Paraboles cyniques (1913)
- bois gravé de Louis Moreau.
— Depuis plusieurs jours, le soleil ne s'est montré. Les nuages pèsent sur nos têtes en entassement de voiles funèbres. La terre froide est triste ainsi qu'une veuve. Chacun de nous entend au fond de son coeur quelqu'un qui pleure. Mais, si nous te regardons, ô Psychodore, nous te voyons toujours les couleurs et les attitudes de la joie...
— 0 mes fils, entendez une parabole :
Un peintre très savant voulut faire le portrait de la joie. Il choisit pour modèle une jeune femme d'une beauté grave et sereine de qui tout le visage chantait comme le sourire penché d'une mère quand elle regarde son enfant.
Or ce peintre travaillait lentement, en une application heureuse ; mais il avait soin, de peur que son modèle s'ennuyât, de faire jouer autour d'elle des airs flottants comme la lumière. Quand les musiciens se taisaient, il prononçait quelques-unes de ces paroles dont le vent caresse et réjouit.
Un jour, je ne sais pourquoi, les musiciens négligèrent de venir. Mais le peintre parlait tout en travaillant, et la jeune femme ne s'apercevait point de leur absence.
Quand le parleur ingénieux se leva pour partir, elle tourna les yeux de tous les côtés et elle s'étonna :
— C'est étrange, il n'y avait point de musiciens.
— Ils n'ont pu venir. Demain s'ils sont encore empêchés, j'en aurai d'autres.
— Mais — dit la jeune femme, de plus en plus stupéfaite — ils ne nous ont point manqué.
Le peintre répliqua, en un mensonge aimable :
— N'es-tu pas toi-même la plus douce des musiques ?
— Qu'aurait dit le peintre, s'il n'avait menti ? interrogea Excycle.
— Je ne répondrai pas à ta question. Sache seulement ceci : je n'ai pas besoin de la lumière du soleil et de la chanson que la terre chante quand le manteau magnifique l'enveloppe de chaleur et de caresse. Mais, en toi ou en moi, je trouve toujours assez de lumière et de musique.