On a pu lire dans le précédent billet le compte-rendu par Han Ryner des Sciences Maudites paru dans le n°2 de Les Partisans.
Cette revue ne connut semble-t-il que dix numéros (du 5 novembre 1900 au 20 mars 1901) mais nous intéresse au plus haut point compte-tenu de la qualité de ses collaborateurs. Outre la copieuse rubrique de critique des proses tenues par Ryner, on peut y lire des contributions de Léon bloy, Laurent Tailhade, Hugues Rebell... Emile Boissier aussi, dont on a parlé ici. Tout cela m'a donné envie de me plonger un peu dans la collection disponible sur Gallica. J'en ressors avec une bibliographie qui me servira bien pour Ryner et que je mets en ligne au cas où elle puisse servir à d'autres.
La revue fut fondée et dirigée par Paul Ferniot et Paul-Redonnel, et éditée par La Maison d'Art des mêmes Ferniot et Redonnel. La Maison d'Art édita L'Homme-Fourmi (cf. ce billet).
Une recherche rapide ne m'a pas apporté beaucoup de renseignements sur Paul Ferniot. Le catalogue de la BNF, outre la collection des Partisans, ne mentionne que deux ouvrages parus l'un comme l'autre en 1900 : Les Sciences Maudites déjà cité, et L'Inde dont je donnerai le compte-rendu par Ryner dans un prochain billet. Il est le destinataire d'un envoi gratiné du Désespéré par Léon Bloy (cf. cet article dans Histoires Littéraires, qui dit de lui dans son journal : "Rencontré chez le curé un hypnotiste, spiritiste ou occultiste, — je ne sais comment nommer l'animal, — qui se déclare bon chrétien et dégaine volontiers son chapelet." (Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, 17 août 1900). Ferniot et Redonnel éditèrent à la Maison d'Art l'éreintement d'Emile Zola par Bloy intitulé Je m'accuse et auraient sans doute aussi publié Belluaires et porchers si la Maison n'avait fait faillite. Notons encore que Bloy qualifia Les Partisans de "périodique d'une stupidité ingénieuse qui n'a pu vivre que quelques mois" !
J'ai déjà donné ici quelques renseignements sur Paul Redonnel, qui entretenait avec Ner puis Ryner des relations apparemment tout à fait amicales. Je reparlerai de Redonnel écrivain lorsque je mettrai en ligne l'étude de Prostitués qui lui est consacrée. Rappelons seulement que Redonnel fut secrétaire de La Plume jusqu'au décès de Léon Deschamps, et qu'il quitta cette revue suite aux mauvais rapports qu'il avait avec le nouveau directeur Karl Boès. La fondation des Partisans suit de peu cette rupture, et l'on y retrouve quelques habitués de La Plume, tels Henry Eon, Albert Boissière, Hugues Rebell, Louis Payret-Dortail, J. Charles-Brun, etc.
Enfin, dévoilons l'identité des auteurs des "Controverses d'Alpha et d'Omega" : Alpha est Paul Redonnel, Omega est Han Ryner (renseignement donné par Daniel Lérault, merci à lui !).
Avant la biblio proprement dite (publiée dans un autre billet, faute de place), on trouvera deux textes de présentation de la revue : Sur les matières qui seront traitées régulièrement dans “Les Partisans” et La Parade par Paul-Redonnel.
[Sur les matières...] [La Parade] [Bibliographie]
Sur les matières qui seront traitées régulièrement dans “Les Partisans”
Sans aucune crainte de faillir à nos promesses, dût-on nous traiter de présomptueux, nous allons tâcher ici d'ennuyer un peu nos contemporains. Nous parlons de ceux qui manquent de goût, qui se complaisent dans l'apathie et consentent à ne donner aucune nourriture à leur esprit. Nous irons les troubler dans leur égoïsme, non parce que nous importe leur paresse et nous gêne leur personnalité mais parce que nous jugeons leur influence morbide et néfaste. Pour faire triompher nos idées, nous ne nous sommes pas bornés à nous entourer des collaborateurs de talent que vous jugerez mieux par la lecture de leurs articles que par ce que nous pourrions en dire. Pour faire germer la bonne semence, nous avons su nous attirer la sympathie des jeunes gens d'élite et les applaudissements des hommes mûrs. Tous sont prêts à l'action ; déjà un certain nombre s'est mis en campagne avec l'aide, en outre, de ceux que ne satisfait pas entièrement l'admiration ombilicale du voisin ; et nous verrons bien si la lettre a tué l'esprit, si la gloriole suffit à l'étroitesse des cerveaux et si la curiosité du feuilleton a vraiment supplanté l'intérêt des grandes oeuvres.
