5) de Scripsi, le bulletin des Amateurs de Remy de Gourmont, et je renvoie au bon compte-rendu fait sur Livrenblog (on ne dira jamais assez tout ce que l'on doit à Livrenblog). Par ailleurs on attend avec impatience la venue d'Amer#3, annoncée pour l'automne.
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Dans le n°4 du BASPR donc, l'ami Mikaël Lugan compile une bonne quarantaine d'articles et de lettres se rapportant à "l'impossible représentation" de La Dame à la faulx. Il faut dire que la liste des personnages de cette tragédie symboliste est un ahurissant inventaire : sept vieillards, cinq fiancées, trois rois mages, une "nuée de petits enfants", une "meute d'épouvantés aux masques hilares", une "foison de nains", un "pêle-mêle bariolé du cortège de la foule", et j'en passe, et j'en passe... Ajoutons que le texte paru en 1899 tient sur pas moins de 400 pages, et l'on aura une idée de la gageure pour celui qui voudrait mettre en scène La Dame à la faulx !
Saint-Pol-Roux en était conscient, et il tenta d'adapter son œuvre en prenant en compte les contraintes matérielles du théâtre de l'époque. En 1910 donc, le Magnifique lit la nouvelle version de sa pièce au comité de lecture de la Comédie Française, comité de lecture étrangement et très opportunément réinstauré fort peu de temps auparavant par Jules Claretie... Au terme d'une audition de cinq heures, le comité déclare n'avoir "méconnu aucune des hautes qualités de l'œuvre", mais juge "irréalisable ce poème dramatique dont pas un beau vers ne lui a échappé".
Tout cela est bien mieux raconté dans ce beau BASPR, avec bien d'autres détails, notamment sur l'aventure du Théâtre Idéaliste de Carlos Larronde. On ne manquera pas non plus une rubrique hors-dossier mais que l'on nous annonce régulière : le "coin des conteurs" d'Eric Vauthier, consacré inauguralement à L'Amour tragique de Camille Mauclair.
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Au détour des textes reproduits, il est question par deux fois de Han Ryner.
On retrouve l'une des deux ou trois mentions de HR que nous avions déjà réperées dans les écrits de Paul Léautaud — comme bien d'autres, Léautaud devait trouver Ryner ridicule... En l'occurence, c'est par la plume de son pseudonyme Maurice Boissard que Léautaud
n'augure, certes, rien de bon, d'une pièce de M. Han Ryner, d'une autre de Mme Valentine de Saint-Point [...] ni même de cette chose folle, phraseuse et injouable : La Dame à la faulx, de M. Saint-Pol-Roux, que le théâtre d'Action d'Art se propose de représenter. (Mercure de France, "Théâtre", T. CVII, n° 400, 16 février 1914, p. 837)
L'Action d'Art évoquée doit être, comme le suppose Mikaël, le groupement artistico-politique animé par André Colomer. Quant à la pièce de Ryner, il s'agit sans doute des Esclaves ou de Vive le Roi, à moins que Ryner n'ait confié à ces jeunes gens quelque texte encore inédit à l'époque, comme Le Manoeuvre ou La Beauté.
La seconde mention, bien plus sympathique, est due à Gaston Picard, journaliste, poète et romancier, collaborateur à de nombreuses petites revues :
Pourquoi ne pas le dire ? Le déjeuner fut excellent. Il manquait seulement de plus de légumes. Et puis le pannetier faisait bien mal son service. J'ai failli manger une sauce sans pain. Je promenais un doigt mélancolique dans mon assiette. Han Ryner, heureusement, vint à mon secours. Il rompit son pain en mon honneur. Grâces soient rendues à Han Ryner.
Ces considérations gastronomiques et amicales sont rapportées dans le compte-rendu d'un banquet Verlaine (La Renaissance contemporaine, T. VI, n° 2, 24 janvier 1912, p. 82-83).
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Ce BASPR était déjà paru quand Daniel Lérault et moi-même eûmes accès à un compte-rendu de nous inconnu relatif au banquet donné à Ryner à l'occasion de la sortie du Cinquième évangile. On peut y lire :
Saint-Pol-Roux lut alors d’une voix blanche quelques strophes mystérieuses dédiées à Han Ryner ; et Han Ryner l’en remercia plus tard en faisant l’apologie de La Dame à la faulx, « cette œuvre géniale » – s’écria-t-il – « que refusa dernièrement la basse Comédie Française des de Flers et des Caillavet » !
Ceci dans le numéro des Loups de janvier 1911, et signé R. Christian-Frogé. Le banquet eut lieu 4 décembre 1910 dans les salons du restaurant Grüber, bd Saint-Denis, et regroupa 200 convives, dont Saint-Pol-Roux accompagné de Madame. La "voix blanche" du Magnifique s'explique sans doute par l'atmosphère pour le moins houleuse du banquet. Celui-ci avait été organisé par l'éditeur du Cinquième évangile, Eugène Figuière — ce qui n'eut pas l'heur de plaire à tout le monde, notamment à la fougueuse meute des "Loups" qui semblait considérer Figuière davantage comme un maquignon des lettres que comme un "bon camarade"...
Ce petit extrait montre en tout cas que Saint-Pol-Roux et Han Ryner avait l'un pour l'autre une estime réciproque, et il n'est pas impossible qu'ils aient eu des relations amicales. Je crois savoir que Mikaël dispose d'un indice pouvant être interprété dans ce sens...