Nous ne mentionnerons point le nom de tous nos collaborateurs ; ce faisant, nous en oublierions et nous ne voulons pas en passer, même si ceux qu'on passe sont des meilleurs. C'est une adresse de rhéteur dont nous nous soucions, et voici, pour mémoire, nos rubriques courantes avec le nom des écrivains qui ont bien voulu s'en charger :
Les Controverses d'Alpha et d'Omega — nous vous dirons tout de suite ce que sont ces deux masques : — deux êtres, camarades d'école, s'étant jadis beaucoup aimés, ayant éprouvé les mêmes sensations d'art, mais différant de religion ; l'un s'est fait prêtre, l'autre est un pasteur évangélique. Ils se sont trouvés, après une séparation de quelques années dans notre maison amie comme s'ils s'y étaient donné rendez-vous, se sont reconnus, et apprenant la naissance des « Partisans » nous ont demandé si nous voulions « de leur collaboration ». Nous avons accepté. Ces deux masques ne grimacent plus à l'unisson, comme jadis, mais l'intérêt de leur dispute y gagnera.
Hugues Rebell nous donnera sous ce titre : Les Faiseurs, une série d'articles sur les « intrus en art et en littérature ». Edouard Beaufils nous entretiendra de la vie amoureuse de naguère et d'aujourd'hui ; Gabriel Tallet a cette tâche difficile et ardue, dont il s'acquittera talentueusement, de nous intéresser à La Politique. Le virulent écrivain, exquis poète, Laurent Tailhade nous tiendra au courant de la vie. Han Ryner, aimé des dieux, et haï des amazones pour le célèbre massacre qu'il en fit, critiquera les oeuvres de prose. Un nigaud seul pourrait prétendre que nous pouvions faire un meilleur choix. J. Charles-Brun glosera « à frimas » sur les poèmes et les oeuvres en vers ; vous savez que c'est un parfait lettré, n'est-ce pas ? Bouquiniana rajeunira les petits côtés intéressants de la « Chronique historique ». J. Brieu qui veut concilier les philosophies nous parlera congrûment des philosophes, et Bancel résoudra quelques problèmes de Sociologie. Maurice Laurent prendra bien soin, je vous le jure, de nous tenir au courant de la décentralisation ; et un érudit di primo cartello, si je puis m'exprimer ainsi, Alphonse Roque-Ferrier, nous a promis de nous envoyer quelques articles sous cette rubrique : Romania, Traditions, Folklore ; Le sceptre de la fantaisie et de la haulte liesse sera tenu par Léon Durocher, Jules de Marthold et Jacques Ferny.
Nous remercions Jollivet-Castelot de vouloir bien continuer aux « Partisans » la brillante collaboration qu'il assura, un an durant, à une revue aujourd'hui agonisante par suite du décès de son directeur et de notre démission. Par M. Jollivet-Castelot, le Docteur Rozier voudra bien nous envoyer quelquefois des articles sur la magie. Ceux de nos lecteurs qui possèdent notre monographie « Les Sciences Maudites », jugeront de quel vif intérêt seront ici les articles du Docteur Rozier. En Paul Ferniot, passionné d'histoire et de géographie, les historiens auront un critique avisé et sûr. Pour la sorcellerie, Paul-Redonnel... mais vous ne voudriez pas que nous vous parlions de nous. Nous nous rattraperons, d'ailleurs, sur cet oubli... volontaire ; nous nous donnerons des échos, suivant, en ceci, l'exemple de ceux qui soignent leur petite gloire et comme eux nous dirons que nous sommes géniaux afin que d'autres pensent à nous le dire. R. Sainte-Marie (ce nom n'est pas un pseudonyme) — est un jeune fort calé sur la mystique. Il nous dira donc toujours des choses intéressantes. Louis Braun impeccablement nous tiendra au courant des découvertes et des inventions et Marcel Bidault de l'Isle a cette rubrique qui peut paraître ingrate et qui ne l'est pas : Les Sciences naturelles. Edouard Beaufils et Albert Boissière assisteront aux premières et vous en parleront... lecteur à vous en faire venir l'eau à la bouche. Nous avons pour la musique deux collaborateurs, J. Prod'homme et J. Huré, dont vous nous direz des nouvelles. Notre ami Henry Eon est une vieille connaissance de nos lecteurs qui savent quelle clarté il apporte dans ses critiques d'Art ; il nous parlera de l'Art moderne tandis que maître Emile Boissier, un poète exquis, vous communiquera son amour de l'Art ancien. Sous le masque, Suzanne, une artiste modeste qui n'écrit et ne peint que pour elle-même a daigné nous promettre des causeries sur les publications d'Art, V. de Montgacher, sur les bijoux et l'orfèvrerie et Pierre Dombasle, sur l'Art décoratif et l'ameublement.
Nous donnons asile à une rubrique qui a fait s'exclamer nos « Partisans » et amené un sourire de doute sur les lèvres de nos lectrices mondaines et intelligentes. Ils et elles s'intéresseront cependant à cette rubrique car c'est Léon Jardin qui s'en acquittera : l'Art au point de vue industriel. Et puis, nous ferons une place à une chronique de la mode. Entendons-nous, cette chronique ainsi intitulée : La Mode et l'Art, par Edith, sera conçue et traitée au point de vue artistique. C'est avec une grande joie que nous pourrons prendre la défense de l'architecture et des monuments historiques. Paul Leroy est sûr que nous applaudirons à ses coups... de plume et à sa verve. Le problème du bonheur humain, dont les murs des Palais, dits de justice, suintent l'énoncé et content la solution misérable, sera examiné par E. G. Dours. En voici la manchette : Le palais des tribunaux. A côté de ceci, les Journaux par Paul-Redonnel (encore !) et les Revues par Paul-Hubert, notre secrétaire de la Rédaction, auteur de « Verbes mauves » parus et de « Au tournant de la route » à paraître. Nous vous introduirons dans « Les Cénacles» ô lecteurs lointains; nous vous parlerons des livres biblio... philiquement et... graphiquement. Pierre Dévoluy, ce poète trop volontairement silencieux nous écrira de fort intéressantes communications de Provence, et de Beaurepaire-Froment nous tiendra au courant du mouvement en Languedoc ; de Hugues Rebell, poète et romancier, triplé d'un polyglotte, déjà nommé, nous publierons des articles sur la littérature étrangère sans préjudice des courriers de Belgique, de Londres, d'Allemagne, etc., que nous enverront MM. Paul Gourmand, Phlip Jamin, Ch. Snabilié, Xavier de Carvalho... etc. Nos lecteurs pourraient être étonnés de ne pas nous voir donner une place à la poésie, aux contes, aux nouvelles ou au roman. Nous publierons peu de vers et peu de nouvelles. Quant au roman, nous attendrons de pouvoir y consacrer au moins 16 pages.
Paul Ferniot et Paul-Redonnel
La Parade
Partisan de qui ? Partisan de quoi ?
Cette double question nous a été posée indifféremment par des amis et des ennemis. On l'a donnée à ceux qui, volontaires précons de "la Maison d'Art" ont annoncé de vive voix partout où ils se trouvaient la prochaine parution de cette revue. La réponse à faire est simple et parce qu'elle est simple, elle a paru compliquée, car tous ont cru, en se dressant en point d'interrogation, qu'il fallait la sagacité et la présence d'esprit d'Œdipe pour résoudre la difficulté de leur demande. Il faut dire qu'ils entendaient « partisan » au sens qualificatif ; ils le comprenaient singulièrement, et, ayant au préalable consulté le lexique au préjudice de l'histoire, prisaient fort leur érudition. Et puis, l'esprit humain est routinier, n'est-ce pas ? il ne veut pas qu'on se déclare « partisan » si, d'une part, on n'est pas attaché à la fortune de quelqu'un ou de quelque chose, d'un « parti », par exemple, pour ne considérer que l'étymologie, ou si, d'autre part, on n'a pas à faire triompher un programme commun.
Il était plus court de se dire — et c'est pourquoi on ne se l'est pas dit — que des lettrés et des artistes tels que nous, n'accepteraient de mot d'ordre et n'obéiraient à qui que ce fût.
Par conséquent rarement titre de gazette fut plus justifié que celui-ci, si l'on fait exception des titres vagues que, sans raison, certains de nos confrères ont choisis ou achetés.
Nous sommes des partisans parce que nous sommes indisciplinés et que nous allons au combat comme il nous plaît, sans nous soucier du voisin; les uns armés de la fronde qui atteint de loin l'adversaire, les autres du stylet qui exige le corps-à-corps. Et nous voici : troupes irrégulières, qui auront ceci de particulier, de guerroyer loyalement et qui adopteront tel mode d'attaque ou de défense qui leur conviendra, employant les embuscades contre les fuyards ou les traîtres, et, à leur fantaisie, se plaçant aux avant-postes ou se jetant dans la mélée.
Et maintenant, s'il vous plaît, que je vous présente quelques combattants ; je les prendrai dans l'ordre alphabétique pour ne pas chagriner les dictionnaires et puis pour ne point blesser vos préférences, car pour eux, ils ne sauraient prendre ombrage de toute autre méthode.
Attention ! je commence.
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Eh ! bien, non, lecteur, je ne commencerai point; s'il est vrai que tu aies la patience de lire ceci, je n'ai point causé avec toi si longuement pour t'attarder à la porte.
Nous sommes tous du « VOYAGE », le bonisseur et la « dernière doublure ». Il y a des haines qu'on doit bannir et des colères qu'il faut apaiser ; laissons donc dormir l'amour-propre. Eh ! que t'importe que celui-ci soit un blasphémateur par amour et celui-là, un libertaire intégral ; l'un, littérateur ropsiaque et l'autre, écrivain catholique ; qu'il soit diplômé des hautes études ou qu'il n'ait aucun parchemin dans son tiroir. Ce qu'il faut, c'est t'intéresser, te persuader et te conquérir.
Seulement, ne t'abuse point ! parce que tu verras ici des écrivains qui se sont, de préférence, houspillés, ne t'attends pas à des batailles intestines. J'ai dit que nous n'acceptions pas de mot d'ordre; mais je dois t'avertir que nous ne tirerons pas, les uns sur les autres... dans notre camp.
Paul-Redonnel